Bande dessinée : souvenirs d’Algérie
Deux romans graphiques reviennent sur l’expérience de soldats français en terre algérienne. Avec subtilité et sensibilité.
Cinquante-quatre ans après la fin de la guerre d’Algérie, le conflit continue de hanter la mémoire de l’ancienne puissance coloniale. Cela ne signifie pas pour autant que rien ne soit entrepris, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, pour faire la lumière sur les zones d’ombre d’une histoire de fièvre et de sang. Livres de chercheurs, témoignages d’acteurs, expositions diverses ont été nombreux, ces dernières années, à revenir sur les « événements » – le monde de l’édition ne passant pas à côté du cinquantenaire de l’indépendance, en 2012.
Ce qui frappe, néanmoins, c’est la quantité de bandes dessinées produites sur le sujet en l’espace de quelques années. Dans l’ombre de Charonne, Retour à Saint-Laurent-des-Arabes, Leçons coloniales ou Demain, demain ne sont que quelques-uns des titres racontant en cases et en images différents épisodes du conflit. À cette liste non exhaustive, il faut aujourd’hui ajouter deux témoignages de militaires français dessinés respectivement par Gaétan Nocq et Marc Védrines, Soleil brûlant en Algérie (La Boîte à bulles) et Salam Toubib (Delcourt).
Comme l’indique son sous-titre, le premier reprend le récit d’Alexandre Tikhomiroff, né en 1935 à Paris et incorporé en novembre 1956, à Vincennes. Le dessinateur Gaétan Nocq l’a rencontré par l’intermédiaire d’un cor chromatique patiné exposé au Musée de l’histoire de l’immigration (Paris) et qui avait appartenu à son père, russe blanc ayant fui la révolution bolchevique. De ses vingt-sept mois de service militaire, Tikhomiroff a rapporté quelques photographies et un récit personnel.
D’une terrible beauté, ces planches explorent la zone grise où il n’y a ni ni héros ni antihéros
Touché par la sincérité du propos, Nocq l’a scénarisé et dessiné – une démarche parfois difficile pour l’ancien soldat : « J’ai écrit ce livre pour témoigner. Mais j’ai écrit ce livre pour oublier, et toi, tu me replonges dedans », disait-il parfois au dessinateur. En vérité, c’est bien ce que fait Nocq : l’expérience du soldat Tikhomiroff lui permet de nous plonger dans le quotidien de la caserne Dubourdieu, École militaire d’infanterie, à Cherchell.
Un quotidien fait de patrouilles, de brimades, d’amitiés, de violence, d’incompréhensions… Un quotidien où l’on peut prendre un bain de mer entre soldats peu après qu’un Algérien a été jeté dans le vide depuis un hélicoptère… Entièrement dessiné au crayon, ce roman graphique d’une terrible beauté explore cette zone grise où il n’y a ni héros ni antihéros, mais seulement des hommes aux prises avec une histoire qui les dépasse.
Soleil brûlant en Algérie, Gaétan Nocq, La boîte à bulles, 242 pages, 20 euros.
Un médecin face à l’horreur de la guerre
Scénarisé par Claire Dallanges et dessiné par Marc Védrines, Salam Toubib, chronique d’un médecin appelé en Algérie, 1959-1961 fonctionne à peu près sur le même principe puisque le récit s’inspire des événements vécus par le père de la scénariste.
Volontaire, le jeune médecin était parti avec en tête l’idée de découvrir la vérité sur ce qu’il se passait en Algérie. Un acte véritablement insensé, en 1958… mais un acte qui lui permettrait en effet de faire la lumière sur ce que le gouvernement d’alors souhaitait cacher : la folie des chefs, la violence des combats, le racisme, la misère des populations algériennes, la torture… Là encore, même si le jeune médecin prend à cœur de soigner les uns comme les autres, et en particulier les plus pauvres, nul héros ne se signale. Peut-être parce qu’il en est ainsi de toute guerre, où, s’il y a bien un vainqueur et un vaincu, les familles des deux camps pleurent au bout du compte leurs morts et la défaite de l’humanité.
Salam Toubib. Chronique d’un médecin appelé en Algérie, 1959-1961, de Claire Dallanges et Marc Védrines, Delcourt, 164 pages, 19 euros.
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