Dialogue en RDC : Edem Kodjo, une passion congolaise
C’était il y a trois mois, dans le salon d’un hôtel de Brazzaville. Tapi au fond d’un fauteuil trop grand pour lui, Edem, né Édouard Kodjo, 78 ans, égrenait les aléas de ce qu’il qualifiait lui-même de « mission impossible ».
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 29 août 2016 Lecture : 3 minutes.
Autant d’obstacles que ce féru de théologie comparait, sourire en coin, aux stations du Christ le long de son chemin de croix. « Les Congolais de RDC ont une extraordinaire capacité à dire en public le contraire de ce qu’ils vous ont confié en privé, soupirait-il. Alors, forcément, je suis parfois un peu perdu. »
Vraiment ? Se fier à l’apparente lassitude et à l’humilité contrite du facilitateur du dialogue national en République démocratique du Congo serait une erreur. Doté d’une dose d’amour-propre assez peu évangélique, le personnage est en outre du genre résilient. La preuve : malgré les insultes et les crachats, malgré les titres des journaux kinois qui glosent sur son « calvaire » et sa « galère », l’énarque collectionneur d’art est toujours là, présidant le 23 août la séance d’ouverture des travaux du comité préparatoire au dialogue, en pleine journée ville morte.
Entre un Joseph Kabila indéchiffrable, un camp présidentiel qui le soutient comme la corde le pendu et une opposition « radicale » qui a fait de lui son bouc émissaire, Edem Kodjo se trouve dans une position a priori intenable. Dans cette mare aux sauriens glissants comme des savonnettes qu’est le cloaque politique congolais, tenir en équilibre relève de l’exploit, et n’était le soutien – pour l’instant – de l’Union africaine, de l’ONU, de l’Union européenne et de la conférence épiscopale, l’insubmersible Kodjo aurait depuis longtemps coulé au milieu du fleuve Congo.
Procès en sorcellerie
Tout au long de sa riche carrière, l’ancien Premier ministre d’Eyadéma (père, puis fils) et ex-secrétaire général de l’OUA a reçu plus de coups qu’il n’en a donnés, mais rarement avec autant de violence que dans ce pays-continent où les volte-face laissent parfois pantois. « Vous recevez un acteur politique. Tout se passe bien. Vous êtes d’accord. On rigole. Et à la sortie, il vous assassine ! Vous l’appelez pour vous en étonner. Il s’excuse, vous demande de le comprendre en expliquant qu’au Congo on n’écoute que les propos excessifs. Et ainsi de suite… », résume Kodjo.
Le fossé de méfiance qui sépare le pouvoir de l’opposition est si profond que le simple fait de ne pas être critiqué par le premier vaut à Edem Kodjo un procès en sorcellerie de la part de la seconde. Dans le rôle des inquisiteurs : Étienne Tshisekedi, Moïse Katumbi et leurs lieutenants. Pour eux, le facilitateur est au mieux un « complicateur » et un « petit kabiliste » en service commandé, téléguidé en sous-main par un Jacob Zuma soucieux de préserver ses intérêts miniers au cœur du coffre-fort de l’Afrique centrale.
Boule consentante d’un coup de billard complotiste à trois bandes, Kodjo serait évidemment « acheté » par Kabila lui-même. Un axiome énoncé comme un truisme. À Kinshasa, où la vie s’attrape plutôt qu’elle se gagne, il serait presque incongru d’exiger les preuves d’une telle affirmation, laquelle va de soi. Insistez un peu et l’on vous donnera la somme au dollar près…
Mais alors, si ce n’est l’argent, qu’est-ce qui fait courir Edem Kodjo ?
En vieil habitué de ce type de diffamation, depuis l’époque lointaine où les services marocains faisaient courir le bruit qu’il avait été stipendié par les Algériens pour introduire la République sahraouie au sein de l’OUA, notre homme préfère en sourire, comme on se résigne à subir une fatalité quasi culturelle.
Mais alors, si ce n’est l’argent, qu’est-ce qui fait courir Edem Kodjo ? Les honneurs ? Peut-être. L’ego et une certaine conception de sa place dans l’Histoire, lui qui se définit – entre autres – comme l’un des derniers dinosaures du panafricanisme ? Certainement. Ne pas quitter la scène internationale sur un échec est pour lui une obsession qui explique la vigueur avec laquelle il défend contre vents et marées un dialogue en forme de plan de sortie de crise.
Alors que la commission électorale vient de reconnaître l’impossibilité technique (par manque de moyens et de volonté politique) d’organiser une élection présidentielle acceptable avant juillet 2017, Kodjo avertit. Soit les deux camps se mettent d’accord sur un délai rendant possible la tenue du scrutin dans des conditions raisonnables et conformes à la Constitution (c’est‑à-dire sans Joseph Kabila), quitte à cogérer une période de transition avec un Premier ministre issu de l’opposition (Vital Kamerhe ?), soit le 20 décembre 2016, jour où expirera le second mandat de l’actuel chef de l’État, marquera le début d’un affrontement incontrôlable dont personne ne sortira vainqueur.
Ces derniers mois, le pouvoir en place à Kinshasa a regagné du terrain, alors qu’une opposition toujours aussi pugnace semble hésiter sur la stratégie à suivre. Ne pas mettre à profit cet équilibre des forces pour négocier serait suicidaire, pense Edem Kodjo, qui cite Frantz Fanon à l’intention des politiciens congolais : « Chaque génération doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »
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