RD Congo : le foot, ce business politique
Ça n’est pas qu’une affaire de passion. Investir dans le ballon rond permet aux hommes politiques d’étendre leur influence. Mais, pour rester populaire, il faut gagner.
En cet après-midi sec et ensoleillé du 26 mai, l’atmosphère est électrique dans le stade du Tout-Puissant Mazembe (TP Mazembe). Près de 18 000 spectateurs sont venus voir leur équipe affronter son principal rival : l’AS Vita Club (V. Club) de Kinshasa. L’enjeu sportif et les rivalités entre les deux villes suffisent habituellement à crisper leurs rencontres. Mais un autre ingrédient fait cette fois monter la température : le contexte politique.
L’ombre de Katumbi plane toujours
Dans le stade, tout le monde pense en effet à un grand absent : le président du TP Mazembe, Moïse Katumbi. Candidat déclaré à la succession du chef de l’État, Joseph Kabila, il est aussi l’un de ses principaux opposants. Or Lubumbashi est en ébullition depuis que, quelques jours plus tôt, il a été poussé à l’exil dans des circonstances rocambolesques.
Poursuivi par le gouvernement dans une affaire de « recrutement de mercenaires », il a été convoqué à plusieurs reprises devant le tribunal de Lubumbashi, où une foule dans laquelle se trouvaient de nombreux fans de son club est venue le soutenir. Après la troisième convocation, Katumbi s’est retrouvé à l’hôpital. Il dira, plus tard, avoir été empoisonné par un policier cagoulé armé d’une seringue. Invérifiable.
Toujours est-il que le gouvernement le laisse quitter le pays pour se faire soigner, puis reprend fermement le contrôle de la rue. Le 25 mai, une manifestation de l’opposition est interdite à Lubumbashi. Depuis, tout rassemblement est dispersé.
Mais le stade, construit par Katumbi, reste un sanctuaire pour ses fidèles. La police y est cantonnée à l’extérieur, où les vigiles filtrent les entrées. Supporters du TP Mazembe et partisans de Katumbi – qui souvent se confondent – sont ici chez eux.
Un élément ajoute à la dramaturgie du match qui va débuter. L’homologue de Katumbi au V. Club est un proche de Kabila : le général Gabriel Amisi, alias Tango Four. Parqués dans un coin du stade, les v.-clubiens ne font pas mystère de leurs sympathies. « Wumela ! » s’époumonent-ils, alors que les deux équipes s’échauffent sur l’impeccable pelouse synthétique. « Restez longtemps » – en lingala – est le cri de ralliement des supporters de Kabila, qui aimeraient le voir rester à la tête de l’État après la fin de son dernier mandat constitutionnel, en décembre.
Un héros célébré lors d’événements sportifs
Côté Katumbi, les « 100 pour 100 », un groupe de 150 « fanatiques », mettent l’ambiance avec leurs danses frénétiques et leur orchestre assourdissant. Dévoués corps et âme à leur chef, ces ultras suivent l’équipe partout dans le monde. « Moïse, c’est notre père », lance en swahili « Robot », la mascotte du groupe. « On se battra pour lui. Je l’ai accompagné au tribunal. On m’a mis quatre jours au cachot pour ça ! »
Les « 100 pour 100 », ce sont un peu les enfants adoptifs de Katumbi : il les indemnise en cas de maladie ou de décès d’un proche et subventionne même les études de certains d’entre eux, comme pour le secrétaire général, Serge Iweza.
Mais ils ne représentent qu’une petite partie des fans du club. Et lorsque « les corbeaux » finissent par marquer le but de la victoire, c’est tout le stade qui s’embrase, chantant, en swahili : « Toi, qui es-tu pour nier la force de Moïse ? »
Le personnel politique investi au sein des clubs de football
Rares sont les pays où le foot est à ce point mêlé à la politique. Et le phénomène n’est pas nouveau. En 1957, une rencontre entre les « indigènes » du FC Léopoldville (Kinshasa) et les colons de l’Union saint-gilloise de Bruxelles avait déclenché l’une des premières émeutes annonciatrices de l’indépendance. L’arbitre, un officier belge, avait refusé deux des buts congolais pour hors-jeu…
Aujourd’hui, les dirigeants des grands clubs affirment à l’unisson ne pas mélanger foot et politique. Leurs CV démontrent pourtant le contraire. Outre ceux du TP Mazembe et de l’AS Vita Club, il y a ceux du Daring Club Motema Pembe (DCMP), l’autre grand club de Kinshasa. Jusqu’à la mi-juillet, il était dirigé par Gentiny Ngobila, le gouverneur de la province du Maï-Ndombe, membre de la majorité présidentielle (l’intérim est assuré depuis par Jérôme Ntangu).
Ngobila est un ami d’enfance d’Aubin Minaku, l’influent président de l’Assemblée nationale, également administrateur du club et l’un de ses principaux mécènes. Le frère du chef de l’État, Zoé Kabila, a pour sa part fondé le club kinois de Shark XI. Un des fils de Katumbi, Champion, est à la tête du Don Bosco de Lubumbashi. Le FC Renaissance de Kinshasa est présidé par le pasteur Pascal Mukuna, un proche de Kabila. Quant au Sanga Balende, le grand club de Mbuji-Mayi, il est sous l’autorité d’Alphonse Ngoyi Kasanji, le gouverneur de la province du Kasaï-Oriental, lui aussi membre du parti au pouvoir.
Disponibilité financière contre popularité
Mais ces dirigeants ont un autre point en commun : une vaste fortune – souvent liée à leurs connexions politiques – qui leur permet de maintenir à flot des clubs qui, au Congo, ne rapportent pas d’argent. L’homme d’affaires Raphaël Katebe Katoto, demi-frère aîné de Moïse Katumbi, en sait quelque chose. Dans les années 1980, il fut président du TP Englebert, l’ancêtre du TP Mazembe. Le club remportait des titres, mais il était déjà un gouffre financier.
« Même le TP Mazembe aujourd’hui n’est pas à l’équilibre, confie son directeur financier, Salomon Kalonda Della, par ailleurs conseiller politique de Katumbi. Une victoire en Ligue des champions d’Afrique peut rapporter 1,5 million de dollars. Mais pour arriver à ce niveau il faut investir au moins dix fois plus. Nos recettes augmentent, notamment grâce aux transferts et au centre de formation. Mais les dépenses restent énormes. » Outre le stade, Katumbi a investi dans un avion privé pour le club, un centre d’entraînement, et il verse des salaires importants.
Le TP Mazembe est pourtant l’un des rares à avoir su développer le sponsoring. Les noms de ses loges VIP font penser au Who’s Who des principaux miniers du pays : Tenke-Fungurume Mining, Dan Gertler, Glencore ou encore Trafigura. Passionné de football, le Belge Malta-David Forrest, directeur général du groupe du même nom, est aussi premier vice-président du club.
Pourquoi ces hommes de pouvoir sont-ils prêts à dépenser de telles sommes dans le football ? Il y a une explication plus convaincante que la seule passion, même si aucun d’eux ne l’avoue : la popularité qui découle de l’incroyable engouement congolais pour le ballon rond. « Le DCMP, c’est comme une religion, assure Gentiny Ngobila. Être son président, cela a un impact énorme sur la popularité. C’est presque de la magie. »
Katumbi est le principal bénéficiaire de la popularité footballistique
Dans les quartiers démunis de Kinshasa, les drapeaux des clubs flottent sur les véhicules, les boutiques, et même les cabanes de pêcheurs. « Quand il y a un match entre le DCMP et le V. Club, mieux vaut que l’électricité fonctionne, poursuit Ngobila. Sinon, c’est l’émeute ! »
Katumbi est le principal bénéficiaire de la popularité footballistique. Les exploits de son club (trois Ligues des champions d’Afrique et une finale de Coupe du monde des clubs depuis 2009) lui ont permis de se faire connaître au-delà de son fief de Lubumbashi. Une notoriété devenue gênante pour Kinshasa depuis qu’il est passé à l’opposition. D’ailleurs, son nom n’est plus mentionné lors des retransmissions des matchs sur la RTNC, la télévision d’État. Et les dernières rencontres de son club en Ligue des champions d’Afrique n’ont, elles, été retransmises sur aucune chaîne.
TP Mazembe privé de diffusion
« C’est une violation des règles de la Confédération africaine de football ! » proteste un proche de Katumbi. Condamné à dix ans de prison pour « viol sur mineure », l’opposant Eugène Diomi Ndongala affirme, pour sa part, avoir été forcé de quitter son poste de président du V. Club en 2007 car il déplaisait au pouvoir. « Les soldats du général Amisi me menaçaient de mort. »
Une autre affirmation difficile à vérifier. Mais, de fait, outre la famille Katumbi (qui était encore dans le camp présidentiel il y a un an), aucun membre de l’opposition n’est à la tête d’un grand club. « C’était une stratégie des caciques du régime, assure notre source proche de Katumbi. Ils ont voulu imiter Moïse, car ils sont persuadés que sa popularité vient du foot. » « Katumbi instrumentalise les milieux précaires et les quartiers oubliés », accuse Richard Muyej, ancien ministre de l’Intérieur et fervent partisan de Kabila.
C’est en tout cas cette jeunesse qui forme le plus gros bataillon des supporters – et pas seulement à Lubumbashi. À Kinshasa, leurs actes de violence perturbent régulièrement les rencontres au stade Tata Raphaël. « Il n’y a pas de fouilles à l’entrée, alors on retrouve les supporters adverses avec des couteaux, parfois des machettes », déplore Zeze Masikini, le président des supporters du V. Club.
Les associations qui les encadrent sont pourtant très structurées : elles disposent de sections dans chaque quartier, chaque commune, voire chaque rue. Elles se réunissent pour commenter les performances de leur équipe et peuvent même exiger un changement à la tête du club. Les supporters pèsent en effet lourd dans les assemblées générales. Car l’arme footballistique est à double tranchant : le président d’un club qui perd a tôt fait de devenir impopulaire.
Pendant la révolution égyptienne de 2011, les clubs de supporters avaient joué un rôle moteur : organisés, habitués à la violence, ils étaient souvent en première ligne. Dans la période tendue qui s’annonce en RD Congo, les fans congolais pourraient-ils être mobilisés à des fins politiques ? C’est ce que laisse entendre un influent supporter du TP Mazembe à l’issue du match : « Katumbi est notre président, on ne peut pas le laisser tomber. » Mais il est repris par le président des supporters, Mario Kawel : « Nous sommes une association sportive, nous ne nous mêlons pas de politique. »
Selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW), le 15 septembre 2015, à Kinshasa, des supporters du V. Club faisaient partie d’un groupe de « voyous » payés pour attaquer une manifestation de l’opposition sous le regard bienveillant de la police.
« C’est faux, conteste Zeze Masikini. Nous sommes apolitiques. Les gens de HRW ne m’ont même pas contacté pour vérifier. » Mais, à l’époque, il n’était pas encore le chef des v.-clubiens. Il s’agissait de son prédécesseur, Denis Kampayi, qui, dix jours après les faits, a été nommé ministre de la Jeunesse et des Sports.
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