Dans son dernier ouvrage, Tahar Ben Jelloun tente d’expliquer le terrorisme aux enfants
Comment expliquer aux enfants cet aberrant déchaînement de violence ? Dans son dernier ouvrage, l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun s’y attelle, en faisant appel à la sensibilité et à la raison de ses jeunes lecteurs. Bien joué !
Des images traumatisantes, des actes qui échappent à la raison, la mort répandue aveuglément par des « barbares », la « guerre » que des dirigeants nationaux déclarent aux terroristes, l’anxiété qui s’empare de sociétés entières et la haine qui en menace les fondements… Il est déjà peu aisé pour des adultes instruits d’appréhender avec sang-froid la campagne de terreur qu’imposent, aux pays d’Occident comme d’Orient, les jihadistes de l’État islamique depuis sa proclamation en juin 2014.
Comment, alors, expliquer les réalités de ce cauchemar à ces « éponges émotionnelles » que sont les enfants ? « Plus que les adultes sans doute, [ils ont besoin] pour comprendre, de mots mieux choisis, plus justes », remarque l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, en introduction à son court essai, Le Terrorisme expliqué à nos enfants, à paraître le 25 août.
Composé sous la forme d’un dialogue avec sa fille, il est le troisième volet d’une œuvre pédagogique commencée en 1998 avec Le Racisme expliqué à ma fille et poursuivie en 2002 avec L’Islam expliqué aux enfants. Une lecture qui, sans gommer la complexité du phénomène, l’explique en profondeur avec des mots simples qui rappellent que Ben Jelloun, avant d’entrer en littérature, avait suivi des études de philosophie et obtenu un doctorat en psychiatrie sociale. En voici quelques extraits.
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– Alors, donne-moi une définition du terrorisme.
– Le terrorisme, c’est d’abord un moyen, un mode d’action. Ce n’est pas une pensée, une philosophie. C’est le recours à la force et à la violence contre des personnes ou des biens dans le but d’obliger un gouvernement à satisfaire des demandes présentées par des gens dont on ne connaît ni le visage ni l’identité. Parfois les buts du terrorisme ne sont pas clairement établis ; il consiste purement et simplement à tuer des personnes qui sont choisies au hasard. Le but, c’est de semer la peur, et que chacun se dise : « Cette victime, ce pourrait être moi. » Plus personne n’est à l’abri. Cela oblige les gens à changer leur mode de vie ; ils ne sortent plus le soir, évitent de fréquenter les lieux publics, souvent choisis comme cibles. La vie est sérieusement perturbée.
– Les terroristes font ça pour l’argent ?
– Pas seulement, ils peuvent avoir un but politique ou religieux, ou chercher simplement à déstabiliser un pays pour des raisons inconnues du public.
– C’est ainsi que ma cousine Leila Alaoui a été tuée à Ouagadougou ! Elle est morte ainsi que 29 autres personnes qui dînaient tranquillement dans un restaurant italien. C’est horrible.
– Oui, Leila est un exemple type de victime du terrorisme. Elle s’est trouvée au mauvais moment au mauvais endroit, et elle était loin d’imaginer que la capitale du Burkina Faso allait être visée par des terroristes. (…)
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Les djihadistes, en massacrant des innocents à Paris, à Beyrouth, à Tunis, en Syrie et en Irak, sont persuadés que leur combat est aussi légitime qu’au VIIe siècle
– J’ai entendu des gens dire que toute cette violence est dans l’islam. C’est vrai ?
– Toute religion contient une charge de violence. La croyance n’est pas du domaine de la raison, alors la passion l’emporte souvent, et au cours de l’histoire, nous savons que bien des gens se sont battus au nom de Dieu. Aucune religion n’a pu éviter que des guerres ne soient menées en son nom. Les catholiques ont aussi persécuté et massacré les protestants en France au XVIe siècle. J’y reviendrai encore, s’agissant de l’islam, tout dépend comment on lit et interprète les textes religieux. Aux origines de l’islam, dernière religion monothéiste révélée, il y eut des combats, des guerres, des violences pour répondre à ceux qui refusaient le message porté par le prophète Mahomet. Un verset dit : « Tuez les infidèles où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les. » Mais cet ordre a été délivré en un temps et en des circonstances bien précis. Cela se passait à Médine à la fin de la vie du Prophète.
– Il y a là une contradiction ! D’un côté, tu cites le verset qui condamne celui qui tue un innocent, et de l’autre, il y a cet autre verset qui dit : « Tuez les infidèles… » !
– Le premier verset a une portée universelle et intemporelle, l’autre s’inscrit dans un temps et un contexte de guerre, celle que menaient des non-croyants au nouveau prophète.
– La violence d’aujourd’hui viendrait-elle de là ?
– Non, cela ne vient pas directement de là, mais les djihadistes, en massacrant des innocents à Paris, à Beyrouth, à Tunis, en Syrie et en Irak, sont persuadés que leur combat est aussi légitime qu’au VIIe siècle, à l’époque où le Prophète avait dû émigrer à Médine pour échapper aux « infidèles » qui voulaient sa mort. On leur fait croire que nous vivons toujours au VIIe siècle, ou plus précisément que ce temps-là est toujours d’actualité… (…)
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– Comment on fait, alors, pour entretenir ces jeunes dans l’idée que nous sommes en guerre ?
– Il s’agit de leur faire croire que nous vivons toujours à l’époque de la révélation de l’islam en tant que religion qui sauvera l’humanité. Ce temps n’est pas clos, la parenthèse n’est pas refermée. Il se trouve que les manipulateurs de ces jeunes gens ont paradoxalement recours aux techniques et aux méthodes les plus modernes et les plus sophistiquées du XXIe siècle. Ils mobilisent, tu le sais, une machine de propagande d’une redoutable efficacité : vidéos de scènes de combat, répétition à l’infini de certains messages audio, images frappantes, psalmodies en boucle de certains versets du Coran, scènes de la vie quotidienne où apparemment règne une grande fraternité : le tout produit une fascination sur le « consommateur », qui y abandonne son esprit critique et adhère sans résistance au message délivré. Le but est d’annihiler chez ces jeunes toute autonomie de pensée. Ils ne doivent plus penser. Ils doivent se donner, se livrer et accepter de faire ce qu’on leur demandera de faire. Certaines sectes utilisent les mêmes méthodes pour « posséder » des adeptes.
– Mais c’est du marketing !
– Tout à fait ! Tout a été étudié scientifiquement pour prendre le contrôle du cerveau des gens et les manipuler ainsi. C’est de l’endoctrinement. C’est ainsi qu’on leur enseigne un certain nombre de concepts, qui, à force d’être répétés, finissent par les convaincre que la vérité se trouve là et pas ailleurs. C’est un travail de pédagogie ! (…)
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