Cameroun : plan de vol incertain pour Camair-Co
Le quatrième projet de sauvetage de la compagnie camerounaise, élaboré par Boeing, a été approuvé par Paul Biya. Mais les professionnels se montrent plus méfiants.
Cette nouvelle tentative de relance sera-t-elle la bonne ? Le 25 juillet, le président Paul Biya approuvait le plan de sauvetage de la compagnie aérienne camerounaise Camair-Co, dont le déficit mensuel d’exploitation tournerait autour de 3 millions d’euros.
Élaboré par Boeing Consulting, la branche conseil de l’avionneur américain, il se veut plus ambitieux que les trois derniers plans de relance de février et novembre 2013 et de décembre 2014. « Ce programme nous permettra de faire de Douala la plaque tournante du trafic aérien en Afrique centrale », affirme Jean-Paul Nana Sandjo, le directeur général de Camair-Co [remplacé le 22 août dernier par Ernest Dikoum, ancien responsable d’Emirates au Sénégal et au Zimbabwe].
De gros efforts sont attendus de la part de l’Etat camerounais
Pour repartir sur des bases saines, Boeing Consulting demande d’abord à l’État de reprendre la dette de la compagnie, évaluée à 35 milliards de F CFA (53,4 millions d’euros). Plus de 15 milliards sont dus à des partenaires ayant la capacité de bloquer les vols pour faire valoir leurs droits : les loueurs d’avions – notamment ACG Aviation – ainsi que les prestataires de maintenance – dont Ethiopian Airlines, qui entretient les Boeing de Camair-Co.
Il faudra effacer cette ardoise en réglant rubis sur l’ongle, et trouver des arrangements avec les partenaires institutionnels, plus coulants mais néanmoins attentifs, en particulier les Aéroports du Cameroun et l’Autorité aéronautique civile.
Unique actionnaire à ce jour, l’État va aussi devoir injecter 60 milliards de F CFA en fonds propres pour augmenter le capital et répondre aux recommandations du rapport. Une partie de cette somme servira de fonds de roulement pour la première année d’exécution et à construire un hangar et des ateliers de maintenance et de réparation à Douala. Une enveloppe de 15 milliards de F CFA sera nécessaire pour prendre en location (avec option d’achat) neufs nouveaux appareils : sept Boeing (dont un 777, trois 787 Dreamliner et un 737 cargo) et deux Bombardiers (des Q400).
De nouvelles lignes
La flotte de la compagnie, actuellement réduite à cinq avions, devrait ainsi passer à quatorze en trois ans, ramenant le ratio d’employés par engin de 150 à 80. Porte-étendard de la Camair-Co, le 767-300, baptisé Le Dja (en référence à la rivière camerounaise), sera converti en cargo afin de finalement lancer l’activité fret.
Pour rentabiliser cet investissement majeur, le plan de vol proposé par Boeing Consulting suggère 27 nouvelles destinations, dont neuf lignes domestiques et cinq intercontinentales (Paris, Bruxelles, Dubai, Guangzhou et Washington). Dakar et Johannesburg vont s’ajouter aux onze dessertes africaines. « Nous prévoyons un chiffre d’affaires de 125 milliards de F CFA pendant la première année d’exploitation si tout se passe bien, espère Jean-Paul Nana Sandjo.
Cela nous permettrait déjà de nous passer de la subvention mensuelle d’équilibre [qui s’élève à 1,5 milliard de F CFA, mais dont le paiement est très irrégulier, avec 14 milliards d’impayés à fin juillet]. Nous pourrons payer nos fournisseurs et entamer le règlement des traites pour l’acquisition des avions. » Par ailleurs, 400 recrutements dans les métiers techniques sont attendus et le taux de remplissage, de 40 %, devrait doubler.
Un contexte encore délicat pour la compagnie aérienne
Mais cet optimisme n’est pas partagé par les professionnels du secteur. « Boeing est, certes, un grand constructeur, mais le choisir pour élaborer le plan de sauvetage d’une compagnie est pour le moins surprenant », réagit Cheick Tidiane Camara, patron du cabinet Ectar, pour qui il aurait été plus logique de recourir à des filiales de compagnies aériennes spécialisées en la matière. L’appui de Boeing Consulting pourrait être une forme d’accompagnement commercial, lié au choix préférentiel de l’avionneur américain pour renouveler la flotte.
Cheick Tidiane Camara s’interroge aussi sur la capacité de l’État actionnaire à laisser faire les professionnels, alors qu’il n’a cessé de s’ingérer dans le management de la Camair-Co ces dernières années. « Cela fait beaucoup de défis à relever, alors même que cette compagnie évolue sur un marché étroit, avec une concurrence de plus en plus forte », note-t-il. Selon nos informations, Air France, Brussels Airlines et Turkish Airlines ont sollicité des fréquences hebdomadaires supplémentaires sur le Cameroun.
Vers un emprunt obligataire
Le ministre des Transports, Edgar Alain Mebe Ngo’o, s’est empressé d’annoncer l’approbation présidentielle avant même que les auteurs du rapport aient déposé leur copie définitive. Mais il n’est pas certain qu’il soit unanimement soutenu. « Il semble tirer la couverture de son côté, mais il va falloir qu’il s’entende avec son homologue des Finances pour exécuter ce chantier. « Ce sera une autre paire de manches », glisse une source proche du dossier.
Car le schéma de mobilisation des ressources n’est toujours pas arrêté. La piste de l’emprunt obligataire de 150 milliards de F CFA que le Cameroun pourrait lancer dans les prochains jours est envisagée. La possibilité d’un recours à un pool bancaire, appuyé par une garantie de l’État, n’est pas totalement écartée.
Au siège de la compagnie, on ne sait pas sur quel pied danser. Échaudé par l’échec du plan de relance de 2014, qui l’avait mené à prendre des dispositions pour ouvrir une ligne vers Dakar, certain de pouvoir compter sur les 30 milliards de F CFA promis, le patron ne veut cette fois prendre aucune décision tant que les fonds ne seront pas disponibles. Comme certains vols de la compagnie, la mise en œuvre du nouveau plan risque de connaître quelques retards.
ECAir à court d’argent
La compagnie congolaise ECAir a bien du mal à motiver les foules autour de son emprunt obligataire, lancé en février 2016, et qui visait les 60 milliards de F CFA (91,5 millions d’euros). Bien que le bouclage de l’opération ait été plusieurs fois repoussé, celle-ci n’a pas emballé les épargnants. Même la tentative de séduction « patriotique » des parlementaires congolais, entamée en juin par Innocent Dimi, le patron de La Financière, arrangeur de l’opération, a fait un flop.
Derrière ce manque d’engouement, il y a d’abord la situation financière d’ECAir, presque toujours dans le rouge depuis son lancement en 2011 [61 milliards de F CFA de pertes nettes en 2015]. Le choix du pilote de l’opération fait aussi polémique : La Financière avait connu des échecs semblables avec les emprunts de la BDEAC, du Fonds africain de garantie et de coopération économique et d’IG Telecom, un fournisseur d’accès gabonais.
Un pedigree qui n’était pas de nature à rassurer la communauté des investisseurs. De guerre lasse, la compagnie a décidé d’explorer d’autres opportunités. La BDEAC vient de lui octroyer 20 milliards de F CFA. « Nous sommes en attente de fonds supplémentaires qui nous permettront d’effectuer les investissements prévus cette année », indique une source interne, qui espère voir de l’argent frais arriver en septembre.
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