Comptes publics : Accra, la dette dans le guidon

Son ardoise est déjà bien chargée, mais le Ghana veut faire un nouvel emprunt sous forme d’eurobond. À quelques mois des élections, cette décision est au mieux risquée, au pire irresponsable…

Seth Terkper, le ministre des Finances, lors des réunions de printemps du FMI, à Washington, en avril. © joshua roberts/REUTERS

Seth Terkper, le ministre des Finances, lors des réunions de printemps du FMI, à Washington, en avril. © joshua roberts/REUTERS

Publié le 11 août 2016 Lecture : 4 minutes.

C’est un pari très risqué que le président John Dramani Mahama envisage de faire. Alors que le Ghana se dirige vers des élections générales en novembre et qu’un changement de dirigeant pourrait intervenir à la tête de l’État, son gouvernement a annoncé en juin son intention d’émettre d’ici à septembre un nouvel eurobond (emprunt obligataire en devises étrangères) de 1 milliard de dollars (environ 910 millions d’euros) : 750 millions de dollars serviront à combler le déficit budgétaire et 250 millions à rembourser une partie de la dette du pays.

Le pays touché par un endettement important

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Certes, l’opération n’a pas encore été définitivement confirmée, mais les autorités se veulent confiantes, misant sur le fait que les investisseurs internationaux croient en leurs efforts pour réduire les niveaux de l’endettement et des dépenses.

Le gouvernement a décidé début août de repousser la date d’émission de cet emprunt, mais n’y a pas renoncé.

Pourtant, à Accra, le secteur financier est inquiet. Car malgré l’appui financier de 1 milliard de dollars obtenu auprès du FMI en 2015, le gouvernement semble toujours vivre au-dessus de ses moyens.

Sampson Akligoh, directeur général de la banque d’investissement InvestCorp, explique ses préoccupations : « La question centrale est la dette publique. La dérégulation des prix des services publics doit se poursuivre. Nous avons besoin d’institutions stables capables de financer nos élections et nos politiques sans gaspiller les finances publiques. Nous ne voudrions pas avoir des surprises à cause des projets lancés hors budget. »

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Une récession qui pourrait s’éterniser

D’après les prévisions du FMI, l’endettement du Ghana s’élèvera à 74,1 % du PIB à la fin de l’année, alors que l’institution recommande qu’il ne dépasse pas les 60 %.

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Même si le déficit budgétaire est tombé à 6,7 % du PIB à la fin de 2015 (soit mieux que l’objectif de 7 % fixé par le FMI), les investisseurs avertis ne sont pas rassurés. Ils savent que la période des élections conduit généralement à des niveaux beaucoup plus élevés de dépenses publiques afin de gagner le soutien populaire.

Selon le professeur Newman Kwadwo Kusi, de l’Institut des études fiscales, il est crucial que Mahama résiste aux tentations de réduire les impôts et de rétablir les subventions aux consommateurs. Pour lui, les priorités du gouvernement doivent plutôt être de combler le déficit d’infrastructures et de renforcer les services publics.

Exportatrice de pétrole, de cacao et d’or, l’économie ghanéenne traverse des moments difficiles depuis 2012.

Une économie en péril

Exportatrice de pétrole, de cacao et d’or, l’économie ghanéenne traverse des moments difficiles depuis 2012. La monnaie nationale, le cedi, a vu sa valeur dégringoler face au dollar, tandis que le déficit public n’a cessé de se creuser, plombé par le train de vie dispendieux de l’État. Le tout dans un contexte de coupures de courant à répétition.

Résultat : les émissions obligataires d’Accra deviennent de plus en plus chères ; une situation que le climat international, particulièrement difficile avec l’impact du Brexit sur la place financière de Londres et sur les perspectives de croissance mondiale, ne vient guère arranger.

Certes, en 2015, l’eurobond de 1 milliard de dollars émis par le Ghana avait été sursouscrit, mais avec un coupon de 10,75 %, soit le taux le plus élevé pour un eurobond africain – en 2007, le pays avait émis des obligations internationales à 8 %.

Le gouvernement a un temps évoqué la possibilité de se tourner vers des prêts privés, mais lever des fonds sur le marché local n’est pas plus aisé. Même si son remboursement n’est pas soumis à des risques de change – contrairement à un eurobond –, un emprunt local peut être extrêmement coûteux, à cause des intérêts, qui peuvent atteindre 25 % par an.

En juin, le ministère des Finances a ainsi tenté de lever 500 millions de cedi (près de 115 millions d’euros) mais n’a pu en récolter que 350 millions. C’était la troisième fois depuis le début de l’année qu’une telle opération essuyait un échec.

Le gouvernement face à de nombreux défis

Le professeur Kusi explique les défis auxquels est confronté le gouvernement : « L’incertitude et les risques entourant l’eurobond sont susceptibles de s’accroître à l’approche des élections. La probabilité d’avoir, d’ici à octobre, une opération difficile en matière de souscription et de prix est donc élevée. Mais le pire scénario serait que le gouvernement recoure au financement de la Banque centrale, ce qui serait une violation d’une condition importante de l’accord avec le FMI. »

Les analystes soutiennent qu’ils ne sont pas trop préoccupés par le risque de changements drastiques de politique que pourrait entraîner l’élection de novembre, mais tous les emprunts contractés aujourd’hui pourraient être source de difficultés pour le futur gouvernement.

« Tous les gouvernements successifs, le plus souvent, ont été pro-marchés. Seule l’intensité et l’approche avec lesquelles ils ont sollicité le marché ont été jusqu’ici différentes. Nous allons continuer d’avoir une économie ouverte, avec des restrictions minimales sur les flux de capitaux », affirme Sampson Akligoh.

Alors que le remboursement du premier emprunt obligataire de 750 millions de dollars émis par le Ghana arrive à échéance en 2017, il y a fort à parier que le gouvernement émettra un nouvel eurobond pour finir de payer cette dette, même si le coût de celui-ci peut être très élevé.

L’appel aux banques locales

Pour faire face à la dette, très élevée, des entreprises publiques (dont Volta River Authority et GridCo), le gouvernement veut lever 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) via des emprunts syndiqués. Reste que les banques commerciales, confrontées à une hausse des créances douteuses (16,2 % au premier trimestre, contre 11 % en 2014), n’ont pas forcément les moyens de suivre.

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