Mali : Génération Rap & Respect, dignes représentants de l’art des griots et du mouvement hip-hop

De Tal B à Sidiki Diabaté, en passant par Iba One, les compositeurs et interprètes de Génération Rap & Respect mêlent instruments traditionnels et rythmes électro. En dignes représentants de l’art des griots et du mouvement hip-hop.

Tal B, dans son quartier de Sotuba, à Bamako. © emmanuel daou bakary pour JA

Tal B, dans son quartier de Sotuba, à Bamako. © emmanuel daou bakary pour JA

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Publié le 2 septembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Abraham vit à Bamako © Robin Taylor/Flickr/ Creative Commons
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Mali mélo à mi-mandat

Ibrahim Boubacar Keïta avait promis de rétablir la sécurité et l’autorité de l’État, d’accélérer le développement, en particulier dans le Nord, et de restaurer la bonne gouvernance. Trois ans après son élection, aucun de ces chantiers majeurs n’a encore abouti. Même si, sur tous les fronts, les choses ont progressé.

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Il fut un temps où nombre de clips au son ultra-saturé étaient tournés au bord de la piscine de l’hôtel Mandé, le long du fleuve, à Bamako. Des chanteuses en boubou, griottes pour la plupart, entourées de danseuses aux sourires démesurés, déclamaient leur amour ou louaient le mariage, des fleurs dans les cheveux. À l’époque, les mélodies maliennes se balançaient sur le tempo du balafon et de la kora.

Messages engagés de la jeunesse dès les années 1990

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Puis, à la fin des années 1990, vint le temps des premiers rappeurs, aux accents politiquement incorrects, influencés par la scène hip-hop américaine ou française et la montée en puissance des musiques électroniques. Exit les instruments traditionnels. Certains crurent que c’en était fini de la culture mandingue. Les CD piratés de Tata Pound, Zion B ou Kira Kono s’arrachaient au marché noir le long des principales artères de la capitale. Et puis il y eut le séisme du coup d’État de mars 2012 qui renversa Amadou Toumani Touré (ATT). Les politiques accusèrent de tous les maux cette jeunesse qui slamait l’incivisme et scandait la révolution contre ATT.

C’est ainsi que naquit, en avril 2012, Génération Rap & Respect, désormais couramment dénommée Génération RR (GRR). Parmi les membres fondateurs du collectif : Youssouf Traoré, alias Tal B. S’il roule dans une grosse voiture de sport customisée, le rappeur de 29 ans habite toujours le quartier populaire de Sotuba, dans l’est de Bamako. Par choix. Il dit ne pas boire d’alcool, ne pas fumer et ne pas consommer de drogue.

Dans le clip de son single Faligalaka, sorti en juin 2015, Halala (« le digne, le noble »), comme le surnomment ses fans, est filmé au milieu de la brousse et danse vêtu d’une chemise en pagne. « On est revenu aux sources, dit Tal B, pour expliquer la démarche du collectif. On chante en bambara, on joue avec les instruments traditionnels. On revient à l’africanité aussi. Ça ne nous empêche pas de critiquer le pouvoir, mais on évite les injures. » Et ça marche. Avec ses complices de la GRR en guest-stars, il a rempli plus d’une fois le stade Modibo-Keïta de Bamako, ainsi que ceux de Kayes, Sikasso et Mopti.

Concerts et bling-bling

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Moins engagés sur le plan idéologique que ceux de la génération précédente, ces rappeurs d’aujourd’hui racontent leur jeunesse et veulent « ambiancer » la vie malgré les difficultés, quitte parfois à déraper en oubliant les bonnes mœurs, au grand dam des religieux, tout en restant très politiquement corrects, dans tous les sens du terme.

Près de chez Tal B vit l’une des étoiles montantes de cette GRR. Tout de noir vêtu, pantalon cigarette, chaîne en or, lunettes de soleil, baskets dorées… Ibrahim Sissoko, alias Iba One, 27 ans, ressemble à s’y méprendre à son idole, Michael Jackson, à ses débuts. Derrière son look de « bad boy bling-bling », comme il se décrit lui-même, se cache un auteur-compositeur-interprète timide.

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Originaire de Kayes, musulman pratiquant, farouchement antidrogue, il « chante pour [sa] mère » et pour la jeunesse malienne, qui se retrouve dans ses paroles, l’invitant à « ne pas baisser les bras face à la crise ». Lors de la dernière cérémonie des Trophées de la musique au Mali (Tamani), en février, il a été élu Tamani d’or du meilleur rappeur. Il enchaîne les concerts au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, où il a fait salle comble lors de sa prestation au festival Manifest 2016, en avril, au Palais du peuple de Conakry.

Iba One, fan de Michael Jackson, dit chanter pour sa mère. © François-Xavier Freland pour JA

Iba One, fan de Michael Jackson, dit chanter pour sa mère. © François-Xavier Freland pour JA

« Je m’en sors très bien grâce aux concerts, confirme Iba One. Les cachets peuvent nous rapporter entre 5 et 30 millions de F CFA (entre 7 620 et 45 735 euros), alors que la vente de disques, plus rien du tout, c’est mort… J’ai publié trois albums de 2009 à 2012, mais je n’en ai pas sorti depuis. Je ne fais plus que des singles et du live ! »

Le rasta franco-malien Manjul est un incontournable de la scène musicale locale. À 40 ans, ce compositeur surdoué, parisien d’origine, mais installé à Bamako depuis dix-sept ans, a fait les arrangements de la plupart des grands musiciens du Mali, et notamment, de ces nouveaux talents. « Tal B, Iba One, Gaspi et les autres ont un grand respect des anciens, et des moins vieux, comme moi, qui avons jeté les bases de la musique malienne d’aujourd’hui, souligne-t-il. Ce qui est bien, c’est que la crise de l’industrie musicale les a obligés à revenir au live et à l’instrumentation. »

La kora pour héritage

Binetou Sylla, directrice du légendaire label Syllart Records, suit de près l’évolution de cette génération depuis quelques années. Elle n’en avait encore produit aucun jusqu’à présent, mais, en juin, elle a sorti Afrodias, une mixtape des meilleurs rappeurs « afro », avec la collaboration d’une pléiade de nouveaux talents, dont Iba One. « Ils ont émergé seuls, en s’autoproduisant, en se faisant connaître par le web, et la diaspora leur a donné un écho partout dans le monde, explique-t-elle. C’est comme ça qu’Iba One fait aujourd’hui des concerts à Paris ou à Washington. »

Longtemps inséparable d’Iba One, même si on les dit aujourd’hui fâchés, Sidiki Diabaté, 25 ans, mène également une belle carrière internationale depuis déjà dix ans, mêlant le son de sa kora électrique au rap. Auteur-compositeur-interprète et multi-instrumentiste, lui aussi membre de la Génération RR, le fils du célèbre Toumani Diabaté (Grammy Awards 2006 et 2010) n’oublie pas qu’il est le représentant de la 72e génération de l’une des plus exceptionnelles familles de griots korafola (« joueurs de kora »).

« C’est notre Michael Jackson à nous ! » s’exclame N’Diaye Ramatoulaye Diallo, la ministre malienne de la Culture, en parlant de Sidiki. Ce jour-là, elle reçoit les Diabaté père et fils en grande pompe. « Grâce à mes enfants, je connais les chansons de Sidiki par cœur, poursuit-elle. Je suis fière de cette génération, car c’est notre richesse, quelles que soient les difficultés. Et c’est la carte de visite que j’aime mettre en avant dans le monde. » La veille, Sidiki a donné un concert exceptionnel au palais de la Culture d’Abidjan, qui a rassemblé plus de 20 000 fans électrisés.

Sidiki Diabatéet son père Toumani. © emmanuel daou bakary pour JA

Sidiki Diabatéet son père Toumani. © emmanuel daou bakary pour JA

Le succès du petit prince de la kora est fulgurant et dépasse aujourd’hui celui du maestro de la Kora, son père, Toumani. « Je suis à la rencontre du présent et du passé, confie Sidiki Diabaté. La musique malienne, c’est comme ma carte d’identité. Je viens d’une famille de griots de plus de 700 ans d’existence. Et avec mon père, j’ai encore plus de complicité, de valeurs et de virtuosité partagées. C’est lui qui surveille et gère ma carrière. »

Au Mali, la musique ressemble au fleuve Niger. Immuable avec ses éternels piroguiers. Dont jamais la source ne tarit, quels que soient les aléas du temps.

Son plus proche ami, M’Bouillé Koïté, 27 ans, neveu de Habib Koïté, lui aussi issu d’une famille de griots, partage le même sentiment. « C’est peut-être la différence avec nos pères, notre musique est le fruit de beaucoup de mélanges », confie celui qui a étudié la guitare et le balafon à l’Institut national des arts (INA) du Mali, avant de se lancer dans une carrière à succès.

Une fusion originale qui excelle dans les compositions de Mohamed Diaby, fils de la griotte Koumba Kouyaté. À 30 ans, il est le plus vieux de la GRR et a longtemps travaillé avec les uns et les autres avant de se forger un style à part. « Je mélange jazz, hip-hop et musique mandingue, précise-t-il. Sans oublier l’afro-beat. »

Au Mali, la musique ressemble au fleuve Niger. Immuable avec ses éternels piroguiers. Dont jamais la source ne tarit, quels que soient les aléas du temps. Malgré les sécheresses, la menace terroriste et les anathèmes religieux contre la culture, Bamako continue de faire entendre sa voix et son flot de musique. « Ça ne s’arrêtera jamais, confirme Binetou Sylla. D’ailleurs, une nouvelle génération est déjà en train de pousser, à l’image du rappeur Weei Soldat, dont la carrière explose en ce moment. »

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