Tunisie : Slim Riahi, à la limite du hors-jeu
Surnommé le Berlusconi tunisien pour sa propension à mélanger politique, business et sport, le président du Club africain affiche un bilan contrasté. Et pourrait bientôt tirer sa révérence.
Quatre ans après son arrivée à la tête du Club africain (CA), le 16 juin 2012, Slim Riahi menace de nouveau d’abandonner la présidence du prestigieux club de Bab Jedid. L’homme d’affaires de 44 ans, fondateur et président de l’Union patriotique libre (UPL), avait déjà à plusieurs reprises annoncé son départ, avant de se raviser.
En juin dernier, après une saison compliquée sportivement – une élimination précoce en Ligue des champions et une modeste sixième place en championnat – et administrativement – avec la démission collective du bureau directeur au début du printemps –, Riahi avait convoqué une assemblée générale élective (le 29 juin) et affirmé son désir de tourner la page, déplorant « le manque de conditions favorables pour diriger le club et l’absence de soutien moral et matériel ».
Départ imminent
L’assemblée générale a finalement été repoussée, d’abord d’un mois, les éventuels repreneurs ne se bousculant pas. Le communiqué publié par d’anciens présidents du CA restés très proches de l’institution tunisoise – Saïd Naji, Farid Abbes et Kamel Idir –, lui demandant de préparer les rapports moraux et financiers et de tenir ses engagements jusqu’au 29 juillet, l’avait en effet contraint à décaler d’un mois son projet. Mais il n’y a pas eu non plus d’assemblée générale le 29 juillet et, aux dernières nouvelles, Slim Riahi ne serait plus aussi pressé de partir.
Hamadi Bousbiaa, lui-même ancien président du CA (1988-1989 et 1993-1994) et membre du comité des sages, ne se fait plus d’illusions. « Je ne vois pas ce qui pourrait le retenir. Mais avant cela il doit assumer, à commencer par le paiement de la dette du club, estimée à 15 millions de dinars [6 millions d’euros]. Il ne peut pas faire autrement, ne serait-ce que pour son image d’homme politique.
Le CA est très populaire dans le pays, et, parmi ses supporters [dont le nombre est estimé entre 2 et 3 millions], il y a des électeurs », commente celui qui est également président-directeur général de la Société de fabrication de boissons en Tunisie (SFBT). Dans quelques semaines, Riahi devrait donc, sauf coup de théâtre, quitter son fauteuil, après avoir dépensé beaucoup d’argent (69 millions de dinars avant le remboursement de la dette), avec un bilan sportif plutôt positif.
Une fortune qui en interroge plus d’un
« On se focalise sur le football. Le Club africain a certes été champion de Tunisie de football en 2015, mais il a aussi remporté de nombreux titres en basket [5], handball [7], water-polo [2] et natation [5] », résume Hamadi Bousbiaa. Riahi, dont le père, un nationaliste arabe opposé à Habib Bourguiba, avait exilé toute sa famille en Libye, est revenu dans son pays natal après la révolution de 2011, lesté d’un compte en banque garni grâce à sa réussite dans les affaires (aviation, pétrole, immobilier, énergie), qu’il gérait depuis Londres.
L’homme, dont l’origine d’une partie de la fortune continue d’alimenter toutes les spéculations – ses détracteurs assurent qu’il a constitué son magot en détournant de l’argent de la famille Kadhafi, dont il était proche –, a toujours nié avoir accédé à la présidence du CA pour nourrir ses ambitions politiques. « Ici, beaucoup pensent le contraire. Quand il est arrivé, les supporters étaient dans l’ensemble contents de voir débarquer un homme riche et ambitieux. Le Club africain n’avait plus gagné le titre de champion depuis 2000, et ils vivaient mal la domination de l’Espérance, le grand rival, mais aussi de Sfax ou de l’Étoile du Sahel », explique Mongi Nasri, journaliste au quotidien Al-Sabah.
À peine arrivé à la tête du club de Bab Jedid, Slim Riahi nomme le Français Christophe Maillol, un ancien rugbyman surtout connu pour les rachats manqués de plusieurs clubs, au poste stratégique de directeur exécutif (à 15 000 euros par mois) et Bernard Casoni, ex-international tricolore, à celui d’entraîneur.
« On avait fait le déplacement à Tunis pour rencontrer Riahi et certains de ses conseillers, se souvient Rodolphe Duvernet, l’adjoint de Casoni. Quand on est revenus en France pour réfléchir, on s’est renseignés sur Maillol, et on a appris qu’il avait des casseroles. On a hésité à revenir, mais finalement nous avons accepté. À notre retour, Riahi avait de nouveaux conseillers. Maillol est resté trois mois, et nous, à peu près autant. On sentait déjà que rien n’était vraiment stable. » Les exils libyen puis britannique de Riahi l’avaient éloigné des réalités d’une Tunisie qu’il n’a redécouverte qu’à l’aube de la quarantaine.
Une mauvaise connaissance du contexte socio-politique et économique
« Il n’a pas une réelle maîtrise de l’environnement du pays, de son système, des mentalités, explique Hamadi Bousbiaa. Et, dans le foot, c’est particulier. Il y a des intermédiaires qui sont là pour prendre de l’argent dans certaines opérations, comme les transferts. Et Riahi a découvert tout cela. Comme il est souvent mal entouré et mal conseillé par certaines personnes qui cherchent à profiter de lui, il y a eu des problèmes dans les choix et dans l’orientation sportive. Son argent a été mal utilisé. »
Avant Rudi Krol, qui a été remplacé à la fin du mois de juin par Kaïs Yaakoubi, Slim Riahi avait déjà usé six entraîneurs (Bernard Casoni, Nabil Kouki deux fois, Landry Chauvin, Faouzi Benzarti, Adrie Koster et Daniel Sanchez) et changé souvent de conseillers. Il n’a cessé de remanier le staff administratif et a recruté des internationaux tunisiens (Mikari, Touzghar, Belaïd, Khalifa, Nater, Ben Yahia), qu’il a fait revenir d’Europe avec une politique salariale très attractive et donc coûteuse.
« Certains pouvaient toucher jusqu’à 60 000 euros par mois. Dans un contexte économique difficile, où les sponsors sont plus frileux, ce sont des sommes qui ne sont pas évidentes à assumer », note le journaliste Mongi Nasri. Le CA a même été traîné devant la Fifa par le MC El Eulma (Algérie), lassé d’attendre les 400 000 dollars correspondant au transfert d’Ibrahim Chenihi, réalisé en juin 2015…
Slim Riahi, dont l’emploi du temps est largement accaparé par la politique, parvient à entretenir un lien plus ou moins régulier avec son club. « Mais il délègue beaucoup. Au CA, il y a énormément de passage. Quand il m’a nommé directeur sportif en mars 2014, j’ai vite compris qu’une partie de son entourage m’était hostile et qu’on ne m’aiderait pas, alors que ma mission était de stabiliser le club. C’est peut-être pour cela qu’on ne m’a pas gardé », raconte Montasser Louhichi, parti en juin 2015.
« Il a une cour autour de lui pour des raisons que vous pouvez imaginer, regrette l’entraîneur français Daniel Sanchez. Il y a aussi une pression énorme. Une défaite face à l’Espérance de Tunis ou une mauvaise série en championnat peuvent tout remettre en question. Il n’y a pas assez de stabilité pour voir à long terme.
Il doit encore de l’argent à plusieurs entraîneurs qui ont été virés et qui attendent encore le solde de leur contrat
La première année où j’étais entraîneur, le Club africain a remporté le titre national. Nos relations étaient très bonnes. Cela s’est compliqué ensuite, quand on a voulu m’imposer des joueurs et orienter mes choix sportifs. Le président voulait s’occuper de tout, et finalement nous nous sommes séparés. »
Décrit par Landry Chauvin, un autre entraîneur passé par la lessiveuse clubiste, comme un homme « plutôt sympathique, ni proche ni distant », Slim Riahi entretient des relations parfois compliquées avec ses joueurs. « Le Club africain a fait très mal à ma carrière », soupire Ali Mathlouthi, un Franco-Tunisien arrivé de Lens en 2012 et contraint d’engager une procédure devant la Fédération tunisienne de football (FTF) pour récupérer une partie de son dû.
Cette année, plusieurs joueurs ont même fait la grève de l’entraînement pour protester contre des retards récurrents dans le versement des salaires. «, explique un proche du CA. Riahi n’est pas toujours très bien informé de ce qui se passe au club. Il a lui-même favorisé cette instabilité en s’entourant de personnes pas toujours compétentes. Les supporters lui en veulent à cause de cette politique difficilement lisible, car ils ne savent pas où va le club, même s’ils n’oublient pas qu’il lui a permis de redevenir champion en 2015. » Or un supporter contrarié peut aussi se muer en un électeur revêche.
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