RD Congo : Joseph Kabila à l’heure du bilan

Ses lieutenants rêvent d’une prolongation de son bail à la tête de l’État. Lui ne laisse rien deviner de ses intentions. En attendant d’en savoir plus sur l’avenir politique de Joseph Kabila, retour sur ses quinze années au pouvoir.

Joseph Kabila, le président de la RD Congo à Paris, le 22 Avril 2016. © Mary Altaffer/AP/SIPA

Joseph Kabila, le président de la RD Congo à Paris, le 22 Avril 2016. © Mary Altaffer/AP/SIPA

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Publié le 28 juillet 2016 Lecture : 4 minutes.

Stade de Kinshasa, en juin 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour j.a.
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RD Congo : défis majeurs

Au-delà des incertitudes politiques, une nouvelle génération arrive dans la vie publique au moment où le pays a redessiné ses frontières intérieures. Autant de challenges à relever.

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Était-ce son dernier message solennel à la nation ? Rien n’est moins sûr. Ne dérogeant pas à ses habitudes, Joseph Kabila s’est adressé à ses compatriotes à la veille des festivités commémoratives de l’indépendance du pays, le mercredi 29 juin au soir. Son second mandat expire à la fin de l’année et, en l’état actuel de la Constitution, il ne peut plus se représenter. Il n’a pourtant rien laissé transparaître, ni sur ses intentions ni sur son avenir politique.

C’est pourtant sur ces terrains-là que beaucoup, en interne et au-delà des frontières nationales, attendaient ce chef d’État secret et taciturne. Mais celui que ses détracteurs soupçonnent de vouloir se maintenir au pouvoir est resté muet sur le sujet, se contentant d’affirmer que « plus rien ne pourra arrêter le train des futures élections ». Avec ou sans lui ? Le suspense demeure, et ses lieutenants multiplient les ballons d’essai dans la perspective de négocier un prolongement du bail de leur champion à la tête du pays, par la voie d’une révision constitutionnelle, d’un changement de la Constitution, voire d’un référendum.

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Jeune leader des troupes armées

En attendant, place au bilan. Quinze années se sont écoulées depuis que Joseph Kabila est arrivé au pouvoir, à la mi-janvier 2001. Il n’avait que 29 ans à l’époque, mais dirigeait déjà les forces terrestres de l’armée congolaise. Un leadership militaire que le fils aîné de Laurent-Désiré Kabila avait acquis quelques années plus tôt.

« Il était à la tête des kadogo [“petits”, en swahili], ces jeunes gens appuyés par des troupes régulières rwandaises qui constituaient l’armée de son père, alors chef rebelle », rappelle Barnabé Kikaya Bin Karubi, son principal conseiller diplomatique. « Avec James Kabarebe [aujourd’hui ministre rwandais de la Défense], explique-t‑il, Joseph Kabila a conduit et remporté en mars 1997 la grande bataille de Kisangani, dans le nord-est du Zaïre, alors que le pouvoir de Mobutu promettait de défendre jusqu’au bout la troisième ville du pays, menaçant de mener des “contre-offensives foudroyantes”. »

Une fois le régime en place déchu, les nouveaux maîtres de Kinshasa tentent, avec l’aide de l’Angola, de reconstituer l’armée congolaise en s’appuyant sur ces kadogo, rebaptisés Bana Mura, dont l’essentiel des hommes compose aujourd’hui la garde républicaine. Mais, au cœur de la nouvelle guerre, Kabila père est assassiné dans son palais. Désigner Kabila fils pour lui succéder fut ainsi un « choix judicieux qui a évité la révolte des troupes », explique ce proche collaborateur du chef de l’État.

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Dialogue et pluralisme politique

Joseph Kabila se retrouve alors à la tête d’un pays morcelé. Très rapidement, il décide de relancer les discussions avec les rebelles qui contrôlaient l’est et le nord du territoire national. « Avec la formule 1+4 [un président assisté de quatre vice-présidents], il a accepté de partager le pouvoir pour que la RD Congo se réunifie », reconnaît un diplomate occidental, ancien membre du Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT).

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C’est également sous Kabila fils que le pays organise ses premières élections présidentielles pluralistes, d’abord en 2006 puis en 2011. « Dans ce pays où l’arrivée d’un homme au sommet de l’État a toujours fait couler le sang, il voulait changer définitivement le mode d’accès au pouvoir », commente Kikaya.

Mais deux quinquennats plus tard, au moment de passer le flambeau, la machine électorale semble s’être enrayée, et la tenue de la présidentielle dans les délais constitutionnels semble désormais bien incertaine. Ce qui risque d’« annihiler les efforts consentis pour la consolidation de l’État de droit démocratique », estime l’opposant Moïse Moni Della, leader des Conservateurs de la nature et démocrates (Conade), qui a adressé fin juin une lettre ouverte au chef de l’État l’invitant à démissionner « au plus tard le 19 décembre », au terme de son second mandat. Kabila, lui, appelle la classe politique et la société civile à un « dialogue national inclusif ». Lequel peine à convaincre au-delà de son camp.

Le franc congolais et le pouvoir d’achat lourdement affectés

Les perspectives socio-économiques commencent également à s’assombrir. Stable quand Matata Ponyo était aux affaires (ministre des Finances en 2010, puis Premier ministre depuis 2012), le franc congolais est désormais en perte de vitesse face au dollar. Et les taux de croissance, notamment à cause de la chute des matières premières, sont sans cesse revus à la baisse.

Un coup dur pour le pouvoir d’achat, et qui a creusé plus encore le fossé entre les riches et les pauvres. Et ce malgré la multiplication par trois ces dernières années du salaire des fonctionnaires. « Un militaire touche aujourd’hui 115 dollars [104 euros], contre 35 dans le passé, relève une source gouvernementale. C’est encore insuffisant, mais pour être visibles les efforts entrepris doivent être inscrits dans la durée. Le pays était tombé trop bas. Aujourd’hui, les Congolais n’ont retrouvé que leur niveau de vie de 1990 ! »

Quelques performances macroéconomiques ont néanmoins été enregistrées. L’inflation, qui dépassait les 120 %, est passée à moins de 1 %.

Tensions politiques et sociales

Pour le sénateur Mokonda Bonza, le pouvoir est néanmoins loin du compte. « En quinze années de règne, rien n’a été fait pour la population. Pas d’eau courante, pas d’électricité. Pis, Kabila n’a pas été capable d’assurer la sécurité intérieure et extérieure du pays », tacle l’ancien directeur de cabinet de Mobutu.

Et de nombreux partenaires internationaux de la RD Congo, Union européenne et États-Unis en tête, dénoncent de leur côté le « rétrécissement de l’espace politique » caractérisé ces derniers mois par une campagne de répression contre les opposants au régime. Des ingérences étrangères « intempestives et illicites dans les affaires de politique intérieure » de la RD Congo, rétorque le président Kabila. Toujours aussi droit dans ses bottes. Pour l’instant.

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