Mohammed Oussédik, le fils de militant FLN qui est passé de Disney à la CGT
Premier beur à accéder à un haut niveau de responsabilité au sein du plus ancien syndicat français, ce fils de militant FLN ne s’est jamais laissé enfermer dans les questions de discrimination.
À certains, l’histoire familiale confère des privilèges. Lui, « ça l’oblige ». Mohammed Oussédik, 46 ans, est l’un des dirigeants de la CGT, premier syndicat français. Son père militait au FLN pendant la guerre d’Algérie. Réservé, Mohammed évoque rarement l’histoire familiale. Mais « elle compte beaucoup pour lui, explique sa collègue Sophie Binet. Il veut être à la hauteur de cet engagement ». C’est comme une « boussole », qui l’a probablement aidé à progresser au sein du syndicat.
Un premier emploi grâce au théâtre
Sur le marché du travail, cela a pourtant coincé très vite pour ce natif de Port-Say, arrivé en France à l’âge de 6 ans. Au début des années 1990, le jeune diplômé en comptabilité se rend compte qu’avec son prénom « ça passe difficilement ». Les annonces de l’ANPE comportent encore des critères de discrimination raciale : « Entreprise cherche comptable, de type européen. » Mohammed trouve son premier job grâce au théâtre, qu’il a pratiqué pendant quinze ans. Durant deux ans, il fera le cow-boy et le Mexicain pour les hôtels Cheyenne et Santa Fe à Disneyland.
De « belles années », certes, mais qui l’ont de nouveau confronté à une organisation du travail « plus fondée sur les origines que sur les compétences ». Par exemple, « tous ceux qui s’occupaient du nettoyage devaient être africains ».
C’est trop facile de prendre un beur pour s’occuper des questions de beurs
Recruté comme conducteur-verrier à Saint-Gobain, le jeune homme y découvre des conditions de travail « très, très difficiles ». Qui l’amènent à s’engager syndicalement. « Les gens travaillaient la nuit, le dimanche, les jours fériés. Dans le bruit et la chaleur. » Au bout du rouleau à 50 ans, certains ne profitaient guère de leur retraite. Élu délégué du personnel trois ans après son arrivée, il organise la grève : « Un mouvement dur, on a bloqué l’usine pendant trois semaines. »
Les salariés obtiennent gain de cause, et la CGT lui propose en 1999 d’en devenir un permanent. En 2003, Bernard Thibault, alors patron de la centrale, lui propose de s’occuper de la « diversité ». Oussédik se marre : « Lui aussi est tombé dans le piège. » D’abord réticent – « c’est trop facile de prendre un beur pour s’occuper des questions de beurs » –, il finit par accepter. Sans regret. Il participe à la création de la Halde, qui lutte contre les discriminations et pour l’égalité, négocie les accords sur la diversité dans l’entreprise. « Ça a permis à beaucoup de jeunes d’accéder à des responsabilités. »
Discriminations internes à la confédération
Et à la Confédération ? Il concède des « bizarreries » dans le fonctionnement interne du syndicat. Par exemple, jusque très récemment, même dans les secteurs majoritairement féminins, les commandes étaient aux mains des hommes. Et, jusqu’en 2003, « il n’y avait jamais eu de secrétaire général de fédération ou d’union départementale dont le prénom ressemblait un peu au [s]ien ». Dans la foulée du 21 avril 2002, qui voit le Front national arriver au second tour de la présidentielle, ils sont deux d’origine maghrébine à être élus : Maurad Rabhi pour la fédération du textile et lui pour la fédération du verre.
Oussédik aurait pu grimper une marche de plus. Mais, il y a trois ans, quand l’organisation choisissait le successeur de Bernard Thibault, on a pu lire que ses origines l’avaient desservi. « À la CGT, mieux vaut un Momo comme Maurice qu’un Momo comme Mohammed », écrivait la députée algérienne Chafia Mentalecheta dans une tribune publiée sur Mediapart.
L’intéressé, dont la proximité avec le Parti socialiste a pu être un handicap, rejette l’idée : « Ce n’est pas là-dessus que le choix s’est fait, soyons honnêtes. » Et que son nom ait circulé pour diriger la CGT témoigne du chemin parcouru. « Il y a encore du travail, mais, il y a quinze ans, nous étions deux, Maurad et moi. Aujourd’hui, nous sommes nombreux, avec un vrai parcours syndical. »
Intégration économique
Le sien ne s’est pas limité aux questions de discrimination. Il est « passé à autre chose » au sein du syndicat. Un peu comme son père. Quand Momo lui a demandé pourquoi il s’était installé dans un pays contre lequel il avait fait la guerre, il lui a répondu : « Deux mondes coexistaient en Algérie, et l’un dominait l’autre. C’est ce système que j’ai combattu, pas la France ou les Français. Une fois les choses réglées, je suis passé à autre chose. »
L’ancien pêcheur-agriculteur de Port-Say a créé son entreprise d’étanchéité en banlieue parisienne et il emploie quinze salariés. À la CGT, son fils a pris en charge l’industrie, puis l’économie. Persuadé qu’il n’y aura « aucune espèce d’intégration sans intégration économique », il continue de négocier. Dans l’intérêt de tous les salariés, quel que soit leur prénom.
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