RD Congo : Tshisekedi, sphinx ou phénix ?
De retour au pays après un long exil à Bruxelles pour raisons de santé, le leader de l’opposition Étienne Tshisekedi a été accueilli triomphalement. Le début d’une nouvelle ère, selon certains.
Le 16 août 2014, quand Étienne Tshisekedi a été pris d’un malaise et évacué de Kinshasa vers Bruxelles par un avion médicalisé, beaucoup ont pensé que la fin du vieux lion était proche. « Bon débarras », se sont dit tout bas plusieurs membres de l’entourage de Joseph Kabila, le chef de l’État congolais, que l’opposant Tshisekedi avait failli battre à la présidentielle de novembre 2011 – « les résultats officiels ne sont pas crédibles », avait même conclu la mission des observateurs de l’Union européenne. Mais, depuis ce 27 juillet, tout a changé.
Ce matin-là, malgré ses 83 ans, c’est un Tshisekedi ragaillardi qui monte à bord d’un jet privé de douze places, sur l’aéroport de Bruxelles, à Zaventem. À bord du Falcon, sa femme, Marthe, son fils Félix, son secrétaire particulier, l’abbé Théodore Tshilumba, un médecin et l’homme d’affaires Raphaël Katebe Katoto – le frère aîné de l’opposant Moïse Katumbi.
Un important comité d’accueil
En début d’après-midi, l’avion se pose à Kinshasa-Ndjili. Coiffé de sa casquette légendaire, le chef historique de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) descend lentement la passerelle en s’appuyant sur l’épaule de son fils. Une jeune fille en blanc avec un bouquet de fleurs, une cinquantaine de leaders de l’opposition… Le comité d’accueil est là, en présence du chef de la police de Kinshasa, le général Célestin Kanyama – l’homme que les États-Unis ont placé sous sanctions financières, le 23 juin, pour « violence contre des civils ».
Surtout, à l’extérieur de l’aéroport, une foule immense l’attend. Des militants de l’UDPS, bien sûr, mais aussi de nombreux sympathisants d’autres partis. « Nous avons quitté nos maisons très tôt, sans manger, pour recevoir le président Étienne Tshisekedi, parce que nous voulons un changement dans ce pays », lance un manifestant. En lingala, les slogans fusent : « Kabila, ton mandat est fini » ; « Kabila, tu n’es qu’un locataire, le propriétaire est de retour ».
Combien sont-ils sur les 17 km qui séparent l’aéroport de sa maison du quartier de Limete ? Sans doute des centaines de milliers. Debout, émergeant du toit de sa voiture, le « líder máximo » salue ses partisans avec son air boudeur, le regard brillant.
Comme il faut s’arrêter tous les deux kilomètres pour répondre aux vivats de la foule, le cortège met cinq heures à arriver à destination. Visiblement transporté par la liesse, le vieil opposant ne montre aucun signe de fatigue. Sur les derniers kilomètres, il fait nuit, et l’électricité est coupée. Des deux côtés de la route, comme dans une procession, les Kinois allument briquets et bougies. Un militant s’exclame : « Malgré la lumière de la nuit, le jour finit par apparaître ! »
Le pouvoir est-il déstabilisé par ce « triomphe » à la romaine ? « Pas du tout, répond Lambert Mende, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. D’abord, il faut saluer le professionnalisme du gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta, et celui de Célestin Kanyama. En concertation avec l’UDPS, ils ont permis que ce retour se passe correctement, sans heurts.
Une partie de l’opposition demeure invisibilisée
Ensuite, nous ne sommes pas surpris. Étienne Tshisekedi a toujours été très populaire à Kinshasa et au Kasaï [sa province natale]. Mais rameuter 100 000 personnes dans la capitale est une chose, mobiliser le Congo profond en est une autre. Kinshasa ne représente que 10 % de la population. En plus, il manquait quelques figures de l’opposition. Ni les dirigeants du MLC [le Mouvement de libération du Congo], de Jean-Pierre Bemba, ni ceux de l’UNC [l’Union pour la nation congolaise], de Vital Kamerhe, n’étaient là. »
L’opposition n’est pas une église où tout le monde doit dire amen à Tshisekedi !
Mende n’a pas tort. Ce 27 juillet, à Ndjili, les lieutenants de Jean-Pierre Bemba ont brillé par leur absence. « Le 26 mai, l’UDPS ne s’est pas associée à la marche du MLC, explique Fidèle Babala, le secrétaire général adjoint du parti de Jean-Pierre Bemba. Nos deux formations sont partenaires, mais l’opposition n’est pas une église où tout le monde doit dire amen à Tshisekedi ! »
Il reste que, depuis le conclave des 8 et 9 juin au château de Genval, près de Bruxelles, tous les autres partis de l’opposition se sont ralliés à la bannière de Tshisekedi, nommé président du Rassemblement pour la défense des valeurs de la République.
Tshisekedi, figure emblématique de l’opposition
« Moi, je fais de la politique. Lui, il est la politique », lance un étudiant qui a ovationné « Ya Tshitshi » à son retour. La force du « père de la démocratie », comme l’appellent les Kinois, c’est qu’il est intouchable et que sa popularité, acquise par trente-quatre ans de lutte inlassable contre les régimes de Mobutu, de Kabila père et de Kabila fils, transcende tous les clivages politiques.
Tshisekedi, c’est l’opposant hors catégorie, et, la magie du « revenant » aidant, de nombreuses figures politiques, comme Moïse Katumbi, Delly Sesanga, Martin Fayulu, Joseph Olenghakoy et Olivier Kamitatu, se placent dans son sillage pour bénéficier de son aspiration. Même le sulfureux leader katangais Kyungu wa Kumwanza, accusé d’avoir inspiré les pogroms anti-Kasaïens de 1992 à Lubumbashi, a accepté en juin de se ranger derrière le « Sphinx de Limete » !
Quel est l’objectif de Tshisekedi et de ses alliés ? Depuis la rencontre de Genval, leur cap est fixé : obliger Joseph Kabila à quitter le palais au plus tard le 19 décembre, comme le prévoit la Constitution. Pour dialoguer avec le pouvoir, trois préalables : le respect du calendrier constitutionnel, la libération des prisonniers politiques et l’arrêt des poursuites judiciaires contre les dirigeants de l’opposition. Jusqu’à présent, ces opposants peinaient à mobiliser la rue en leur faveur. Depuis ce 27 juillet, ils se sentent pousser des ailes.
Départ de Kabila, sa santé, Moïse Katumbi…
« Le retour de Tshisekedi représente le début du départ de Kabila », affirme le député Martin Fayulu, du parti Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé). « Nous sommes tout près de la victoire », renchérit le leader lui-même. L’espoir de beaucoup de militants, c’est que Kabila parte et que Tshisekedi préside une transition jusqu’à l’organisation de la présidentielle – le temps de mettre à jour les listes électorales. Va-t-on vers le « grand soir » ? « Oh, il y a loin de l’assiette à la bouche ! » réplique Lambert Mende, qui veut croire que cette journée n’a été qu’un feu de paille.
Reste une question. Si le vieux Tshisekedi s’est refait une santé politique, où en est sa santé physique ? Certains proches parlent à demi-mot de problèmes de concentration et de mémoire. « Vous le voyez assumer des responsabilités étatiques ? lâche un député proche de l’opposition. On quitterait un roi fainéant pour un autre ! » Dans une récente interview accordée au quotidien français Le Monde, le « Sphinx » formule des réponses très brèves, mais calibrées. « Moïse Katumbi ferait-il un bon président ? – Je me réserve. C’est une question pour le futur. » Le vieux lion a toujours son coup de patte.
Donnant-donnant
En échange de leur participation à un dialogue avec Joseph Kabila, Étienne Tshisekedi et ses alliés réclament notamment la libération de 113 détenus, qui, à leurs yeux, sont des prisonniers politiques. Parmi eux figurent deux leaders de l’opposition. Eugène Diomi Ndongala, le chef de la Démocratie chrétienne, a été condamné en mars 2014 à dix ans de prison pour une affaire de mœurs.
Selon Tshisekedi, il s’agit d’un pur montage. L’avocat Jean-Claude Muyambo, fondateur de la Solidarité congolaise pour la démocratie et le développement (Scode), est en prison depuis dix-huit mois à la suite d’un litige immobilier qui n’est toujours pas jugé. L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et ses partenaires demandent aussi l’arrêt des poursuites judiciaires contre Moïse Katumbi, condamné en juin à trois ans de prison dans une affaire de spoliation immobilière.
Dans une lettre, la présidente du tribunal ayant prononcé la sentence dénonce les pressions subies : « J’ai été obligée de condamner M. Katumbi. » Le gouvernement dément et parle de « machination ».
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