France : entre Sarkozy et l’islam, le Coran ne passe plus
Marqués par les attentats et par le débat sur le burkini, les Français se raidissent ? Qu’à cela ne tienne ! Candidat à la primaire des Républicains et du centre, l’ancien chef de l’État met le cap à droite. Dans sa ligne de mire : les musulmans.
«Disons-le tout net sans aucun esprit de polémique [sic], ce n’est pas avec les religions que la République a aujourd’hui des difficultés, mais avec l’une d’entre elles qui n’a pas fait le travail nécessaire autant qu’inévitable d’intégration. » Cette religion, c’est l’islam, que Nicolas Sarkozy a choisi de cibler tout au long de Tout pour la France (éd. Plon), le livre par lequel il a annoncé, le 22 août, sa candidature à la primaire de la droite et du centre, préalable à une éventuelle reconquête de la présidence de la République en 2017.
Brutal, polémique, démagogue, il s’adresse à tous les électeurs qui pestent qu’ils « ne se sent[ent] plus chez [eux] » et leur promet qu’il sauvera l’identité de la France. Ses recettes ? La sécurité et l’ordre. Il n’a pas changé d’un iota son discours de Grenoble du 30 juillet 2010, dont il avait pourtant regretté les excès en son temps. Il a seulement remplacé le mot « Roms » par « musulmans », et dramatise la situation en évoquant un risque de guerre civile.
Les musulman français clairement visés
Surfant sur la vague de colère consécutive aux attentats de Paris, de Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray, il somme les musulmans de France de « s’assimiler » enfin, espérant renvoyer dans le monde des doux rêveurs le projet d’« identité heureuse » que défend Alain Juppé, son principal rival à la primaire.
Certes, les musulmans ne sont pas toujours désignés. Mais comment ne pas les voir derrière sa dénonciation du jihadisme ? « Il n’y a pas d’identité heureuse quand des milliers de Français, nés en France, élevés en France, en viennent à haïr à ce point leur patrie. » Ou derrière la critique virulente de certains usages : « La soumission des femmes, la séparation des sexes, les interdits alimentaires, la récusation d’un médecin selon qu’il est homme ou femme, le refus de montrer le corps et la beauté féminine, la condamnation de la tolérance. »
« Nous voulons un islam de France, poursuit l’ancien président. Nous refusons un islam en France. » Autrement dit, il ne tolérera pas le moindre signe d’appartenance religieuse ni à l’école, ni à l’université, ni dans les administrations, ni dans les entreprises. Pas question de menus de substitution dans les cantines scolaires, « sinon, […] nous nous retrouverons avec des tables réservées aux enfants musulmans ou aux juifs ».
Les écoles musulmanes hors contrat devront traiter les filles de la même manière que les garçons, et adopter le français en première langue. Les adeptes du voile intégral se verront privées « de toute aide sociale et familiale en cas de récidive ». Les prêches des imams devront se faire en français et les prières de rue seront interdites.
L’attentat de Nice lui fait écrire que « nous sommes en guerre » et que, « contrairement aux dix commandements reçus par Moïse au mont Sinaï, l’État de droit n’est pas gravé pour l’éternité dans des tables de pierre ».
L’explosion démographie africaine perçue comme un défi pour la France
Suit une longue liste de mesures à prendre pour « agir vite et fort » qui, effectivement, ne respectent ni l’État de droit ni la Constitution : déchéance de nationalité pour les binationaux qui « trahissent » la France ; création de centres de rétention fermés ; assignation à résidence avec port d’un bracelet électronique pour les personnes qui, en raison de leur consultation régulière de sites jihadistes, passent pour dangereuses et sont fichées ; expulsion du territoire dès une première condamnation ; fermeture des lieux de culte à la discrétion du ministre de l’Intérieur ; création de centres de déradicalisation (« Nous ne voulons sur notre territoire ni des salafistes ni des comportements qui leur sont habituels ») ; pérennisation des perquisitions de nuit comme de jour ; création d’une Cour de sûreté antiterroriste et d’un service de renseignement interne aux prisons.
« La France ne peut être réduite à un guichet de distribution de prestations sociales », écrit l’ancien président
En brandissant la question de l’immigration venue du Maghreb il y a cinquante ans, aggravée par le regroupement familial depuis 1976 et qui, selon lui, submerge la France, Nicolas Sarkozy en rajoute. « Au cours des seules trente prochaines années, l’Afrique va plus que doubler sa population [sic], passant de 1,2 milliard d’habitants à 2,5 milliards, écrit-il. […] L’Afrique étant à 14 km de l’Europe par le détroit de Gibraltar, on mesure l’immensité du défi qui se dresse devant nous. »
Pour réduire « drastiquement » le nombre des immigrés et « préserver la civilisation européenne », il veut rétablir les contrôles aux frontières et instaurer des centres de tri des candidats à l’immigration au sud de la Méditerranée, financés par l’Europe. « Parce que la France ne peut être réduite à un guichet de distribution de prestations sociales », il préconise la suppression de l’aide médicale d’État, qui coûte 800 millions d’euros par an, à laquelle il substituerait une aide couvrant uniquement les cas dans lesquels un pronostic vital est engagé. Il propose également de conditionner le versement de prestations sociales à une présence de cinq ans en France.
Le droit du sol – en vertu duquel un enfant né en France a de facto la nationalité française – ne s’appliquerait plus automatiquement. Histoire d’éviter, par exemple, que les Comoriennes ne viennent accoucher en masse à Mayotte, précise-t‑il. À 18 ans, un enfant d’immigrés ne deviendrait donc français qu’à la condition de n’avoir commis ni crime ni délit, et uniquement si ses parents étaient en situation régulière à sa naissance. Enfin, pour obtenir la nationalité, il faudrait avoir résidé dix années en France au lieu de cinq actuellement.
Une stratégie payante ?
Pour Bernard Sananes, président de l’institut de sondages et de conseil Elabe, cette droitisation mise en œuvre par Sarkozy « fonctionne, car elle mobilise son cœur électoral tenté par le Front national et sensible aux thèmes identitaires ». En tirant la primaire vers la droite, Nicolas Sarkozy accompagne le raidissement de l’opinion. « Cela pourrait décourager les électeurs du centre d’y participer », estime Bernard Sananes, alors que ceux-ci soutiennent Alain Juppé, dont la campagne semble patiner.
Selon lui, s’agissant de l’ancien président de la République, le corps électoral se divise en trois groupes : les électeurs de gauche et du Front national, qui lui sont toujours très hostiles ; la base du parti Les Républicains, qui ne doute pas un instant de la nécessité de son retour à l’Élysée ; et une partie de l’électorat de droite qui se dit : « Après tout, pourquoi pas lui ? »
Difficile de dire si cette stratégie de la tension sera gagnante tant les inconnues sont grandes, à commencer par le nombre des participants à la primaire. En revanche, en plein débat sur l’interdiction du burkini sur les plages, elle est extrêmement dangereuse, car elle risque de tendre les relations entre les musulmans et le reste de la communauté nationale. L’islamophobie pourrait y trouver des prétextes pour s’exprimer plus violemment. Si les élus cédaient à la tentation de bouleverser les bases de l’État de droit pour répondre au besoin frénétique de sécurité des Français, le vivre-ensemble pourrait devenir… invivable.
Et s’il rattrapait Alain Juppé ?
En saturant l’espace médiatique depuis l’annonce de sa candidature à la primaire des 20 et 27 novembre et en formulant des propositions sujettes à controverse, Nicolas Sarkozy a-t-il rattrapé son retard sur Alain Juppé dans les sondages ?
Oui, répond l’enquête TNS Sofres publiée dans Le Figaro du 29 août : il gagne quatre points d’intentions de vote par rapport au mois de juin et ferait jeu égal au premier tour de ce scrutin avec Alain Juppé (34 % chacun), loin devant Bruno Le Maire (17 %) et François Fillon (9 %). Au second tour, Juppé l’emporterait avec 55 % des voix.
Pas vraiment, affirme de son côté l’institut Odoxa, dont l’enquête est parue le 27 août dans Le Parisien. Un léger effet en sa faveur après sa déclaration de candidature ne l’empêcherait pas d’être battu par Juppé au premier tour (38 % contre 27 %) comme au second (66 % contre 34 %). Toujours selon Odoxa, qui les a interrogés sur les qualités qu’ils prêtent aux candidats de droite, les sondés estiment que Juppé avance « les meilleures propositions », que Le Maire est « le plus moderne » et que Sarkozy est celui qui a « le plus envie d’être président ».
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