Gabon : les leçons du scrutin
La division du parti au pouvoir et les attaques sur l’origine d’Ali Bongo Ondimba auraient pu le mener à la défaite. Elles ont surtout favorisé un retour du vote identitaire.
Un long chemin semé d’embûches
Déterminés à obtenir la disqualification d’Ali Bongo Ondimba par la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) et la Cour constitutionnelle, ses adversaires ne lui ont rien épargné. Sa filiation a été mise en doute, avec la troublante caution d’une partie de sa famille, une procédure a même été engagée devant un tribunal de Nantes, en France, pour déterminer la véracité de son acte de naissance… Ces attaques d’une rare violence verbale ont définitivement été mises en échec après la confirmation de l’authenticité dudit acte et la validation de son dossier par la Cenap.
« Depuis 2013, nous sommes revenus à la politique politicienne », avait reconnu ABO dans une interview à JA. Paradoxalement, l’affaiblissement de l’opposition à la suite des décès de Pierre Mamboudou (2011) et d’André Mba Obame (2015) a créé les conditions d’une crise au sein du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Le refus obstiné d’ABO de céder à ceux qui souhaitaient conserver leurs privilèges ont révulsé les anciens apparatchiks. L’un après l’autre, les barons ont démissionné du parti avant de passer à l’opposition : René Ndemezo’o Obiang, Jean-François Ntoutoume Emane, Jean Ping, Guy Nzouba-Ndama, Jacques Adiahénot et Léon-Paul Ngoulakia…
Le livre Nouvelles Affaires africaines, publié en 2014 par Pierre Péan, a remis au goût du jour les cyniques sornettes sur les origines nigérianes d’ABO. Regroupés au sein du courant « Héritage et Modernité », des parlementaires ont déclenché une fronde qui a ébranlé la majorité. Le président n’a pas cédé, les dissidents ont pris la porte. Pendant ce temps, le nom de Bongo est apparu à plusieurs reprises dans la rubrique « Faits divers » de la presse internationale : avion présidentiel et résidence parisienne saisis par des créanciers, directeur de cabinet arrêté par la justice française…
L’opposition issue des rangs du PDG avait fait le pari qu’ABO ne finirait pas son mandat. « Il y aura un coup d’État ou une insurrection », prédisaient les adversaires du chef de l’État en décembre 2014, lors d’un congrès organisé à Paris. Il désignèrent – déjà – Jean Ping pour conduire une éventuelle transition… Mais le temps est passé et rien n’est advenu. En revanche, le désamour des anciens camarades d’Ali est devenu irréversible. La suite est connue. Pour déloger ABO de la présidence, ils désigneront comme « général » Jean Ping, l’ex-compagnon de Pascaline, la sœur du président.
Le PDG : hors jeu ou double jeu ?
Où est passé le PDG ? Le parti était quasiment absent de la campagne électorale, son sigle et ses couleurs n’étaient pas visibles. Il est vrai qu’ABO semblait avoir décidé de se faire réélire sur son seul prénom, Ali. Une partie du PDG le lui a fait payer. Double jeu, trahison, argent détourné… Chaque responsable d’arrondissement recevait de 40 millions à 60 millions de F CFA (entre 60 000 et 90 000 euros) destinés notamment à financer des « causeries citoyennes », faciliter le déplacement des militants, prendre en charge les dépenses d’alimentation pendant les meetings et les porte-à-porte. Or « beaucoup n’en ont pas dépensé le tiers », dénonce un conseiller municipal de l’Ogooué-Maritime.
Pas question, en revanche, de mettre la main à la poche pour contribuer à l’effort de campagne. Des barons ont refusé de payer alors que les budgets envoyés de Libreville s’étaient volatilisés. « Certains démissionnaires sont restés dans le parti pour faire perdre leur propre candidat », assure un conseiller d’ABO qui jure avoir vu de ses propres yeux un représentant du PDG inciter des électeurs à voter pour Jean Ping.
Pendant la journée décisive du vote, des rumeurs déstabilisantes pour le camp présidentiel ont annoncé le décès de Maixent Accrombessi, le directeur de cabinet du chef de l’État, hospitalisé au Maroc, et la démission du président de l’Assemblée nationale, Richard Auguste Onouviet. Faux. En revanche, le ministre de la Justice, Séraphin Moundounga, ne s’est pas rendu au conseil des ministres du 1er septembre. Ses camarades du gouvernement n’ont aucune nouvelle de lui.
« Ils ont tenté un coup d’État électoral », dénonce un membre du gouvernement, qui pointe également le silence des « poids lourds » et le peu d’impact de certains membres du gouvernement sur le terrain. ABO a perdu dans le 3e arrondissement de Port-Gentil, circonscription dont sont issus Gabriel Tchango, le ministre de la Pêche, Bernard Apérano, le maire PDG de la ville, et Séraphin Ndaot Rembongo, président d’un parti allié de la majorité. « Ali n’est passé que parce qu’il a réussi à mobiliser les jeunes », conclut notre ministre.
Les chevilles ouvrières de la campagne
Le chef de l’État sortant n’a pas nommé de directeur national de campagne. Ce choix peut expliquer les vides dans la stratégie de communication, les flottements dans la prise de décision… et la virulence de la presse gabonaise, qui couvrait la campagne en bus alors qu’avions et hélicoptères étaient affrétés pour leurs confrères étrangers. Comment soigner ses liens avec les médias de son pays quand les journalistes locaux sont logés dans des bungalows du parc national d’Ivindo alors que des hôtels confortables sont accordés à leurs confrères étrangers qui en formulent la demande ?
Au quotidien, une poignée de personnes ont travaillé à cette élection. Bien que discret, le cabinet d’ABO était en première ligne. Absent pour cause de maladie, le directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, a été suppléé par le chef de cabinet, Liban Soleman, qui a notamment assuré la coordination globale et la liaison entre le candidat et les équipes. Pendant l’épreuve de nerfs que furent les opérations de compilation des votes à la Cenap, Alain Claude Bilie Bi Nzé, l’omniprésent porte-parole du candidat, a été solide et rassurant pour son camp.
Le ministre de l’Intérieur, Pacôme Moubelet Boubeya, a lui aussi engrangé les bons points, même si on peut regretter que les émeutes qui ont éclaté après la publication des résultats aient abouti à un bilan humain et matériel considérable, alors que ces manifestations étaient prévisibles et pouvaient être mieux encadrées, même si les cènes de guérilla urbaine auxquelles nous avons assisté n’étaient guère aisées à gérer. On peut également s’interroger sur le grand nombre de jeunes électeurs qui n’ont pas été admis à voter parce qu’ils n’avaient pas de carte d’identité.
Bon point enfin pour le sang-froid de René Aboghé Ella, le président de la Cenap, qui a subi la pression monumentale pesant sur ses épaules. En revanche, le Premier ministre, Daniel Ona Ondo, n’a pas semblé trouver sa place dans cette campagne.
Un « vote ethnique » déterminant
Selon Serge Mickoto, directeur général du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), « la remise en cause de la filiation du président et la polarisation du débat sur son état civil ont favorisé le retour du vote identitaire ». De fait, ABO a fait carton plein dans le Haut-Ogooué, la province d’origine de sa famille, frôlant les 100 % des suffrages exprimés pour un taux de participation lui aussi très élevé. Il l’a notamment emporté à Moanda, chez Marcel Abéké, ancien patron de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) passé avec armes et bagages à l’opposition, et à Mounana, fief de Zacharie Myboto, le président de l’Union nationale. Le président, qui pourfend le partage géopolitique de la richesse nationale, a donc été réélu sur le fil grâce à l’un de ses avatars, le « vote ethnique ».
Son principal concurrent, Jean Ping, a quant à lui bénéficié du vote massif des Myènè, dont il est issu par le sous-groupe nkomi : il a engrangé les suffrages d’une majorité écrasante de cette communauté dans ses différentes composantes, dont les Orungu de l’Ogooué-Maritime et les Galoa du Moyen-Ogooué. Dans l’Estuaire, les Mpongwé et les Fang, acteurs majeurs en 2009 car leurs candidats représentaient alors la majorité des adversaires d’ABO, ont majoritairement voté Ping, tandis que le vote des « flottants », ces Librevillois issus d’autres ethnies, s’est plutôt porté sur le président sortant, lui permettant ainsi d’améliorer son score d’il y a sept ans.
ABO peut également remercier Guy Nzouba-Ndama, dont le désistement en faveur de Ping n’a pas profité au rival du chef de l’État, le report de voies n’ayant pas eu lieu. En vingt années passées à la tête de l’Assemblée nationale, Nzouba-Ndama est devenu un poids lourd dans l’Ogooué-Lolo. Candidat, il aurait attiré le vote de la communauté nzebi et des peuples assimilés. Dans la province, seuls les électeurs de Koulamoutou ont voté Ping. En revanche, il s’est produit un éparpillement des voix dont l’un des bénéficiaires a été ABO.
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