Finances publiques : comment le Mozambique a terni sa réputation

C’est l’affaire des « tuna bonds » (obligations thonières), autour de la société Ematum, créée en août 2013 par les autorités, qui a mis le feu aux poudres.

Les dissimulations des autorités portant sur l’endettement et les finalités de l’entreprise de pêche au thon Ematum ont mis le feu aux poudres. © Grant Lee Neuenburg/REUTERS

Les dissimulations des autorités portant sur l’endettement et les finalités de l’entreprise de pêche au thon Ematum ont mis le feu aux poudres. © Grant Lee Neuenburg/REUTERS

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 27 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.

Censée relancer le secteur de la pêche au thon dans l’océan Indien, le long des quelque 3 000 km de côtes mozambicaines, cette entreprise détenue par l’État a levé 850 millions de dollars (environ 630 millions d’euros) en 2013 auprès de Crédit suisse et du russe VTB, grâce à une garantie généreuse des autorités.

Fraudes et gouvernance financière défaillante

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Mais les banquiers ont déchanté. Ils se sont aperçus que six des trente bateaux acquis par Ematum étaient des patrouilleurs militaires que le Mozambique n’avait pas réussi à financer jusqu’alors. Pis, le modèle économique d’Ematum s’est révélé catastrophique, la société n’atteignant péniblement que 5 % de ses objectifs, qui avaient été claironnés auprès d’investisseurs étrangement peu regardants.

Contraint par le FMI à reprendre à son compte une partie de la dette d’Ematum en la restructurant, le pays a ensuite dissimulé à l’institution de Bretton Woods l’existence de plusieurs prêts, pour un total de plus de 1,1 milliard de dollars. Des omissions volontaires publiquement admises début avril 2016 par le Premier ministre, Carlos Agostinho do Rosário, missionné à Washington pour tenter d’éteindre l’incendie.

« À l’inverse de l’Angola et du Ghana, qui, sermonnés par le FMI, ont entrepris des réformes pour une meilleure gouvernance de leurs finances publiques et rassuré les investisseurs, le discrédit jeté sur le Mozambique demeure total », analyse le dirigeant d’un groupe international bien implanté à Maputo, qui était récemment à Washington. Pour lui, le fait que la visite du FMI à Maputo – du 17 au 24 juin – n’ait pas été suivie rapidement d’une réunion ad hoc du conseil d’administration de l’institution est le signe que la normalisation des relations n’est pas pour demain.

D’ailleurs, le Fonds table désormais sur un taux de croissance de 4,5 % en 2016 – contre un peu plus de 6 % précédemment – et n’exclut pas de revoir une nouvelle fois à la baisse cette prévision.

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Un départ progressif des investisseurs

C’est à un véritable retournement de l’appréciation des investisseurs qu’on assiste. Après 2010, date des premières grandes découvertes gazières offshore, au nord du pays, les groupes pétroliers s’étaient rués à Maputo. À l’époque, l’euphorie régnait : le PIB gonflait de 7 % chaque année et le FMI pariait sur une croissance de… 24 % à l’horizon 2021, prévoyant qu’à cette date les exportations de gaz atteindraient leur niveau maximal. Surfant intelligemment sur cet appétit pour son gaz, mais aussi pour son sous-sol riche en charbon, le pays a pu bâtir entre 2010 et 2015 des infrastructures – voies ferrées, ports, routes et aéroports – financées par les bailleurs de fonds internationaux.

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Mais, aujourd’hui, les deux acteurs majeurs gaziers dans le pays – l’italien ENI et l’américain Anadarko – sont en retrait. À cause de la conjoncture morose du secteur pétrolier depuis 2014, mais pas seulement.

L’endettement élevé du Mozambique devrait dépasser 100 % du PIB en 2016 selon Standard Chartered

« Après son importante découverte au large de l’Égypte, ENI semble donner la priorité à ce projet plus proche de l’Italie, qui nécessite moins d’investissements, indique un spécialiste. Quant à Anadarko, il souhaiterait vendre ses parts à Exxon. » De son côté, le géant minier brésilien Vale, présent dans le centre, est en plein marasme économique du fait des prix déprimés du charbon. Sa mine de Moatize produit à petit régime en attendant des jours meilleurs.

L’endettement élevé du Mozambique – il devrait dépasser 100 % du PIB en 2016 selon Standard Chartered – empêche aussi l’ENH, la société publique des hydrocarbures, partenaire de tous les projets, de satisfaire à ses obligations contractuelles d’investissement de plusieurs milliards de dollars dans les développements gaziers. La solution pourrait passer par Doha, grâce à un investissement de Qatar Petroleum.

Une délégation mozambicaine s’est récemment rendue dans l’émirat pour tenter d’attirer cette compagnie – qui refuse toutefois d’assumer un rôle de pilote dans ces projets – sans faire fuir ENI et Anadarko. Ce qui ne sera pas une mince affaire compte tenu de la réputation écornée du pays sur les marchés financiers.

Adriano Maleiane prêt à jeter l’éponge ?

Selon une source familière des arcanes politiques du pays, Adriano Afonso Maleiane, le ministre de l’Économie et des Finances, s’estime injustement mis en cause dans cette affaire puisqu’il ne faisait pas partie du gouvernement lors de la signature des prêts souscrits en 2013 et aujourd’hui incriminés. Il pourrait donc annoncer prochainement sa démission. Une décision qui fragiliserait un peu plus le président, Filipe Nyusi.

À peine un an et demi après avoir été élu sous les couleurs du Frelimo (parti au pouvoir), il est déjà confronté à une résurgence du conflit politico-militaire avec la Renamo, principal parti d’opposition.

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