En Afrique du Nord, le tourisme fait grise mine

Principal pourvoyeur de devises en Égypte, au Maroc et en Tunisie, le secteur est plombé par les récentes attaques terroristes dans la région. Les professionnels tentent de limiter la casse.

La Tunisie a subi une baisse de 18,7 % des arrivées internationales au premier trimestre. © Matthieu Gafsou/Neutral Grey

La Tunisie a subi une baisse de 18,7 % des arrivées internationales au premier trimestre. © Matthieu Gafsou/Neutral Grey

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 6 septembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Égypte, Maroc et Tunisie. Les premiers chiffres de l’année touristique des principales destinations nord-africaines sont tombés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont guère reluisants. Les plages de ces pays méditerranéens habituellement envahies de visiteurs venus de France, d’Angleterre, d’Allemagne ou des Pays-Bas font grise mine depuis le début de l’année.

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Principale victime de cette crise, l’Égypte a vu au premier trimestre le nombre de touristes étrangers chuter de 46,5 % par rapport à la même période en 2015, selon l’Organisation mondiale du tourisme des Nations unies.Un coup dur pour une économie déjà en grande difficulté, plombée par un endettement colossal (98 % du PIB) et un déficit courant qui s’est creusé de 37,5 % au cours des trois premiers mois de cette année, obligeant les autorités à signer un accord d’aide de 12 milliards de dollars (environ 10 milliards d’euros) avec le FMI. L’industrie du voyage et du tourisme, dont les problèmes ont accentué la pénurie de devises du pays, représentait en 2015 quelque 11,4 % du PIB et 10,5 % des emplois (environ 2,6 millions de postes) l’année dernière.

Cette baisse de fréquentation est notamment liée à l’explosion, en octobre 2015, d’un avion russe qui avait décollé de la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh. Ce bombardement revendiqué par Daesh, qui a tué les 224 passagers et membres d’équipage, a rendu encore plus délicate la situation d’une industrie déjà malmenée en raison des craintes liées à l’instabilité politique et à la violence sévissant en Égypte.

« Plusieurs compagnies aériennes, en particulier britanniques, n’ont toujours pas repris les vols vers Charm el-Cheikh », a ainsi indiqué au Financial Times David Scowsill, PDG du Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC). D’après celui-ci, les données montrent même une accélération du taux de déclin du tourisme égyptien, qui avait déjà essuyé une baisse des arrivées internationales de 28,9 % au cours du dernier trimestre de 2015.

Au Maroc, la situation semble moins dramatique, mais le royaume est lui aussi victime du contexte géopolitique peu favorable qui prévaut dans la région. D’après les derniers chiffres de l’Observatoire national du tourisme, au premier semestre de cette année, le nombre de touristes ayant visité le pays a reculé de 2,6 % à 4,2 millions de visiteurs par rapport à la même période l’an dernier.

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Cependant les séjours des visiteurs étrangers ont permis au secteur d’augmenter ses recettes d’environ 1 milliard de dirhams (91 millions d’euros) pour atteindre 26,3 milliards de dirhams sur les six premiers mois de cette année.

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C’est en Tunisie, encore plus dépendante des visiteurs étrangers, que cette crise semble faire le plus de dégâts. Malgré ses piètres performances, le secteur a représenté en 2015 près de 11,5 % des emplois et 12,6 % du PIB, selon le Conseil mondial du tourisme. Célébré comme le seul État d’Afrique du Nord à avoir réussi sa transition démocratique après le Printemps arabe, le pays ne s’est pas pour autant encore remis de ce profond bouleversement.

Son économie est exsangue, il lutte pour attirer des investissements et créer des emplois à destination des jeunes – dont certains sont attirés par la propagande de l’EI… Ce déclin du tourisme représente donc un sérieux défi.

Deux attentats terroristes ont ciblé les touristes en 2015 : 38 vacanciers ont été massacrés dans la station balnéaire de Sousse en juin et 23 personnes ont perdu la vie dans l’attaque du musée du Bardo à Tunis en mars, ce qui n’a évidemment rien arrangé. D’après les données du WTTC, les entrées de voyageurs sont tombées de 18,7 % au premier trimestre, accentuant la baisse de 25,2 % à 5,4 millions de visiteurs enregistrée en 2015.

Alors qu’en 2010 la Tunisie avait accueilli plus de 7 millions de touristes et enregistré des revenus d’environ 3,5 milliards de dollars, l’an dernier ces recettes n’ont guère dépassé 1,5 milliard. De mauvais résultats qui étouffent un peu plus la croissance, tombée à moins de 1 %, et mettent la pression sur le dinar, qui a atteint un plancher record par rapport au dollar en juillet.

Baisse des tarifs

Pour limiter la casse, les professionnels exploitent les difficultés de leurs concurrents égyptiens et turcs, leurs principaux rivaux dans la région. Ils ont baissé leurs tarifs et communiqué notamment en direction des marchés russe et algérien.

Profitant de ce que Moscou avait interdit les vols à destination du pays des pharaons, la Tunisie a attiré au début de cette année près de 350 000 Russes, selon les chiffres relayés par le quotidien économique britannique. D’après le site algérien TSA, la police des frontières estimait mi-août que 17 000 personnes se rendaient en Tunisie chaque jour (ce chiffre de haute saison était de 10 000 en 2015).

Interrogé par le Financial Times, Mohamed Daoud, patron de la société One Resort, qui gère à Monastir deux établissements comptant au total 1 500 chambres, avoue avoir dû batailler pour garder ses hôtels ouverts : « Comme nous n’avons plus que le marché russe, nous avons dû réduire les tarifs pour les intéresser. Le prix moyen est inférieur de 30 % à ce qu’il était en 2014. »

Riadh Ben Jelili, fondateur du think tank tunisien Joussour, constate dans le Financial Times que les dépenses moyennes des touristes ont aussi chuté. En 2014, elles étaient de 50 à 60 euros par jour, elles sont tombées à 30 euros. Cela tient au fait que beaucoup d’opérateurs proposent des offres « tout compris », même les hôtels plus haut de gamme, rendant la réalisation de profits impossible.

L’onde de choc va se faire sentir jusque dans le secteur bancaire, prédit-il, car ce dernier détient de nombreuses créances dans l’industrie touristique. « La vulnérabilité des banques tient à la proportion de prêts non productifs, et au moins 20 % de ceux contractés les deux dernières années viennent de ce secteur », ajoute l’économiste.

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