Exposition : quand l’art fait le mur

Grafikama (Service peinture) réunit peintres et plasticiens du continent dans un ancien atelier industriel de Nantes. L’occasion de découvrir des créateurs peu présents dans les circuits habituels.

Le Sénégalais Barkinado Bocoum rend hommage aux enfants-soldats. © adeline moreau/pick up production

Le Sénégalais Barkinado Bocoum rend hommage aux enfants-soldats. © adeline moreau/pick up production

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 3 août 2016 Lecture : 3 minutes.

Avec plus de 1 700 expéditions négrières, le port de Nantes s’illustra tristement dans « l’infâme trafic », participant à la déportation de quelque 500 000 esclaves, principalement vers les Antilles. Aujourd’hui, la ville a entrepris un travail de fond sur son histoire, notamment en inaugurant en 2012 le Mémorial de l’abolition de l’esclavage.

De nombreux artistes subsahariens mobilisés

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À distance de ce registre mémoriel, mais sans l’ignorer pour autant, les organisateurs de la grande fête estivale qu’est Le voyage à Nantes – de multiples interventions artistiques à travers toute la cité – ont invité cette année le continent à s’exprimer dans un ancien atelier industriel de la rue des Pénitentes. À l’origine de cette initiative, baptisée Grafikama (Service peinture), l’association Pick Up Production et l’artiste Kazy Usclef.

Se sont retrouvés, pour deux semaines de création en commun, l’Éthiopien Getachew Berhanu, les Sud-Africains Blessing Ngobeni et Nardstar, les Sénégalais Barkinado Bocoum et Bassirou Wade, le Français Emmanuel Prost et ses compatriotes les sœurs Chevalme…

Une démarche libératoire pour les artistes

C’est Kazy Usclef qui s’est chargé de les rassembler après une tournée africaine. « Je n’avais jamais mis les pieds sur le continent, dit-il. J’ai choisi les artistes en fonction des rencontres, des échanges, sans vraiment chercher à être représentatif de la scène d’un pays. On s’oriente plus vers des créateurs peu connus, qui n’ont pas forcément l’occasion de présenter leurs œuvres et qui sont influencés par l’héritage graphique local. » Dans le petit immeuble investi, les murs sont décatis, les vitres brisées, les sols défoncés.

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« Le lieu est voué à la destruction, c’est très libératoire pour les artistes », poursuit Usclef. Le résultat, c’est une espèce de parc d’attractions visuel où chaque pièce propose un nouveau voyage, voire plusieurs. Ainsi, le maître-bricoleur Bassirou Wade présente-t-il sa grande pirogue sciée en deux par une main divine dans un environnement de type carnet de voyage croqué par le français Emmanuel Prost.

Messages politiques et dénonciations

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Plus politique, le Sud-Africain Blessing Ngobeni propose une installation à base de peintures et de magazines découpés chargée de symboles où une hyène décapitée voisine avec un homme politique répandant sa semence sur les murs en conquérant viril affamé de puissance et d’argent. « Nos leaders s’intéressent à nous seulement en période électorale », commente l’artiste, qui insiste par ailleurs sur la nécessité de mieux respecter « ces femmes dont nous sommes nés et dont nous abusons ».

Le temps d’une parenthèses utopiste, l’idée de détournement unit ces treize artistes

Également influencées par leurs questionnements politiques, les sœurs Chevalme proposent, elles, deux installations traitant de la mobilité des hommes et des marchandises. Elles ont ainsi entassé des migrants que l’on imagine clandestins dans une grande valise drapée d’une couverture de survie siglée Louis Vuitton. En phase avec la Coupe d’Europe de football, les deux artistes proposent aussi une cage de but rappelant furieusement un poste-frontière, des spires de fil de fer barbelé y emprisonnant des ballons blancs.

Prix de la Francophonie lors de la biennale de Dakar 2010, Barkinado Bocoum a pour sa part transformé toute une salle du rez-de-chaussée, peignant murs et troncs d’arbres vissés au sol, multipliant les jeux de perspective. « Je travaille sur la décomposition des formes, des lignes, des couleurs, afin de ne pas imposer un seul point de vue, dit-il. C’est un peu comme si on était devant un miroir cassé, on sent qu’il y a de la vie quand il y a du mouvement. »

Même volonté de jeu avec les clichés pour Kazy Usclef, qui s’est permis de peindre à sa manière un taxi-brousse dakarois et de donner une autre dimension à une statuette de bois rappelant les arts classiques africains… Au fond, c’est sans doute l’idée de détournement, l’invite à faire un pas de côté, qui unit tous ces artistes ayant partagé le même espace de travail le temps d’une parenthèse utopiste. Une démarche d’autant plus enthousiasmante qu’elle ne prétend qu’à l’éphémère et s’élève sur des ruines.

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