Moïse Katumbi : « Kabila peut encore sortir par la grande porte »
On aurait pu le croire affaibli, découragé, mais l’ancien gouverneur du Katanga ne veut rien lâcher. Oui, promet-il, il rentrera bientôt et entend toujours succéder au président sortant.
Un mois et demi de silence. Après son départ de Lubumbashi par avion médicalisé, le 20 mai, l’ancien flamboyant gouverneur du Katanga, passé à l’opposition et devenu candidat à la présidentielle, s’était fait discret. La rumeur s’était déchaînée, jusque dans les rangs de ses supporters. Quel était réellement son état de santé ? Avait-il négocié avec le pouvoir ? Avait-il vraiment la carrure et la détermination d’un homme d’État ?
L’homme qui nous reçoit, en ce mois de juillet, dans son hôtel parisien paraît en tout cas confiant. Dans sa bouche souriante, si longtemps astreinte au silence, idées et arguments se bousculent. Peut-être ses récents ennuis respiratoires – encore décelables pour le visiteur averti – ne lui permettent-ils pas de courir un sprint. Pas maintenant, pas tout de suite.
Mais c’est de toute façon à une autre discipline qu’il se prépare : la course d’obstacles. Il le sait, lui qui a déjà été inculpé dans une affaire de mercenariat et condamné dans une autre affaire, immobilière cette fois-ci. Quant à la présidentielle, elle paraît bien mal engagée : le président de la commission électorale, Corneille Nangaa, a confirmé qu’elle ne pourrait pas se tenir dans les délais et, à dire vrai, personne n’y croyait plus vraiment. Malgré tout, Moïse Katumbi n’a renoncé à rien. Catholique fervent, il se croit toujours promis aux plus hautes destinées.
Jeune Afrique : Comment allez-vous ?
Moïse Katumbi : Je vais bien.
De quoi souffrez-vous exactement ?
Ce que je sais, c’est qu’en mai j’ai été convoqué à trois reprises pour être entendu au palais de justice de Lubumbashi. Les deux premières fois, j’étais bien portant. Mais, à l’issue de la troisième audition, j’ai été agressé par des policiers cagoulés qui m’ont piqué dans le dos avec une seringue infectée. Suite à cela, j’ai eu de très graves problèmes respiratoires et j’ai été hospitalisé pendant près d’une semaine.
Les médecins ne trouvaient pas l’origine du problème faute de laboratoire spécialisé chez nous. Ils ont demandé mon évacuation par avion médicalisé. Le gouvernement a voulu vérifier en envoyant ses médecins légistes, qui sont arrivés aux mêmes conclusions.
La substance qui vous a été injectée a-t-elle été identifiée ?
J’ai passé des examens en Allemagne et en Angleterre. J’en publierai les résultats pour montrer que nous avons affaire à des assassins. Sans cette agression, je serais toujours au pays. Mais j’étais malade, et la santé passe avant tout : il fallait que je me rétablisse pour pouvoir continuer le combat.
Vous avez été inculpé dans une affaire de mercenariat. Avez-vous passé un accord avec le pouvoir pour obtenir cette autorisation de sortie du territoire ?
Je n’ai pas négocié. J’étais prêt à affronter la justice. Je savais que leur dossier était bidon. C’était un montage, très mal ficelé d’ailleurs. Ils ont d’abord parlé de plus de 600 mercenaires, puis le ministre de la Justice a ramené ce chiffre à 458. Et puis finalement, on n’a plus parlé que de 12 hommes !
Depuis, vous avez été condamné dans une affaire de spoliation de bien immobilier à une amende de 1 million de dollars et, surtout, à trois ans de prison. Comment y avez-vous réagi ?
Là encore, c’est un montage. Il ne s’agit pas de ma maison mais de celle de mon grand frère, Raphaël Katebe Katoto. Il l’a achetée quand j’avais 12 ans. Depuis, il a toujours eu le titre de propriété. Cette maison est connue de tous au Katanga, mais ils sont allés chercher un Grec, M. Stoupis, qui, comme par hasard, opère avec le même avocat que le directeur de l’Agence nationale de renseignement, Kalev Mutond.
Et il a demandé mon inéligibilité, vous vous rendez compte ? Ils affirment que je l’aurais spolié en 1998 et ils ont sorti un document daté de 2002. Mais je n’étais même pas au pays entre 1997 et 2003 ! Par la suite, mes avocats ont été empêchés de plaider. Un des juges a été écarté parce qu’il a refusé de signer la condamnation… C’est bien la preuve que tout cela est totalement politique.
Maintenez-vous malgré tout votre candidature ?
Oui, je suis candidat. D’une certaine manière, en s’acharnant contre moi, ils font ma campagne !
Mais puisque cette peine vous rend inéligible, quelle stratégie allez-vous adopter ?
J’ai demandé à mes avocats de faire appel. Ceux qui utilisent des méthodes dictatoriales doivent faire très attention : le 19 décembre 2016 [date de la fin du dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila], nous aurons de nouveau un État de droit, et ce sont eux qui seront poursuivis.
Si vous considérez que la justice est instrumentalisée, comment espérez-vous faire annuler la condamnation ?
Je sais qu’il sera difficile de l’emporter en appel dans le contexte actuel. Mais l’essentiel est que je puisse poursuivre la procédure en attendant le retour de l’État de droit.
J’ai été faussement condamné et je ne me laisserai pas intimider.
Pour se battre, il faut être sur le terrain. Allez-vous rentrer en RD Congo ?
Bien sûr que le combat doit être mené chez nous, et je veux rentrer le plus vite possible. Les médecins doivent encore faire des examens, mais j’aurais voulu être là pour accueillir Étienne Tshisekedi, le président du Rassemblement [une structure créée début juin qui rassemble la majeure partie de l’opposition], lorsqu’il rentrera fin juillet.
Ne craignez-vous pas d’être arrêté ou que l’on porte atteinte à votre intégrité physique ?
J’ai été faussement condamné. J’ai la conscience tranquille et je ne me laisserai pas intimider. Je rentrerai. Mais avant j’écrirai aux membres de la communauté internationale, à l’ONU, à l’UE et à l’Union africaine pour dénoncer ce qui se passe dans notre pays. Il n’y a plus de justice. Nous sommes en 2016 et ce n’est pas acceptable.
Vous avez longtemps travaillé avec le président Kabila. Vous avez dirigé ce qui s’appelait à l’époque le Katanga, la province dont il est originaire. On peut supposer que vous avez des informations sur lui. Comptez-vous riposter sur ce terrain ?
Mon combat est pacifique. Nous ne sommes pas des ennemis, seulement des adversaires politiques. J’ai démissionné de la majorité car j’ai senti que le peuple ne serait pas d’accord avec la direction que nous prenions. Au sein de la majorité, je disais : « Le président a prêté serment. Il faut qu’il le respecte. » Je n’ai pas été écouté.
Nous avons obtenu cette Constitution par consensus après des millions de morts dans une guerre que personne n’a gagnée. Nous ne voulons plus de troubles dans le pays. Si le président Kabila aime son pays, il doit organiser ces élections. Il en a encore le temps. Son départ doit marquer la première alternance de notre histoire. S’il fait cela, ce sera une grande fête ; il gagnera le respect du monde entier et pourra rester au pays.
Le problème vient-il de son entourage ?
Les membres de son entourage sont très conscients du rejet de la population. Mais ils ont peur pour leur avenir : ils veulent continuer à bénéficier de l’argent des Congolais. Alors ces menteurs paient de petites foules pour lui faire plaisir et chanter : « Monsieur le président, restez. » Mais, demain, ces mêmes personnes se retourneront contre lui, comme ils l’ont fait contre Mobutu après l’avoir soutenu. Ils diront alors : « Je n’ai rien fait : c’était Kabila ! »
Comment pensez-vous contraindre le pouvoir à organiser l’élection dans les délais ?
Si la commission électorale ne convoque pas les élections en septembre comme prévu, les problèmes commenceront. Joseph Kabila sera chassé du pouvoir par des marches pacifiques. Les Congolais sont prêts, ils sont très mûrs. Ils l’ont montré en janvier 2015 en manifestant contre la loi électorale alors qu’on leur tirait dessus. Ensuite, il y aura des poursuites judiciaires contre ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir.
L’appel à manifester du 26 mai a été peu suivi, y compris dans votre fief de Lubumbashi. Comment l’expliquez-vous ?
C’est à cause de la répression. Ève Bazaiba, la secrétaire générale du MLC [Mouvement de libération du Congo], qui avait organisé la manifestation à Kinshasa, a été blessée. Les médias sont fermés, il n’y a plus de liberté d’expression ni de justice. Pourquoi refuse-t-on aux opposants de voyager librement ? Parce que le pouvoir sait qu’il a perdu le soutien de la base !
Pensez-vous que la communauté internationale joue son rôle ?
Elle aide beaucoup le peuple congolais. Elle contribue chaque année à notre budget. J’entends dire que nous sommes un État souverain. Oui, c’est vrai, mais nous avons aussi des partenaires que nous devons respecter. Mais je veux insister sur le fait que ce sont les Congolais qui livreront la vraie bataille.
L’UE paraît plus encline au compromis que les États-Unis, qui ont gelé les avoirs du chef de la police de Kinshasa, Célestin Kanyama. Le déplorez-vous ?
Le président Barack Obama a aussi écrit à Joseph Kabila que l’alternance était imminente… Je remercie les États-Unis, tout comme je remercie l’UE, dont le Parlement a voté une résolution qui prévoit de nouvelles sanctions.
L’opposition s’est réunie à Genval, près de Bruxelles, début juin. Quel rôle avez-vous joué ?
J’avais communiqué avec de nombreuses personnes en amont pour que ce rassemblement soit une réussite, et c’est la première fois dans l’histoire du Congo que des opposants signent ensemble un tel document. J’ai été représenté, mais si je n’avais pas été malade, je m’y serais rendu personnellement aux côtés du président Tshisekedi.
Avez-vous contribué au financement de ce rassemblement ?
Non. Mais, grâce à mes contacts, j’ai fait en sorte que tout le monde participe. Cela dit, il est intéressant de constater que l’on voit la main de Moïse Katumbi partout… C’est que je dois faire peur ! Et puis se demande-t-on qui a financé les discussions qu’ont eues le gouvernement congolais et l’UDPS [l’Union pour la démocratie et le progrès social, d’Étienne Tshisekedi] il y a quelques mois, à Ibiza et à Venise ? Et qui finance à chaque fois les grands rassemblements de la majorité présidentielle ? Je vais vous le dire : c’est le Trésor public. Autrement dit, le peuple congolais.
Plus vous vous rapprochez d’Étienne Tshisekedi, plus vous vous éloignez d’un autre opposant, Vital Kamerhe, dont vous étiez naguère proche. Quelles sont aujourd’hui vos relations avec l’ancien président de l’Assemblée nationale ?
Elles sont toujours bonnes. Vital Kamerhe fait partie de la plateforme de la Dynamique de l’opposition, qui était représentée à Genval. C’est encore un opposant, à ce que je sache !
Mais il n’était pas présent physiquement. Il était à Paris, alors qu’il aurait pu facilement faire une apparition. N’est-ce pas un signe ?
Il avait peut-être un empêchement. Moi-même, j’étais en Europe et je n’ai pas pu y aller.
Et avec le MLC de Jean-Pierre Bemba, qui vient d’être condamné par la Cour pénale internationale ?
Lui aussi fait partie de la Dynamique de l’opposition et il était donc représenté. Toute l’opposition est unie derrière un même message : Joseph Kabila doit partir le 19 décembre 2016. Je conseille d’ailleurs aux Congolais de dire : « Au revoir, monsieur le président » et « Au revoir, monsieur le ministre » dès aujourd’hui, chaque fois qu’ils en auront l’occasion.
Une candidature commune de l’opposition est-elle possible ? Accepteriez-vous de vous désister si cela devait mener à la victoire ?
Nous nous battons pour une candidature commune, et c’est d’ailleurs ce qui a fait si peur au pouvoir, à Genval. Lors de la présidentielle de 2011, j’étais dans la majorité, mais l’opposition avait remporté plus de voix que nous. Ce sont ses divisions qui l’ont empêchée de gagner. Cette fois-ci, nous allons nous réunir, étudier le profil de chacun, sa popularité, sa capacité à amener le changement, et, si l’on ne me choisit pas, je me retirerai.
Il paraît de moins en moins probable qu’une élection sera organisée dans les délais. Que se passera-t-il le 20 décembre, à l’expiration du dernier mandat de Joseph Kabila ?
Je ne suis pas d’accord : je pense qu’il est encore possible de respecter les délais constitutionnels. Michaëlle Jean, la secrétaire générale de l’OIF [Organisation internationale de la francophonie] l’a dit, après avoir pris connaissance du rapport de ses experts : l’enrôlement des nouveaux majeurs peut avoir lieu en trois mois. Ce n’est pas une élection si compliquée.
Mais s’il n’y a pas de volonté politique pour y arriver ?
Alors le peuple récupérera son pouvoir.
Il y a donc un risque de dérapage…
Cela ne dérapera pas. Tout le monde a besoin de changement, même l’armée et la police. Ils bénéficieront eux aussi de l’État de droit et de l’amélioration des conditions de vie et des salaires. Nous organiserons des manifestations pacifiques. Si des gens tirent sur la population, ils devront en répondre. Kanyama a été sanctionné par les États-Unis. Ce ne sera pas le dernier.
Si le président Kabila ne partait pas pacifiquement, il ferait une grave erreur.
Au sein de l’opposition, on évoque souvent la possibilité d’une transition, qui serait présidée par Étienne Tshisekedi. Qu’en pensez-vous ?
Il ne faut pas réfléchir à une transition, mais à organiser la présidentielle.
Mais vous êtes obligé de vous y préparer…
Si le président Kabila ne partait pas pacifiquement, il ferait une grave erreur. Il a déjà eu deux mandats, il doit partir. Il y a une vie après la présidence de la République.
Que pensez-vous de son offre de dialogue ?
Le Rassemblement, dont je fais partie, a refusé le dialogue convoqué par le président Kabila. Nous voulons l’application de la résolution 2277 du Conseil de sécurité des Nations unies. S’il doit y avoir un dialogue, ce sera celui convoqué par le président entrant. M. Kabila y sera aussi convié en tant qu’ancien président.
Qu’auriez-vous à lui dire aujourd’hui ?
S’il aime son pays, il doit respecter la Constitution. Il ne faut pas qu’il sorte par la petite porte, il ne faut pas qu’il cherche à dribbler les Congolais et il ne faut pas qu’il oublie que, nous aussi, nous sommes de grands dribbleurs.
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