La tentation populiste guette-t-elle les Maliens ?
Impatients de voir le pays changer, les électeurs pourraient-ils se laisser séduire par des candidats nationalistes ou pro-islamistes lors des prochains scrutins ?
Mali mélo à mi-mandat
Ibrahim Boubacar Keïta avait promis de rétablir la sécurité et l’autorité de l’État, d’accélérer le développement, en particulier dans le Nord, et de restaurer la bonne gouvernance. Trois ans après son élection, aucun de ces chantiers majeurs n’a encore abouti. Même si, sur tous les fronts, les choses ont progressé.
«Ras-le-bol ! » pouvait-on lire sur certaines banderoles lors de la grande manifestation organisée le 21 mai dernier contre la mauvaise gouvernance et la corruption, l’insécurité et les difficultés de la vie quotidienne. À l’appel des principaux leaders de l’opposition, quelques centaines de militants selon la police, plus de 50 000 selon les organisateurs, s’étaient rassemblés dans le centre de Bamako pour montrer et dire leur mécontentement, à mi-mandat du chef de l’État.
Malgré le remaniement ministériel du 7 juillet et la multiplication des gestes d’apaisement de la part du président IBK, qui semble de plus en plus attentif aux doléances de ses concitoyens, la tension ne retombe pas, notamment dans la capitale.
Une radicalisation croissante
« Moi, mon président je l’aime bien, j’ai voté pour lui ! précise Moussa, un jeune habitant de Quinzambougou (commune II de Bamako). Mais on en a marre des coupures de courant et d’eau, de la vie toujours plus chère, alors que, pendant ce temps, certains proches du pouvoir se servent directement dans les caisses de l’État. Ça ne peut plus durer. »
Étrangement, la désillusion politique ambiante semble aller de pair avec une affluence toujours plus importante dans les mosquées (à majorité wahhabite), la banalisation du niqab noir chez les Bamakoises et un discours rigoriste de plus en plus décomplexé dans la bouche de certains représentants de l’islam local. En novembre 2015, l’imam Dicko, le président du Haut Conseil islamique malien, avait d’ailleurs provoqué une vive polémique en déclarant, juste après l’attaque meurtrière de l’hôtel Radisson Blu, que le terrorisme était « une punition divine ».
Et si demain la radicalisation des esprits se traduisait dans les urnes par l’émergence d’un parti religieux ? Serge Michailof, l’auteur d’Africanistan (paru chez Fayard en 2015), pense qu’il faut rester vigilant.
« La génération de ceux qui ont été formés dans les écoles coraniques wahhabites, en croissance ces trente dernières années, est forcément plus sensible au discours religieux, reconnaît-il. Je ne crois pas pour autant à l’arrivée au pouvoir d’un leader ou d’un parti islamiste. Simplement parce que la Constitution malienne impose à tout homme politique le respect de la laïcité de l’État. Mais il peut toujours y avoir des alliances… »
L’épineuse question sécuritaire
L’impatience se cristallise autour de l’éternel problème du Nord. Un an après l’accord d’Alger, l’État reste absent à Kidal. Pire, les actes terroristes ont gagné tout le territoire. « Face à l’incurie de nos dirigeants, beaucoup de nos concitoyens glissent dans la violence », déplore le président du Parti pour la renaissance nationale (Parena), Tiébilé Dramé. « Le pays se délite, et nous devenons une menace pour nos voisins, poursuit-il. La preuve : les attaques de Bamako, de Ouagadougou et de Grand-Bassam ont été conçues depuis le Mali. Notre crise se métastase dans la région. »
Le rassemblement comme option
Parallèlement, une autre critique refait surface, celle de l’influence politique et militaire de la France au Mali. Et certains leaders politiques agitent déjà la fibre nationaliste. « Le président n’a pas les mains libres », s’insurge Oumar Mariko, le leader du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance, qui revendique plus que jamais une part de responsabilité dans le coup d’État de 2012. « La France défend ses intérêts à travers l’opération Barkhane, mais, en réalité, elle n’a jamais libéré le Mali », explique le chef de l’extrême gauche malienne.
Comme il l’a récemment déclaré à JA (no 2888, du 15 au 21 mai 2016), Oumar Mariko ne verrait aucun inconvénient à se rapprocher des principaux chefs religieux pour former une grande coalition anti-establishment. Ce qui, en clair, pourrait ressembler à un vaste mouvement de rassemblement des extrêmes… et fait dire à Moussa Tembiné, le chef du groupe RPM (le parti présidentiel) à l’Assemblée nationale, que « certains politiques irresponsables jouent avec le feu ».
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