Au Zimbabwe, l’hiver de Robert Mugabe
La contestation populaire, violemment réprimée par la police, enfle. Et l’opposition ne parvient pas à adopter une stratégie unique en vue de la présidentielle de 2018. Le pays de Robert Mugabe s’enfonce encore un peu plus dans le chaos.
Après avoir vécu pendant des années au rythme des pompeuses fêtes d’anniversaire présidentiel et nié la situation désastreuse dans laquelle s’enfonçait le pays, les instances dirigeantes de la Zanu-PF, le parti au pouvoir, cèdent à la panique. Régulièrement, les hélicoptères de la police, les gaz lacrymogènes et les canons à eau sont de sortie pour réprimer la contestation des Zimbabwéens, dont 4 millions survivent grâce à l’aide financière d’urgence versée par les organismes d’aide internationale.
L’armée, un soutien stratégique pour les partis de l’opposition
Corruption, salaires non versés… « Le Zimbabwe est au bord de l’implosion, ses citoyens ont faim et sont en colère », explique Tendai Biti, ministre des Finances de 2009 à 2013, encarté au parti d’opposition Movement for Democratic Change (MDC). « Pendant ce temps, poursuit-il, le parti au pouvoir est agité par des guerres intestines entre différentes factions. »
La plus puissante reste indéniablement celle du vice-président, Emmerson Mnangagwa, 69 ans. Ce vétéran de la guerre d’indépendance s’est illustré en mettant au pas le Zapu, le parti de Joshua Nkomo, seule force politique en mesure de contrebalancer la domination de la Zanu-PF. Ministre de la Sécurité lors du massacre de Gukurahundi, en 1986 (qui entraîna la mort de dizaines de milliers de membres de l’ethnie minoritaire Ndebele, favorable au Zapu), Mnangagwa, formé à Pékin dans les années 1960, a dirigé la Central Intelligence Organisation, les services secrets du Zimbabwe, connus pour leurs méthodes expéditives. « Le Crocodile », comme le surnomment les Zimbabwéens, compte de nombreux soutiens dans l’armée.
Depuis longtemps, les militaires sont aux commandes du Zimbabwe. Selon Martin Rupiah, un expert zimbabwéen en sécurité installé en Afrique du Sud, « même avec un budget aussi restreint qu’aujourd’hui, les soldats sont toujours les premiers payés. Tous les vieux responsables de la sécurité sont encore en fonction », dont Perence Shiri, chef de l’armée de l’air, Constantine Chiwenga, chef des Forces de défense zimbabwéennes, et l’incontournable Mnangagwa.
Les jeunes leaders dans le viseur
Les jeunes officiers ont du mal à progresser dans la hiérarchie, malgré la volonté de Mugabe de les y aider afin de contrer le poids des vieux apparatchiks.
Saviour Kasukuwere, l’ancien ministre de l’Indigénisation, membre de Generation 40, un rassemblement de jeunes leaders, en a fait l’expérience. Trop proche de Mnangagwa à son goût, Mugabe le nomme en 2015 au poste de commissaire politique de la Zanu-PF, une fonction stratégique dans l’appareil du parti. Mais, très vite, le porte-parole de l’Association des anciens combattants, Douglas Mahiya, demande des explications à Kasukuwere sur la provenance de la « richesse ahurissante », qui lui aurait permis de se faire construire une luxueuse villa dans la riche banlieue nord de Harare… Et le somme de démissionner. Kasukuwere tient bon.
La G40, comme on l’appelle au Zimbabwe, compte également dans ses rangs Jonathan Moyo. Le ministre de l’Éducation supérieure est connu pour ses fréquentes attaques contre Mnangagwa sur les réseaux sociaux et son goût pour la confrontation.
Bien que la « Team Lacoste » (surnom donné à la faction de Mnangagwa) ait l’armée derrière elle, la G40 peut se reposer sur un allié de poids en la personne de Grace Mugabe, la première dame. La seconde épouse de Mugabe a contribué à écarter l’ancienne vice-présidente Joice Mujuru. Cette dernière, dont le mari a trouvé la mort dans un mystérieux incendie à leur domicile, se trouvait en pleine ascension et gagnait en popularité dans la course à la succession lorsqu’elle a été débarquée, en décembre 2014, lors du congrès de la Zanu-PF.
Elle et son défunt mari, en tant que héros de la guerre de libération, sont toujours très respectés des services de sécurité. Le 1er mars, elle a formé son propre parti d’opposition, Zimbabwe People First, se déclarant ouverte à toute coalition qui permettrait de battre le parti au pouvoir à l’élection présidentielle de 2018.
Une opposition aux nombreuses fractures internes
De son côté, le MDC, principale force d’opposition, reste divisé. Plusieurs de ses chefs ont pris la porte, comme Tendai Biti et Welshman Ncube. Morgan Tsvangirai, le charismatique numéro un du parti, qui a battu Mugabe lors du référendum constitutionnel de 2000 et sérieusement menacé le président de la République lors des très disputées élections de 2008, a, quant à lui, dévoilé être atteint d’un cancer.
Misheck Marava, sénateur MDC de Masvingo (à 250 km au sud de Harare), a confirmé à Jeune Afrique que des pourparlers ont eu lieu avec Joice Mujuru, mais qu’aucun accord n’a été trouvé pour le moment, chaque parti espérant se ménager une bonne place dans l’éventuelle coalition. « Nous voulons être récompensés en fonction de notre nombre d’électeurs, prévient Marava. Nous pouvons apporter 1 million de voix : combien en a-t-elle ? »
Préparer les futurs rapports avec l’Occident
Des membres historiques du régime tentent, pour leur part, de normaliser les relations du pays avec l’extérieur, qu’ils savent stratégiques pour l’après-Mugabe. « Les problèmes du Zimbabwe ne pourront pas être résolus qu’en interne », estime de fait Steven Chan, enseignant à l’École d’études orientales et asiatiques de Londres et auteur de Robert Mugabe. A Life of Power and Violence. Le ministre des Finances, Patrick Chinamasa, n’a pas le profil type du réformateur, du moins à première vue.
Partisan de la ligne dure au sein du bureau politique de la Zanu-PF, il était ministre de la Justice lors de la confiscation des terres aux fermiers blancs, dans les années 2000-2001. « Les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui proviennent en grande partie de cette réforme », admet-il aujourd’hui. La dette nationale a enflé de plus de 7 milliards de dollars (6,3 milliards d’euros) et, à cause des impayés, les arriérés ont grossi de 1,9 milliard. Chinamasa conduit aujourd’hui les négociations de la dernière chance pour faire regagner au Zimbabwe les bonnes faveurs des institutions financières internationales.
Les pourparlers ont débuté lors de l’assemblée annuelle de la Banque mondiale à Lima, au Pérou, en 2015, et se sont poursuivis au travers de deux programmes encadrés par le FMI. Ces derniers ont porté leurs fruits : Afreximbank est désormais prête à accorder un prêt relais de 60 millions de dollars pour rembourser la BAD, ainsi que 218 millions pour rembourser les prêts à taux réduit de la Banque mondiale. Le gouvernement est également sur le point de contracter un prêt à long terme pour régler d’autres arriérés vis-à-vis de cette dernière.
L’Union européenne (UE) s’est, elle, impliquée dans le secteur agricole, que les autorités souhaiteraient redynamiser. Les fermiers blancs dont les terres avaient été saisies pourraient se voir octroyer des compensations sur le modèle d’une reconnaissance de dette.
« Nous avons reçu le financement de l’UE pour mener à bien un travail de répartition des terres agricoles. Nous concéderons des baux de quatre-vingt-dix-neuf ans à des fermiers, notamment pour qu’ils puissent emprunter auprès des banques », explique Chinamasa. « Nous n’attendons plus, assure-t-il, que le feu vert du gouvernement. Nous avons étudié la question des compensations et déjà établi une cartographie des réclamations territoriales dans la province de Masvingo. » Est-ce parce que Chinamasa est un lieutenant de Mnangagwa que Mugabe ne lui facilite pas la tâche ? Ce dernier a récemment profité de plusieurs discours pour dire aux Occidentaux d’« aller se faire voir »…
Il n’y a pas que Mugabe qui voit d’un mauvais œil ces négociations sur le remboursement de la dette. Déjà, certains au sein du parti au pouvoir rejettent toute possibilité de réformer en profondeur les entreprises publiques et ne se montrent pas davantage disposés à accepter que des compensations soient reversées aux fermiers blancs. L’élection de 2018 approchant à grands pas, les responsables zimbabwéens devront pourtant se mettre rapidement d’accord.
Tout ce que veulent les ministres, c’est un portefeuille après la succession
Si elles ne sont pas bloquées, les démarches de Chinamasa pourraient atténuer la profonde lassitude qui, en Afrique comme ailleurs, existe vis-à-vis du Zimbabwe. Pékin, notamment, fulmine contre les récentes nationalisations dans le secteur du diamant, qui ont conduit à confisquer les mines aux investisseurs chinois. « Vous êtes livrés à vous-mêmes », a affirmé Steven Chan à des Zimbabwéens rassemblés à Londres.
« Aucune grande puissance, de l’Est comme de l’Ouest, ne viendra à votre secours », a-t-il insisté, un peu rapidement. Car si le Brexit est actuellement au cœur de ses préoccupations, le Royaume-Uni tiendra toujours à jouer un rôle dans son ancienne colonie. Par contre, sa position est ambiguë. Des sources à Harare ont indiqué à Jeune Afrique que l’ambassadrice britannique au Zimbabwe, Catriona Laing, a manifesté son soutien à Mnangagwa, alors que récemment encore le royaume soutenait officiellement l’opposition.
Ce qui est sûr, c’est que la course à la succession de Mugabe est en train de déchirer le pays. Pour Tendai Biti, il n’y a personne à la barre. « Les ministres se fichent de réformer le pays, déplore l’opposant. Tout ce qu’ils veulent, c’est un portefeuille après la succession. »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles