Institutions : guerre des patrons à Dakar
Serigne Mboup, le PDG du groupe CCBM, est entré en conflit ouvert avec une partie des chefs d’entreprise sénégalais. Principal enjeu : le contrôle de la chambre de commerce de la capitale.
La tension monte au sein du patronat sénégalais. Alors que chaque région dispose aujourd’hui d’une chambre de commerce autonome, un projet de réforme propose de revoir cette organisation.
Selon les informations obtenues par Jeune Afrique, un texte aurait été préparé par un groupement d’organisations patronales – principalement la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes), le Conseil national du patronat (CNP), l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois) et le Mouvement des entreprises du Sénégal (Meds). Il propose d’harmoniser le schéma national avec les modèles en vigueur dans les autres pays de l’UEMOA. En substance, la création d’une chambre nationale est prévue, dotée d’une personnalité juridique. Les chambres régionales, actuellement sous la tutelle du ministère du Commerce, en deviendraient les prolongements.
Défaut de légitimité
Mais « ce ministère, qui est le maître d’œuvre de cette réforme, n’a encore rien décidé », nous explique une source à la chambre de commerce de la capitale. Il n’empêche que la démarche n’a guère plu à l’homme d’affaires Serigne Mboup, patron du groupe Comptoir commercial Bara Mboup (CCBM) et président de la chambre de commerce de Kaolack.
À ses yeux, le groupement d’organisations à l’origine de la proposition de réforme et mené notamment par Mansour Cama et Baïdy Agne (respectivement présidents de la Cnes et du CNP) est « peu représentatif » : « Ces organisations patronales n’ont aucune légitimité. Il n’y a que les chambres de commerce qui peuvent parler au nom de l’ensemble du secteur privé », soutient-il.
Serigne Mboup s’oppose aussi à la mise en place d’une chambre de commerce nationale avec des antennes régionales. « D’abord, ce n’est pas une disposition de l’UEMOA, affirme-t-il. Le Sénégal a décentralisé ses chambres consulaires très tôt car elles sont une affaire de terroir. Par exemple, en France, même les départements disposent de leurs propres chambres de commerce. »
Également président de l’Union nationale des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture du Sénégal (UNCCIAS), Serigne Mboup menace d’ailleurs de porter plainte contre Mansour Cama et Baïdy Agne pour usurpation de fonction. Si ce dernier n’a pas daigné répondre, le conseil d’administration de la Cnes est, par contre, aussitôt monté au créneau via un communiqué et un point de presse.
Bataille autour de la présidence de la chambre de commerce de Dakar
Cette rivalité entre patrons est surtout attisée par une échéance électorale : avant la fin de cette année, les chambres de commerce des 14 régions du Sénégal doivent renouveler leurs dirigeants. Serigne Mboup a officiellement annoncé son intention de briguer la présidence de la chambre de commerce de Dakar, la plus importante du pays, qui était dirigée par Mamadou Lamine Niang, décédé le 1er août. Un poste qui confère à celui qui l’occupe une influence certaine dans le milieu des affaires et auprès des autorités.
Mais alors que le groupement porteur du projet de réforme des chambres a décidé de s’allier derrière une candidature unique, Serigne Mboup y voit la preuve d’une conspiration contre lui. Le patron de CCBM accuse Mansour Cama de manœuvrer pour l’empêcher d’accéder au poste. Discret, le président de la Cnes ne s’est pourtant jamais prononcé sur ses intentions.
Mais d’après une source proche du groupement d’organisations patronales, « le fait que nous ayons donné mandat à Mansour Cama d’organiser les obsèques de Mamadou Lamine Niang et de parler au nom du secteur privé sénégalais, voire ouest-africain, lors de cette cérémonie, à laquelle le chef de l’État a assisté, a exposé encore plus celui-ci aux foudres de Serigne Mboup. »
Deux profils différents
Dans cette sourde bataille, ce sont deux styles et deux visions qui s’affrontent. Serigne Mboup est né à Kaolack, dans le bassin arachidier, il y a presque cinquante ans, et a hérité du business familial à la mort de son père, en 1992. Au cours des années 2000, cet autodidacte diplômé d’une école coranique faisait partie de la classe des hommes d’affaires locaux soutenus par l’ancien président Abdoulaye Wade.
Son entreprise, à l’origine spécialisée dans l’importation et la commercialisation de produits alimentaires, s’est muée en un holding opérant dans de nombreux secteurs. Ce fervent talibé mouride est un homme d’affaires pressé et ambitieux. Un peu trop d’ailleurs au goût de certains… Élu président de la chambre de commerce de Kaolack en 2010, il a accédé cinq ans plus tard à la tête de l’UNCCIAS.
Mansour Cama, patron d’une des organisations patronales privées les plus importantes du pays, est quant à lui diplômé de l’université de Dakar et appartient à une famille connue dans le monde des affaires sénégalais. Il est le petit frère de feu Pierre Babacar Cama, qui fut le tout-puissant patron des Industries chimiques du Sénégal sous Abdou Diouf.
Administrateur de la Sénégalaise des eaux (majoritairement détenue par Eranove) et siégeant au sein du conseil d’administration du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique, Mansour Cama investit surtout dans l’hôtellerie. Il est actionnaire du réceptif Laguna Beach à Mbodiène sur la Petite Côte (à 80 km au sud de Dakar) et préside aux destinées de la Cnes depuis 2003. Sans aucune connexion politique particulière, il ne rate jamais l’occasion de critiquer devant le gouvernement l’absence du secteur privé national dans l’exécution de certains grands marchés du Plan Sénégal émergent.
L’objectif du groupement d’organisations patronales à l’origine du projet de réforme des chambres de commerce est justement de remédier à cette situation. Reste à savoir si les patrons sénégalais le choisiront pour candidat à la présidence de celle de Dakar.
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