Investiture d’Idriss Déby Itno, N’Djamena blues
Il y a plusieurs façons de ne pas bâiller d’ennui en regardant la brochette des quatorze chefs d’État sagement assis au premier rang de la salle des conférences d’un grand hôtel de N’Djamena, attendant que commence la cérémonie d’investiture du quinzième.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 16 août 2016 Lecture : 3 minutes.
Observer les lourds fauteuils ampoulés de style Louis XV sur lesquels ils sont assis et se demander quand l’Afrique des puissants se résoudra enfin à décoloniser son ameublement. Tenter de deviner l’ordre dans lequel ils ont été placés, avant de s’apercevoir qu’ils le sont, de droite à gauche, en fonction de leur longévité sur le trône, d’Obiang Nguema (trente-sept ans) à Patrice Talon (quatre mois).
Ce jour-là, cent soixante-douze ans au pouvoir nous contemplent
Se dire dans un soupir, après calcul et en comptant avec l’impétrant du jour Idriss Déby Itno, qu’au total, ce jour-là, cent soixante-douze ans au pouvoir nous contemplent. Se rassurer néanmoins sur l’avenir du continent en remarquant qu’élections après élections la gouvernance s’améliore. À preuve : sur les quinze présents, huit ont accédé à la présidence par des voies démocratiques – et ce sont les huit derniers arrivants. À preuve, aussi : il est devenu impossible, pour les autres, de rester au pouvoir au-delà de leur mandat sans être obligés de modifier au préalable la Constitution.
Progrès très relatif, certes, mais progrès tout de même par rapport à l’époque où les chefs ne s’embarrassaient pas de pareils détails. Après tout, si l’Afrique en construction n’a plus besoin d’hommes forts, elle a toujours besoin de leaders d’exception capables de diriger et de transformer leur pays au profit de l’intérêt général. Combien étaient-ils, ce jour-là, à N’Djamena ?
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Trois citations, sans rapports entre elles, ni avec ce qui précède. Recep Tayyip Erdogan, président turc : « J’ai demandé à Obama l’extradition de Gülen [accusé d’être l’instigateur de la tentative de putsch du 15 juillet, NDLR]. Il m’a demandé des documents, des preuves. Je lui ai fait remarquer que, lorsque les États-Unis demandaient l’extradition de terroristes, on ne leur demandait rien, on extradait. » Sur la forme, si ce n’est sur le fond, Erdogan a raison. De Guantánamo à la Cour pénale internationale, qu’ils utilisent sans pour autant y adhérer, les États-Unis ont fait de leur scandaleux unilatéralisme judiciaire mondial un instrument de chantage. Fort heureusement, si tous les peuples du monde aspirent à vivre de façon moderne et démocratique, ils acceptent de moins en moins que cela se fasse sous la férule et les injonctions des Occidentaux en général, de l’hyperpuissance américaine en particulier.
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Nelson Mandela, il y a vingt-deux ans, à la veille de prendre le pouvoir, s’adressant à son peuple : « S’il advient que l’ANC se comporte à votre égard comme le gouvernement de l’apartheid, alors vous devrez faire à l’ANC ce que vous avez fait au gouvernement de l’apartheid. » Douloureux rappel. Les résultats, calamiteux pour l’ANC, des élections locales du 3 août démontrent une fois de plus que les partis issus d’une lutte de libération ont tendance à mal vieillir. Les années passent, les héros d’hier sombrent dans la mauvaise gouvernance, le nombre d’électeurs qui n’ont pas (ou peu) connu le temps de l’oppression coloniale augmente et avec eux s’efface le sentiment de gratitude ou de culpabilité qui faisait de tout vote déviant un sacrilège. Mandela avait vu juste.
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Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), à propos de l’usage (négligé) de la langue française lors des JO de Rio : « C’est à chaque fois un vrai combat ! Nous avons pourtant 3 000 athlètes et beaucoup de spectateurs francophones ! » Sentiment partagé par le « grand témoin » de l’OIF au Brésil, le célébrissime saxophoniste Manu Dibango, lequel se sent « comme le porte-flambeau de 300 millions de francophones » (sic). Travail de Sisyphe, tant l’usage du globish, ce parler anglo-américain sommaire d’aéroport, est devenu le vecteur numéro un de la mondialisation. Face à cette déferlante, le chinois, l’arabe, l’espagnol résistent infiniment mieux que le français. Si le parler de Senghor et de Césaire survit demain au formidable mouvement de réduction des langues de communication, c’est aux Africains qu’il le devra. Pas aux élites françaises, dont la démission en ce domaine ne cesse de décevoir les autres francophones.
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