Sahara occidental : Brahim Ghali du Front Polisario sera-t-il un chef de guerre… ou de paix ?

Si le nouveau secrétaire général du Front Polisario semble décidé à adopter le pas martial de son prédécesseur Mohamed Abdelaziz, rien n’indique qu’il serait fermé aux négociations. Pourtant, le Maroc voit son élection comme le pire scénario.

L’ancien ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique à Alger en a été élu président le 9 juillet, à Dakhla. © Farouk Batiche/AFP

L’ancien ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique à Alger en a été élu président le 9 juillet, à Dakhla. © Farouk Batiche/AFP

FARID-ALILAT_2024

Publié le 21 juillet 2016 Lecture : 6 minutes.

À Dakhla, appelée la Villa Cisneros durant l’occupation espagnole, l’issue du scrutin ne faisait guère mystère pour les 2 300 délégués et la centaine d’invités et de journalistes venus assister au congrès extraordinaire du Front Polisario, qui s’est tenu durant deux jours dans ce camp de réfugiés sahraouis.

Au terme des quarante jours de deuil décrétés au lendemain de la mort de Mohamed Abdelaziz, secrétaire général du Front Polisario et président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), l’heure était venue de régler sa succession. Seul candidat en lice, Brahim Ghali a été élu avec une majorité écrasante le 9 juillet. Et c’est en treillis, les manches retroussées, un gros ceinturon autour de la taille, le regard perçant et le poing levé vers le ciel qu’il est monté sur l’estrade pour prêter serment devant une effigie géante de son ancien compagnon d’armes qui a dirigé le Polisario pendant quatre décennies.

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Candidat naturel

L’intronisation de Brahim Ghali est tout sauf une surprise. « Il était pressenti comme premier dirigeant du Polisario avant même la désignation de Mohamed Abdelaziz, juge un ancien ambassadeur algérien qui a longtemps côtoyé Ghali. Il s’est mis en réserve en attendant que son tour arrive. »

Né en 1949 à Smara, dans la région de Laayoune, Ghali est une figure historique du mouvement indépendantiste. Membre fondateur du Front populaire pour la libération de la Saguia el-Hamra y Río de Oro (Polisario), né en 1973, c’est un militaire de pure souche. Après le retrait, en février 1976, des troupes espagnoles qui occupaient cette colonie, il mène la guérilla contre le Maroc et la Mauritanie pour revendiquer l’indépendance du Sahara occidental.

Ministre de la Défense du Polisario entre 1976 et 1989, il est de toutes les batailles contre l’armée marocaine avant de participer aux premiers pourparlers avec Hassan II, qui débouchent sur le cessez-le-feu de 1991. Lorsque, en novembre 1989, il est reçu avec la délégation sahraouie dans le palais du souverain marocain à Marrakech, Brahim Ghali prend place non loin d’un certain Mohammed VI, alors jeune prince héritier.

C’est en treillis et le poing levé vers le ciel qu’il est venu prêter serment

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Chef de région militaire, ministre des Territoires occupés durant les années 1990, Brahim Ghali troque le treillis contre le costume civil en devenant représentant du Polisario à Madrid en 1999. Il restera près de neuf ans dans ce pays qui avait placé le Sahara occidental sous protectorat dès 1884. « Son passage en Espagne lui a permis de tisser un vaste réseau de contacts en Europe et dans le reste du monde », soutient l’un de ses amis algériens.

En 2008, Ghali s’installe à Alger en tant qu’ambassadeur de la RASD. Sur place, il côtoie des politiques de tous bords, fréquente le monde des médias et tisse surtout des liens étroits avec de nombreux généraux, dont l’ex-président algérien Liamine Zéroual, qui avait commandé au milieu des années 1980 la région militaire de Béchar, à la frontière marocaine, ou Ahmed Gaïd Salah, l’actuel vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée. Ce dernier était d’ailleurs présent lors de l’audience qu’Abdelmalek Sellal, le Premier ministre algérien, a accordée à Brahim Ghali le 13 juillet.

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Visite officielle en Algérie

Alger, première destination du nouveau président du Polisario : c’est l’évidence même, tant il est vrai que l’Algérie n’a jamais transigé sur son soutien à la cause sahraouie – au grand dam de son voisin marocain, avec lequel ses relations demeurent tendues pour cette raison justement. En recevant Brahim Ghali quatre jours après son élection, les autorités algériennes entendent adresser un message qui ne souffre pas d’ambiguïté au Palais : Alger tient plus que jamais à l’organisation d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU.

L’indifférence marocaine

Quid de Rabat ? Le Maroc ne reconnaissant pas la RASD, aucune réaction officielle n’a commenté l’arrivée de Brahim Ghali à la tête du Polisario. Officieusement, on la considère comme le pire des scénarios. Son élection est interprétée comme une volonté des Sahraouis, mais aussi des Algériens, de radicaliser davantage le mouvement. Ex-ambassadeur en Algérie, Ghali est perçu comme étant à la botte du pouvoir algérien.

Ancien ministre de la Défense, il incarne l’aile dure des dirigeants sahraouis. À Rabat, on se plaît à rappeler qu’il a une dent contre le Maroc depuis qu’il a fait l’objet d’une plainte pour crime contre l’humanité, déposée à Madrid en 2007 par l’Association des disparus victimes du Polisario (ADVP) alors qu’il était son représentant en Espagne.

Nous sommes partisans de la paix et nous sommes prêts à coopérer avec le royaume du Maroc, avance t-il

Aurait-on préféré voir à sa place Bachir Mustapha Sayed, frère d’El-Ouali Mustapha Sayed, l’un des fondateurs du Polisario, mort en 1976 ? Vieille connaissance des Marocains, avec lesquels il a pris part à divers rounds de discussions, il serait davantage enclin au dialogue et au compromis. « Le Palais aurait souhaité quelqu’un de plus souple », admet un membre du sérail algérien. Bachir Mustapha Sayed n’était même pas candidat, il faudra composer avec Brahim Ghali.

Le difficile chemin vers la paix

Ses premiers mots de chef du Polisario donnent le ton de sa future politique : marcher sur les traces de Mohamed Abdelaziz. Tantôt ferme, tantôt conciliant, Ghali ouvre d’abord une porte pour tenter de trouver une solution au conflit : « Nous sommes partisans de la paix et nous sommes prêts à coopérer avec le royaume du Maroc en vue d’exploiter les possibilités d’une solution qui existe encore, qui bénéficie du consensus du monde, fondée sur le respect du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance. »

Mais cette voie est vite contrebalancée par des menaces. « Il est une porte ouverte vers une paix réelle, et le royaume marocain en assumera toutes les conséquences lors de sa fermeture, parce que le peuple sahraoui défendra ses droits sans relâche et par tous les moyens », prévient Ghali. Y compris la guerre ? « Il faut poursuivre et intensifier le renforcement de l’armée et la préparer à toutes les éventualités. »

Des propos qui pourraient augurer une éventuelle escalade. Mais sous ses airs de vieux chef de guerre implacable et peu charismatique – comme l’était Mohamed Abdelaziz –, l’austère Brahim Ghali présenterait plutôt un profil de négociateur, si d’aventure les deux parties acceptaient de se réunir autour d’une table, reconnaît un ex-ambassadeur algérien.

Certes, rien ne laisse penser que la situation va évoluer dans ce sens. Pourtant, un événement récent laisse entrevoir une lueur d’optimisme. Un peu plus de deux mois après l’expulsion des membres de la Minurso, Rabat a accepté le retour graduel de la composante civile et politique de cette mission de l’ONU mise en place en 1991.

Et si tout se jouait aux Nations unies ?

C’est dans une arène lointaine, mais essentielle, que se joue en grande partie l’avenir du Sahara occidental. En mars, la tension entre Rabat et le bureau du secrétaire général des Nations unies à New York a culminé après que Ban Ki-moon a qualifié d’« occupée » la région que le royaume marocain revendique comme partie intégrante de son territoire, amenant ce dernier à décider l’expulsion de 75 membres civils de la Minurso.

Le 29 avril, quand le Conseil de sécurité a voté une résolution prolongeant la Minurso jusqu’en avril 2017 et appelant à son retour sur place, ses membres « amis du Polisario » ont fait grise mine, le représentant du Venezuela déclarant ainsi : « Si ç’avait été un pays plus faible ne comptant pas d’amis au Conseil de sécurité, ce dernier n’aurait pas hésité à imposer des sanctions. » Les chancelleries régionales ont donc suivi avec fébrilité la nomination de cinq nouveaux membres du Conseil à la fin du mois de juin, spéculant sur la capitale, Rabat ou Alger, vers laquelle ces arrivées pourraient faire pencher le groupe.

Mais aucun bouleversement n’est intervenu, l’Éthiopie et la Bolivie, favorables à la RASD, remplaçant l’Angola et le Venezuela, qui sont sur la même ligne. Seul nouvel espoir pour les partisans du Polisario, la nomination de la Suède, dont le Parlement avait reconnu la RASD en 2012, mais sans que l’exécutif n’y donne suite. Le 29 juin, le Comité suédois de solidarité avec le peuple sahraoui appelait le gouvernement scandinave à profiter de cette position pour concrétiser le vote de 2012.

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