Afrique du Sud – Moeletsi Mbeki : « C’est une bataille pour le contrôle des ressources de l’État »
En sa qualité d’analyste politique et de vice-président de l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA), le frère cadet de l’ancien président Thabo Mbeki dresse un tableau peu reluisant des luttes actuelles au sein de l’ANC. Selon lui les assassinats politiques n’ont aucune portée idéologique, mais servent des intérêts purement économiques.
Jeune Afrique : Ces derniers mois, l’Afrique du Sud a connu plusieurs assassinats politiques. Y a-t-il un risque que l’ANC connaisse une dérive mafieuse ?
Moeletsi Mbeki : Oui, il y a un peu de cela : certains groupes orchestrent la violence, c’est un fait. Cela a commencé dans la province du Mpumalanga (Nord-Est), lors de la préparation de la Coupe du monde 2010. À l’époque, la compétition pour obtenir les contrats de construction des infrastructures était intense. Le phénomène a ensuite touché la province du Nord-Ouest et gagne maintenant celle du KwaZulu-Natal (Ouest).
Que cherchent ceux qui sont derrière ces violences ?
Cela n’a rien d’une lutte idéologique. C’est une bataille pour l’accès aux ressources de l’État et pour leur redistribution entre les différentes factions qui dominent désormais l’ANC. Ces factions se disputent les marchés publics aussi bien que les détournements de fonds.
Cela aura-t-il un impact sur le résultat des élections du 3 août ?
Bien sûr, ne serait-ce que parce que plusieurs des personnes assassinées étaient des candidats. Mais il faut souligner que la désignation des candidats par le parti se fait de façon plutôt arbitraire. La direction de l’ANC garde un contrôle presque absolu sur qui peut être élu et qui ne le peut pas, notamment parce qu’elle craint de voir les masses prendre le contrôle du système.
Y a-t-il encore quelque chose qui unit le parti ?
Il a quand même une mémoire, une tradition. Dans ma famille par exemple, nous sommes membres de ce parti depuis trois ou quatre générations. En Afrique du Sud, l’ANC est presque devenu une église : il y a eu la génération de Mandela, qui a fait des sacrifices et demeure aujourd’hui encore très respectée. Et puis, depuis la fin des années 1990, l’ANC a mis en place un système de protection sociale qui bénéficie à près de 16 millions de personnes. Ce sont les fondations de l’allégeance à ce parti.
Cela suffira-t-il à éviter à l’ANC une déroute lors des prochaines élections ?
C’est vrai que son influence recule dans les grandes villes. Mais, au niveau national, l’ANC joue encore un grand rôle, notamment parce que la moitié de la population noire est encore rurale et qu’elle est restée fidèle au parti.
Il est peu probable que l’Afrique du Sud devienne de plus en plus autoritaire
Le président Zuma porte-t-il une responsabilité dans la dérive de l’ANC ?
Je parlerais plutôt d’une tendance de fond. L’écrivain martiniquais Frantz Fanon avait déjà pointé le fait que, une fois arrivés au pouvoir, les leaders des mouvements de libération nationale avaient tous tendance à conserver le système économique colonial pour l’utiliser à leur profit. Je pense que cela s’applique très bien à l’Afrique du Sud, mais nous ne sommes pas les seuls. Regardez ce qui s’est passé en Algérie : le Front de libération nationale (FLN), qui était exactement comme l’ANC, est lui aussi devenu une machine à enrichir les oligarques du parti.
Y a-t-il un risque que l’Afrique du Sud devienne de plus en plus autoritaire ?
C’est peu probable, parce que la majorité des habitants de ce pays se sont battus contre l’apartheid, à la différence du Zimbabwe, par exemple, où la rébellion n’a finalement été l’affaire que de quelques-uns. Les Sud-Africains sont très conscients d’avoir obtenu des droits. Par ailleurs, et contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays, nous avons de nombreux acteurs, indépendants de l’État, qui jouent le rôle de contre-pouvoirs. C’est le cas des églises, par exemple, mais aussi des entreprises : notre secteur privé est indépendant du pouvoir politique et a donc intérêt à ce que le pays reste viable.
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