Algérie : la traque des jihadistes touche-t-elle vraiment à sa fin ?

Ils seraient aujourd’hui moins de 800, décimés par des années de lutte et de politique de réconciliation nationale. En face, l’armée crie presque victoire. Enquête.

Abdelmalek Droukdel, chef d’Aqmi, et ses hommes, durant un entraînement. © The New York Times/REA

Abdelmalek Droukdel, chef d’Aqmi, et ses hommes, durant un entraînement. © The New York Times/REA

FARID-ALILAT_2024

Publié le 18 juillet 2016 Lecture : 10 minutes.

Le tuyau, livré à l’armée dans le courant du mois de mai, est de première main : une cellule terroriste prépare un gros coup. Aussitôt, le commandement militaire ordonne de vérifier et de compléter l’information. Les appels des activistes sont interceptés. Les jours suivants, un invisible filet se referme sur eux. Leur véhicule, un fourgon blanc, est localisé près de Sétif, à 270 km à l’est d’Alger.

Attentat déjoué

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Dans la nuit du 31 mai, une escouade de parachutistes dresse une embuscade sur une route de campagne qui traverse les Hauts Plateaux. À minuit moins cinq, un déluge de feu s’abat sur le fourgon, dont seront extraits les cadavres de huit terroristes et un arsenal de guerre.

Le groupe préparait-il des attaques contre des lieux publics, comme le Park Mall de Sétif, le plus important complexe de commerces et de loisirs du pays ? Ou avait-il l’intention de gagner la Libye pour s’y fournir en armes et en combattants ? L’armée étant aujourd’hui plus muette que jamais, on n’en saura sans doute rien. Toujours est-il que l’opération antiterroriste, « de qualité » selon les mots du ministère de la Défense, a été d’une redoutable efficacité.

Elle est exemplaire du modus operandi qui se met en place pour venir à bout des jihadistes. Renseignement humain, surveillance téléphonique, filatures, opérations en cascade, matériel ultramoderne : la lutte contre les résidus d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), du Groupe islamique armé (GIA) ou de Daesh serait-elle entrée dans une phase d’intensification ?

Les bilans fournis par les autorités le laissent penser. Selon le commandement militaire, 107 terroristes ont été tués au cours des six premiers mois de 2016, une trentaine se sont rendus et 80 éléments actifs dans les réseaux de soutien ont été neutralisés. Durant la même période, 260 caches et ateliers de fabrication d’armes et d’explosifs ont été découverts.

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Une traque sans fin sur le repaire des jihadistes

En septembre 2014, un événement dramatique avait donné un coup d’accélérateur à l’interminable lutte contre les groupes armés : la mort du touriste et guide français Hervé Gourdel, enlevé puis décapité en Kabylie par les Soldats du califat, un groupuscule qui avait prêté allégeance à Daesh.

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Le retentissement international de ce crime avait donné lieu à une opération à grande échelle engageant un millier d’hommes dans les forêts du Djurdjura pour retrouver les assassins et la dépouille du supplicié. Une fois les jihadistes éliminés, l’armée a maintenu le maillage de ces massifs montagneux qui ont longtemps été le repaire du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), et plus tard celui d’Aqmi.

Depuis cette offensive, les militaires multiplient traques, ratissages et embuscades dans cette vaste zone qui s’étend sur trois préfectures, mais aussi ailleurs dans le pays. En mai, une vingtaine de terroristes ont été tués dans les maquis de Bouira, à 100 km à l’est d’Alger, non loin du lieu où le Français a été exécuté. Moins d’un mois plus tard, dix-huit autres ont trouvé la mort dans une opération similaire à Médéa, à 80 km au sud de la capitale. Selon les premiers indices de l’enquête judiciaire, trois éléments de ce groupe avaient pris part à l’assassinat d’Hervé Gourdel.

« Sa mort a en effet marqué un tournant, analyse Akram Kharief, spécialiste des questions sécuritaires et auteur du blog Secret Difa 3. Le commandement militaire a décidé de mettre le paquet en capitalisant sur l’expérience acquise au cours des années de feu ainsi que sur des armes et des techniques modernes. Aujourd’hui, la traque se fait d’abord par le canal électronique. Internet est passé au crible, les communications sont écoutées et localisées. Le défi est de réussir à obtenir le plus d’informations, le plus rapidement possible, sur la nature du regroupement terroriste et la proximité possible de civils. Des drones ou des avions de reconnaissance sont alors déployés. Puis l’armée envoie des troupes d’élite et des parachutistes sur le terrain, appuyés, si besoin, par des avions bombardiers ou des hélicoptères d’attaque. Équipés d’appareils de vision nocturne, les commandos sont désormais capables d’anéantir leurs cibles de jour comme de nuit, ce qui représente une avancée considérable. »

La menace jihadiste prise au sérieux

Les Algériens se sont souvent méfiés des affirmations des autorités estimant que le « terrorisme résiduel » vivait ses « derniers instants ». Un doute nourri par les capacités persistantes de ces groupes à commettre des attaques.

Toutefois, leur potentiel de nuisance, leurs effectifs ainsi que leurs zones d’activité ont été substantiellement réduits. Au milieu des années 1990, à l’apogée de sa puissance, la nébuleuse comptait près de 23 000 hommes dans les maquis et les villes. Vingt ans plus tard, selon des sources concordantes, ils seraient moins de 800, essentiellement présents dans l’Est, en Kabylie, dans le Centre et dans certaines régions de l’Ouest.

« Ce sont des groupuscules dotés d’armes légères et qui se déplacent constamment, indique un ex-commando des forces spéciales. Ils ont perdu l’environnement sociétal qui faisait autrefois leur force. Les moyens d’écoute et d’interception déployés sur l’ensemble du territoire rendent l’usage des téléphones portables presque impossible. Résultat : les attentats se font de plus en plus rares. Et, dès que les terroristes entrent en action, ils sont très vite repérés et éliminés. »

Le désert où sévit une partie des éléments d’Aqmi n’échappe pas à ce redéploiement. « Dans ­l’Extrême-Sud, nous avons asséché les points d’eau et nous contrôlons les routes du trafic de carburant, affirme un haut gradé des services. La présence massive de nos troupes le long des frontières avec la Libye et les pays du Sahel a paralysé les mouvements des terroristes. »

Opérations à succès

L’opération Serval, dans le nord du Mali, a aussi contribué à cet endiguement, les troupes françaises et africaines ayant éliminé des dizaines de combattants d’Aqmi, du Mujao ou d’Ansar Eddine qui pénétraient régulièrement sur le territoire algérien pour s’y réfugier, se ravitailler ou y commettre des attentats, comme ce fut le cas en juin 2012 avec l’attaque d’une brigade de gendarmerie à Ouargla. Pas un jour ne passe sans que le ministère de la Défense n’annonce d’importantes saisies d’armes et l’arrestation de trafiquants ou d’individus armés.

Avec le renseignement, le fichage, la compilation des données et l’expérience accumulée, nous avons acquis des connaissances considérables sur l’identité et les capacités des activistes

Entre 1990 et 2000, l’armée se battait contre des terroristes insaisissables qui avaient souvent l’avantage du terrain et de l’équipement, explique un colonel qui a longtemps écumé les jebels : « Les zones montagneuses empêchaient l’utilisation de blindés et rendaient l’artillerie inefficace. Nos capacités d’observation aérienne étaient quasi nulles. À cette époque, nous devions infiltrer les réseaux en envoyant dans le maquis des hommes déguisés. Certains ont été victimes des purges intestines menées par ces organisations ; d’autres ont été découverts et exécutés. Mais nombreux sont ceux qui ont accompli leur mission, empêchant des dizaines d’attaques. »

C’est notamment grâce à un agent infiltré pendant des mois parmi la garde prétorienne qu’Antar Zouabri, cruel émir du GIA responsable de tueries de masse, a été localisé et exécuté par l’armée en février 2002. Aujourd’hui, la donne a changé. « Nul besoin de les infiltrer, ajoute le colonel. Avec le renseignement, le fichage, la compilation des données et l’expérience accumulée, nous avons acquis des connaissances considérables sur l’identité et les capacités des activistes. »

Les groupes jihadistes affaiblis et à la population vieillissante

Après vingt ans de terrorisme et quinze ans de politique de réconciliation nationale, quelques évidences s’imposent. Les groupes terroristes recrutent de moins en moins. « Le socle idéologique sur lequel ils ont prospéré n’existe plus, affirme un général à la retraite. Il n’y a que les desperados et les âmes perdues qui croient encore au jihad. » De fait, le profil des terroristes a nettement changé. Nombre d’entre eux ont pris les armes au début des années 1990, et la moyenne d’âge dépasse la quarantaine.

« Sur les photos de terroristes tués ou capturés, on observe de plus en plus d’hommes à la barbe et aux cheveux grisonnants ou au crâne dégarni », constate Akram Kharief. Le reste des activistes est constitué de jeunes à peine sortis de l’adolescence, armés de gré ou de force. Eux sont nés et ont grandi dans les maquis, et n’ont jamais connu que la guerre.

Les redditions provoquent aussi des dissensions parmi les terroristes, certains en viennent même à s’entretuer

La loi sur la concorde civile de 1999 et la charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2005 qui l’a suivie, toutes deux adoptées par référendum, ont permis l’amnistie de milliers de combattants, autre tactique essentielle déployée contre les jihadistes, qui a permis de dépeupler les maquis et de récupérer de nombreuses armes clandestines. Mieux, certains repentis ont par la suite participé à la lutte antiterroriste, fournissant des informations précieuses sur l’identité des maquisards, leurs armements, leurs réseaux de soutien et de logistique ou encore leurs zones d’activité ou de repli.

« Les redditions provoquent aussi des dissensions parmi les terroristes. Certains en viennent même à s’entretuer, remarque un colonel qui a dirigé des troupes d’élite durant les deux dernières décennies. Les repentis qui acceptent de parler sont des mines d’informations. Leurs rapports nous offrent des radiographies saisissantes du monde dans lequel ils évoluent. »

Les repentis, négociateurs essentiels

Ceux qui veulent bien coopérer sont même encouragés à prendre contact avec les activistes par téléphone ou par lettre, voire en passant par leur famille et leurs proches. Parfois, ils accompagnent les services de sécurité sur les lieux mêmes des ratissages, leur présence pouvant valoir garantie et caution morale aux yeux des traqués.

Ex-émir du GIA et de l’Armée islamique du salut (AIS), Djamel a été gracié en janvier 2000. L’ancien jihadiste ne refuse pas de donner un coup de main aux services de sécurité. Lors d’une opération menée dans les montagnes des Babors en 2003, l’armée avait encerclé une trentaine de terroristes, retranchés dans une grotte avec 25 femmes et 83 enfants.

À l’aide d’un mégaphone, un officier tente de raisonner l’émir Okacha, un ex-lieutenant de l’armée qui a retourné les armes contre militaires et civils. « Plutôt la mort avec tout le monde que la reddition », hurle-t-il du fond de son trou.

Des heures passent avant que l’émir accepte la présence d’un imam pour négocier. On fait alors venir Djamel sur les lieux. « Vous n’avez aucune chance de sortir vivants si vous engagez le feu, explique-t-il au chef terroriste. Rendez-vous, et l’État vous garantit protection et amnistie. » Après des heures de palabres, Okacha dépose enfin son fusil-mitrailleur.

En échange, le commandant lui accorde, ainsi qu’à ses hommes, l’amen (le serment qu’ils sortiront sains et saufs). Libérés en premier, femmes et enfants sont acheminés par camions dans des centres d’accueil. Les hommes suivent. Dépenaillés et hirsutes, ils sont conduits dans un hammam puis dans une caserne, avant de passer devant une commission de probation qui décidera de leur remise en liberté avec extinction des poursuites judiciaires.

Il y a un temps pour la guerre et un autre pour la paix

« Le soir de leur reddition, les terroristes ont dîné avec plusieurs officiers de l’armée, raconte Djamel. C’était un spectacle hallucinant quand on sait qu’Okacha et ses hommes étaient de vraies brutes. Mais il y a un temps pour la guerre et un autre pour la paix. »

D’autres tentatives de médiation ont viré au fiasco. En 2005, à Jijel, dans les anciens fiefs de l’AIS, Djamel est de nouveau sollicité par l’armée, qui encercle un groupe important. Les négociations émaillées de versets coraniques et de sermons ne donnant rien, l’armée engage l’assaut final. Aucun survivant.

« Le chef du groupe, un certain Oumayr, souhaitait mourir les armes à la main, se souvient notre repenti. Même Dracula aurait eu peur de lui et de ses hommes tant ils étaient cruels. Je doute qu’ils auraient pu se réinsérer dans la société s’ils avaient accepté la main tendue par les militaires. Des années dans le maquis à tuer, mutiler et violer ont fini par ôter ce qui pouvait rester d’humanité chez ces gens-là. »

Des commandos à leurs trousses

Pour traquer pendant des semaines les terroristes dans les maquis, l’armée n’hésite pas à faire appel à des commandos de chasse. « Ils tendent des embuscades, suivent les campements pour repérer les émirs, analyse le spécialiste Akram Kharief. Nabil Sahraoui, l’un des pontes du GSPC, a été traqué pendant des mois par un commando. Isolé de tout, il a été éliminé. C’est une méthode de guerre très efficace. »

Parfois, ces unités d’élite se déguisent en soldats de troupe, établissent des campements aux abords des maquis ou sur des crêtes de montagnes. Ils font du bruit, se montrent nonchalants pour attirer les terroristes… qui rencontrent sur leur chemin embuscades ou snipers. Cette tactique a notamment permis de nettoyer les maquis de Bouira et de Boumerdès.

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