Essai : montrez ces Algériens que l’on ne saurait voir !

Dans un livre captivant qui fourmille de portraits et d’interviews, Thierry Perret donne la parole à des hommes et des femmes qui se battent pour gagner un espace de liberté.

Quartier de Bab El Oued, à Alger. © LahcËne ABIB/SIGNATURES

Quartier de Bab El Oued, à Alger. © LahcËne ABIB/SIGNATURES

Christophe Boisbouvier

Publié le 19 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.

C’est l’histoire d’une classe moyenne occidentalisée qui a failli disparaître pendant la « décennie noire » (1990-2000) et qui tente de survivre dans l’Algérie d’aujourd’hui. Pas simple.

Rupture sociale

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« La société algérienne des années 2010 est beaucoup plus conservatrice et empreinte de religiosité que celle des années 1980, ce qui se lit dans la condition morose de la femme, de plus en plus voilée », souligne l’essayiste Thierry Perret, qui a été attaché culturel à l’ambassade de France à Alger de 2010 à 2014. Certes, le jihadisme ne sème plus l’effroi comme il y a vingt ans, mais les Algériens francophones « ont vu les nouvelles couches sociales ruralisées, exclusivement arabophones, venir restreindre leur espace et sa symbolique ».

Dans ce livre captivant, qui fourmille de portraits et d’interviews, Thierry Perret donne la parole à ces femmes et ces hommes qui se battent pour garder un espace de liberté. La sociologue Fatma Oussedik, qui regrette que l’arabisation forcée des années 1980 « ait cassé la possibilité d’une transmission », estime que le conservatisme religieux est sciemment utilisé par le régime d’Abdelaziz Bouteflika comme un moyen pour conforter son pouvoir. « C’est un choix de société, dit-elle. On a renoncé à produire une élite. On a fait le choix de la rente pétrolière plutôt que celui de la production. On a fait le choix de la religion, non celui de la raison. »

Femmes et francophones, premières victimes du conservatisme

Paradoxe : parce qu’elles sont majoritaires à l’université, les femmes ont un meilleur accès que les hommes aux emplois du secteur moderne. Du coup, écrit l’essayiste français, « au moment où se renforce la politique de soumission et d’exclusion publique portée par la religion, les femmes salariées deviennent de plus en plus… des soutiens de famille » !

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« Puisque je parlais français, je me suis retrouvée assignée à résidence », lance Fatma Oussedik. Autre femme aux formules incisives, l’archéologue Sabah Ferdi. Au Centre national de recherche en archéologie (CNRA), elle lutte inlassablement contre tous les bétonneurs qui construisent des habitations illicites sur les sites protégés, notamment sur le site antique de Tipasa, à l’ouest d’Alger.

De rage, les directeurs de l’urbanisme l’appellent la Dame de pierre. Mais après trente ans de carrière, elle se sent de moins en moins soutenue par l’État algérien et assène : « J’en arrive à me considérer comme une illusion du patrimoine. »

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La littérature et la culture comme solutions 

La société algérienne est-elle paralysée ? Non, répond l’auteur, qui se félicite du « bouillonnement associatif », notamment en Kabylie et dans l’Ouest oranais. Ainsi, contre la bureaucratie tentaculaire, l’association Nabni (Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées), d’Abdelkrim Boudra, montre comment « réduire de 20 % la liste des documents requis pour chacun des vingt actes administratifs les plus demandés par les citoyens ».

Contre la sclérose de la pensée, des maisons d’édition, telles Chihab, Barzakh et Média-Plus, montent en puissance. Si les livres de Yasmina Khadra et de Boualem Sansal sont publiés par des éditeurs français, de nombreux autres essais et romans algériens paraissent sur place. C’est par exemple le cas de Trop tard, de Hajar Bali, romancière qui regrette qu’en Algérie « il soit impossible pour un jeune couple de vivre une histoire d’amour toute simple ».

Bref, l’Algérie n’est pas si conformiste que l’on croit. « Dans la société, il y a une résilience », affirme Thierry Perret, qui voit même, dans le milieu culturel et associatif, « une soif de reconquête, de soi et de l’avenir ».

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