Maroc : turbulences passagères pour l’économie

La chute des récoltes de céréales a durement freiné la croissance cette année. Pourtant, grâce à ses nouveaux métiers, le royaume dépend de moins en moins du climat.

Fabrication de la Dacia Lodgy dans l’usine Renault de Tanger. © renault/brossard/REA

Fabrication de la Dacia Lodgy dans l’usine Renault de Tanger. © renault/brossard/REA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 29 juillet 2016 Lecture : 4 minutes.

Le chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane lors d’un meeting du Parti justice et développement (PJD) le 14 juillet 2012 à Rabat. © Paul Schemm / AP / SIPA
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Maroc : objectif législatives

À deux mois des élections à la Chambre des représentants, fixées au 7 octobre, toutes les formations politiques s’organisent. Pendant que le gouvernement sortant d’Abdelilah Benkirane défend son bilan, en particulier sur le plan économique.

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Au premier abord, la dépendance climatique pèse toujours sur l’économie marocaine. La pluie s’est faite rare, avec des niveaux de précipitations de moitié moins élevés qu’à l’accoutumée depuis plusieurs mois. Cette sécheresse a fait chuter la récolte de céréales à 38 millions de quintaux, au lieu des 70 millions attendus cette année. Du coup, la croissance du PIB – dont le gouvernement et le FMI prédisaient qu’elle s’élèverait à 3 % – devrait se situer entre 1 % et 2 %, rythme le plus bas depuis le début des années 2000, ce qui est d’autant plus douloureux que 2015 avait été faste, avec 4,5 %.

Les facteurs du recul de la croissance marocaine

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Il faut dire que ce trou d’air a été aggravé par d’autres pesanteurs, venues de l’extérieur ou propres au Maroc. Parmi les premières, citons une Europe languissante, dont les importations ne sont pas très dynamiques, mais aussi le recul du prix du phosphate, dont le royaume est le premier producteur mondial. Parmi les seconds facteurs de mollesse figurent d’une part la perspective des élections législatives d’octobre, qui rendent inévitablement plus frileux les investisseurs étrangers, et d’autre part la faiblesse des crédits bancaires à l’économie.

À cet égard, le gouvernement Benkirane a très mal pris le mémorandum critique que lui ont adressé, le 2 juin, la Banque centrale du Maroc (Bank al-Maghrib, BAM), la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM, patronat) et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), jugeant qu’il s’agissait d’une manœuvre pour le mettre en difficulté à quelques mois des élections.

Un fonds pour les PME

Interrogé sur ce sujet, Abdellatif Jouahri, le gouverneur de la Banque centrale, s’est mis en colère : « J’ai connu quatre chefs de gouvernement, Youssoufi, Jettou, El Fassi et Benkirane, et jamais la Banque centrale n’a changé sa méthode de travail, ni fait de calculs politiques. Nous œuvrons seulement dans l’intérêt du pays. » Avant d’ajouter : « Ce n’est pas parce qu’il y a un scrutin que l’on doit se taire et ne rien faire. »

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L’objectif est en effet d’agir pour corriger la défaillance de financement de l’économie marocaine, qui empêche ses entreprises de se développer et de créer des emplois. Le mémorandum avance des propositions pour consolider la trésorerie des entreprises, fragilisée par les délais de paiement excessifs, notamment dans le secteur public. Il invite à réserver 20 % de la commande publique aux très petites et moyennes entreprises, et à monter un fonds de restructuration pour venir au secours de celles qui rencontrent des problèmes.

Le document suggère encore d’évaluer l’impact des différentes stratégies sectorielles (agriculture, tourisme, industrie, etc.), ce qui n’est pas un crime de lèse-majesté ! Car si le Maroc investit beaucoup (environ 30 % de son PIB), c’est peu productif puisqu’il lui faut 7 unités de capital pour gagner 1 point de croissance, alors que la Turquie se contente pour ce faire de 5,2 unités et la Corée du Sud, de 2,9 unités.

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Automobile et aéronautique pour contrer l’influnece de la pluie

Mais que le Maroc se rassure : les turbulences qu’il traverse seront passagères, et les prévisionnistes du FMI, comme ceux de Standard & Poor’s, s’attendent à ce que son économie reparte de l’avant. Son PIB atteindra-t-il 3,5 % ou 4,2 % de hausse en 2017 ? Bien malin qui pourrait le dire. L’important, c’est que se confirme une moindre dépendance à la pluie.

Dans les années 1990, les variations étaient brutales, une récession pouvant succéder à une croissance annuelle de 10 % du seul fait de la sécheresse. Depuis le milieu des années 2000, la progression du PIB est plus constante (autour de 4 %) parce que l’économie s’est diversifiée et parce que la gouvernance a pris le chemin des réformes.

Les nouveaux métiers du royaume portent leurs fruits et lui permettent de mieux supporter les aléas de la conjoncture. L’aéronautique et, surtout, l’automobile à Tanger Med se développent à toute vitesse : Airbus a entraîné dans son sillage Latécoère, Thales et Bombardier, et Renault a été imité par PSA et Ford. La montée en puissance est forte : aujourd’hui, Renault produit au Maroc 40 % des pièces de ses voitures assemblées à Tanger ; en 2023, ce sera le cas pour plus de 65 % d’entre elles. Il est symbolique que l’automobile ait dépassé le phosphate dans les exportations du royaume.

Le FMI juge que le Maroc dispose d’un fort potentiel. « Son secteur céréalier a été très touché par la sécheresse, mais les autres secteurs agricoles sont restés dynamiques et, au total, la croissance ne devrait fléchir en 2016 qu’aux alentours de 2 %, juge Nicolas Blancher, chef de mission du FMI. Le pays dispose de nombreux atouts, en particulier sa stabilité économique et politique.

Un retour prompt de la croissance

À moyen terme, l’assainissement budgétaire engagé depuis quelques années devrait contribuer à une croissance soutenable. À cet égard, des réformes clés ont été réalisées : la loi organique des finances et la suppression des subventions aux carburants. D’autres – tout aussi importantes – sont en cours, qui portent sur le système des retraites et la mise en œuvre de la régionalisation avancée. »

Même optimisme raisonné chez Hassan Daoudi, associé responsable des activités conseil de Deloitte Maroc : « Si nous retrouvons l’an prochain une pluviométrie normale, nous approcherons les 4 %. Et si l’on ajoute le plan d’accélération industrielle [qui prévoit 90 000 nouveaux emplois d’ici à 2020], la COP22, les investissements massifs dans l’énergie solaire et le fait que le Maroc s’affirme comme un hub africain incontournable, l’année 2016 sera vite oubliée ! »

À condition que le gouvernement qui sortira des urnes en octobre n’oublie pas les trois handicaps qui freinent les performances du royaume : un système éducatif médiocre, une pauvreté persistante et de grandes inégalités sociales et géographiques.

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