Maroc : quand les défenseurs de la vertu sont pris la main dans le sac
La multiplication d’affaires de mœurs impliquant des figures de la mouvance islamiste n’en finit pas d’écorner l’image et d’entamer la crédibilité des gardiens autoproclamés de l’ordre moral. Retour sur des scandales qui font désordre.
C’est l’affaire de l’été 2016 au Maroc, une affaire de mœurs qui aurait pu être reléguée aux pages des faits divers, si ce n’était la stature politique de ses protagonistes. Deux figures emblématiques du Mouvement unicité et réforme (MUR), base arrière idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD), sont prises en flagrant délit d’adultère.
Omar Benhammad et Fatima Nejjar, tous deux vice-présidents de ce mouvement de prédication tentaculaire qui constitue le terreau électoral du PJD, ont été arrêtés au petit matin du 20 août à bord d’une voiture, sur une plage déserte de Mohammedia (à 30 km de Casablanca). Au cours de leur interrogatoire, ils auraient avoué avoir eu un rapport sexuel. Les détails les plus croustillants de l’interpellation et du procès-verbal ont fuité dans la presse, qui en a fait ses choux gras : « amas de mouchoirs sous le pantalon de Benhammad », « tissu blanc et morceau de savon », « mouchoirs en papier contenant un liquide visqueux »…
Et ce n’est pas tout : lors de son interpellation, le prédicateur du MUR aurait signifié aux policiers qu’il n’avait pas suffisamment de cash, ce qui lui a valu un nouveau chef d’inculpation – tentative de corruption – dont il devra répondre devant la justice.
Faites ce que je dis…
« Si tous ces éléments ont fuité, nous affirme un dirigeant islamiste, c’est bien pour décrédibiliser ces deux personnes. » Et pour cause : les deux tourtereaux sont connus pour leur discours moralisateur, voire hargneux, qui leur a permis de gravir les échelons dans leur mouvance.
Omar Benhammad, premier vice-président du MUR, s’est toujours présenté comme un gardien de la vertu. Une de ses fatwas les plus célèbres, émise sur le site officiel du MUR en 2013, considérait haram les échanges de mots d’amour sur les réseaux sociaux entre hommes et femmes quand bien même ils seraient mariés.
« Pendant ce temps-là, le mufti rendait visite chaque semaine à Fatima Nejjar, dont le mari était sur son lit de mort », nous glisse malicieusement une source proche de l’affaire. Nejjar, de son côté, était devenue la star des youtubeuses islamistes, grâce notamment à des vidéos dans lesquelles elle s’évertue à prêcher la « bienséance » aux femmes. D’ailleurs, au lendemain de l’éclatement du scandale, l’une de ses vidéos a été reprise en boucle par la « twittoma » : Nejjar y explique qu’une « étudiante qui rit devant un de ses camarades peut être interprétée comme une invitation à la fornication ».
Lâchage
Secoué par le comportement de ses deux membres, le MUR n’a pas tardé à réagir. Immédiatement après leur interpellation, un communiqué du mouvement dirigé par Abderrahim Chikhi (ancien membre du cabinet du chef de gouvernement) a annoncé l’exclusion de Benhammad et la démission de Nejjar. Le MUR s’empresse même de nommer leurs remplaçants, comme pour tourner rapidement la page de ce malheureux épisode.
Le PJD, quant à lui, a préféré adopter la politique de l’autruche, passant la consigne à ses cadors de s’abstenir de commenter « le fait divers ». « La réaction rapide du MUR confirme le verrouillage du mouvement par le PJD, alors qu’il y a à peine quelques années, c’était l’association religieuse qui contrôlait le parti », commente le politologue Mohamed Tozy.
C’est que le PJD a retenu les leçons d’une affaire assez similaire qu’il a dû gérer en 2015. L’amourette entre Lahbib Choubani et Soumia Benkhaldoun avait en effet fait les manchettes de la presse nationale et internationale.
L’ancien ministre des Relations avec le parlement était en effet soupçonné d’avoir donné un sérieux coup de pouce à son ancienne directrice de cabinet pour accéder au poste de ministre déléguée à l’Enseignement supérieur. Sauf que les deux responsables gouvernementaux entretenaient une relation intime qu’ils avaient essayé de garder secrète avant qu’elle éclate au grand jour. Elle sera d’ailleurs confirmée par leur mariage, durant l’été 2015, quelques mois seulement après leurs démissions « forcées » du gouvernement.
L’affaire Benhammad-Nejjar refera sans doute surface durant la campagne pour les prochaines législatives
« Bien sûr que l’on peut comparer les deux affaires, nous explique ce psychologue sous le couvert de l’anonymat. Même s’il n’y a eu pas d’interpellation en flagrant délit des deux ministres, les deux cas sont comparables : il s’agit de relations extraconjugales incompatibles avec le discours religieux qu’ils tiennent. »
La décrédibilisation de la carte de la vertu, principal cheval de bataille des islamistes, est bien évidemment la conséquence directe de ce genre de scandale. « L’affaire Benhammad-Nejjar refera sans doute surface durant la campagne pour les prochaines législatives [qui s’ouvre le 24 septembre], poursuit Mohamed Tozy. Les adversaires du PJD ne manqueront pas d’y faire allusion, comme ils exhumeront aussi celle impliquant Choubani et Benkhaldoun. » L’affaire des deux ministres avait d’ailleurs été révélée par l’un des plus farouches adversaires du parti islamiste à l’époque, Hamid Chabat, patron de l’Istiqlal, au cours d’un meeting à Errachidia, fief électoral précisément de Choubani.
Effet décuplé
Dans la plupart de ce genre d’affaires, la main invisible des services spéciaux est souvent évoquée par les protagonistes. Dès la révélation du scandale, des voix se sont élevées pour crier à l’instrumentalisation et à la manipulation. L’ancien président et cofondateur du MUR, Ahmed Raïssouni, s’est d’ailleurs fendu d’une tribune pour expliquer que les sécuritaires ont « exploité une infraction commise par un homme et une femme », « des victimes d’un guet-apens », selon ses propos, dans le seul but de « marquer une victoire sur deux dirigeants islamistes ».
Ces arguments rappellent un autre scandale qui avait secoué les rangs d’Al Adl Wal Ihsan, une autre mouvance islamiste, en 2007. L’un des symboles de la Jamâa, dirigée à l’époque par cheikh Yassine, avait été interpellé dans un appartement à El Jadida (situé à 80 km de Casablanca) en pleins ébats avec l’une de ses fans. Un coup dur pour celui que l’on surnommait le « rossignol d’Al Adl » et qui drainait les foules aux soirées religieuses organisées par l’association non reconnue.
Les disciples de feu cheikh Yassine s’étaient empressés de crier au « complot ». Parmi les communicants de la Jamâa figurait à l’époque Nadia Yassine (la fille du cheikh), loin de se douter qu’elle allait elle-même être la cible d’accusations pour une relation extraconjugale. En juin 2011, la pasionaria d’Al Adl Wal verra en effet des photos d’elle avec l’un de ses anciens camarades de classe, présenté comme son amant, faire le tour de la Toile.
Les clichés volés à la manière des paparazzis pendant un séjour en Grèce n’ont certes pas grand-chose de compromettant. Mais des rumeurs évoquaient l’existence d’une sextape du couple, qui aurait partagé la même chambre pendant trois nuits au cours de ce voyage aux frais du cheikh. Il n’en fallait pas plus pour réduire Nadia Yassine au silence et la faire disparaître définitivement de la Jamâa et du champ médiatique, non sans qu’elle se soit insurgée contre les « manœuvres crapuleuses des services de sécurité ».
Ce genre d’affaire laisse forcément des séquelles. Car si les scandales sexuels sont, de par le monde, une arme fatale pour torpiller des carrières politiques, l’effet est décuplé lorsqu’ils concernent des islamistes, car leur principal argument politique est d’ordre moral… Le scandale Benhammad-Nejjar ne devrait donc pas se tasser avant les législatives du 7 octobre et le PJD en fera certainement les frais. Mais de là à penser que ce sera suffisant pour le priver d’une victoire…
Un alibi d’un autre âge
«Mariage coutumier ». C’est l’argument qu’a avancé Omar Benhammad, cueilli le Kleenex entre les cuisses, pour « halaliser » ses ébats avec Fatima Nejjar. Évidemment, ce mariage orfi que l’on peut conclure sans témoin à la simple lecture de la fatiha n’est pas reconnu par la loi marocaine, sauf rares exceptions. Il a été en effet d’usage dans des régions enclavées du pays où les habitants ne disposaient même pas de pièces d’identité.
Mais, depuis plusieurs années déjà, le ministère de la Justice mène des caravanes pour régulariser les contrats de mariage entre des villageois, pour la majorité analphabètes et démunis. L’opération de régularisation était d’ailleurs arrivée à échéance à la fin de 2015. L’alibi de Benhammad était visiblement destiné à se justifier devant ses frères islamistes, espérant un soutien de leur part. Mais cela n’a pas suffi : dans son communiqué rendu public le 21 août, le mouvement annonce « son rejet total du mariage coutumier ».
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles