Brigi Rafini : « Le Niger est sur orbite »
Il est l’indéboulonnable Premier ministre de Mahamadou Issoufou. Ses priorités : la sécurité et le développement. Qui, l’une comme l’autre, nécessitent d’énormes budgets.
Niger : état de chocs
Malgré la situation au Mali et en Libye, malgré les agressions de Boko Haram depuis le Nigeria, le pays reste en paix. Et alors que les cours des matières premières chutent, il parvient à maintenir son économie à flot. Mais à quel prix ? Et pour combien de temps ?
Il s’exprime peu et ne fait pas partie du « premier cercle ». Pourtant, Brigi Rafini, 63 ans, est l’un des piliers du pouvoir de Mahamadou Issoufou. Natif d’Iferouane, ce Touareg du Nord a une longue expérience au service du pays. Diplômé de l’École nationale d’administration de Niamey, il a été sous-préfet de Dosso et de Keïta, d’où Seyni Kountché l’appela pour le nommer secrétaire d’État à l’Intérieur, en 1987. Rapporteur du Conseil des sages après le coup d’État de Maïnassara, en 1996, Rafini assura aussi la vice-présidence du Conseil consultatif national au lendemain du putsch de 1999.
L’ancien député de la région d’Agadez et ex-maire d’Iferouane a été vice-président de l’Assemblée nationale de 2004 à 2009, année où il a quitté le Rassemblement pour la démocratie et le progrès (RDP-Jama’a), auquel il reprochait de soutenir le tazartché (« continuité », en haoussa, c’est‑à-dire le maintien au pouvoir de Mamadou Tandja), pour rejoindre le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) de Mahamadou Issoufou. Ce dernier l’a nommé à la primature le jour même de son investiture, le 7 avril 2011. Unique Premier ministre du premier quinquennat, Brigi Rafini a été reconduit dans ses fonctions au lendemain des législatives et de la présidentielle de février-mars.
Jeune Afrique : Le Niger est en guerre contre Boko Haram. Où en sont les opérations à la frontière avec le Nigeria ?
Brigi Rafini : Vous avez raison, le Niger est en guerre. Depuis quelques semaines, la Force multinationale mixte [FMM] a pu être déployée, et les résultats sont plutôt bons. La communauté internationale n’a pas encore réagi de manière adéquate, nous faisons donc face avec nos propres moyens. Avec le Tchad, nous collaborons parfaitement, tout comme notre coopération avec les Nigérians est correcte et sincère.
Ce sont surtout les problèmes de financement qui ont retardé la mise en place effective de la FMM. Aujourd’hui, la situation se stabilise. Boko Haram est sérieusement affaibli, les populations ont repris confiance grâce au dispositif mis en place à l’intérieur et à l’extérieur du pays, notamment à Damassak, au Nigeria, et l’on est en train de nettoyer la région pour que le bassin du lac Tchad retrouve la paix.
Certains ont critiqué le manque de préparation de l’armée au lendemain de l’attaque de Bosso par Boko Haram, début juin. Le Niger a-t‑il les moyens de mener l’offensive ?
À Bosso, il y a eu un effet de surprise, et notre dispositif, insuffisamment opérationnel, ne nous a pas permis de réagir à une attaque massive. Mais la situation a été maîtrisée, et nous en avons tiré les leçons qu’il fallait. Certes, il faut beaucoup de moyens, notamment aériens, et les nôtres sont limités, mais aujourd’hui nous avons les cartes en main. On ne se laissera plus surprendre.
La situation en Libye constitue-t‑elle une menace d’envergure pour le Niger ?
Tant que la Libye ne sera pas stable, les États voisins ne pourront qu’être inquiets. Depuis 2011, nous avons affronté cette menace de « somalisation » de la Libye contre laquelle nous avions mis en garde… Et nous n’en sommes pas loin. Il y a tant de déchirures dans la société libyenne qu’il sera difficile de reconstruire un État viable par la force. La communauté internationale, dont la responsabilité est certainement engagée, doit travailler avec les États limitrophes à la recherche d’un consensus entre les différents gouvernements et Parlements.
Comme le Niger l’avait demandé, la mission de l’ONU au Mali a été renforcée. Êtes-vous satisfait ?
Il était important de permettre à la Minusma d’aller plus loin dans le maintien de la paix, la sécurisation des populations et la lutte contre la circulation des mouvements armés. C’est à la communauté internationale et au gouvernement malien de prendre en main la situation et de faire appliquer les accords d’Alger. Les dissensions entre les factions vont s’estomper rapidement. Il est temps ! Cela fait au moins cinq ans que les populations du Nord n’ont pas bénéficié des services de l’État.
À quel point la situation sécuritaire freine-t‑elle vos objectifs de développement ?
Quand nous avons élaboré nos programmes de développement, il y avait des menaces, mais on ne pouvait pas les traduire en termes budgétaires. Aujourd’hui, la sécurité pèse massivement sur nos ressources. Cependant la communauté internationale a fait beaucoup d’efforts, ce qui a permis à notre développement de ne pas être trop lourdement compromis malgré les conflits et la crise des réfugiés. Nous y faisons face, c’est notre devoir et nous l’assumons, mais il est vrai que sans cela nous aurions atteint et même dépassé tous nos objectifs.
Le Niger est sur orbite, prêt à entrer dans le club des pays émergents
Le pays va-t‑il être obligé de se surendetter ?
Non. Nous sommes endettés, mais comme tout pays viable dans l’économie moderne, et nous avons encore de la marge. Le Niger a bien évolué depuis 2011. Grâce au programme Renaissance Niger, nous avons jeté les bases du changement durant le premier mandat : vous pouvez constater les progrès sur la modernisation de l’économie, dans la qualité de vie des populations ou encore sur la sécurité alimentaire.
Il s’agit maintenant de les consolider et de les prolonger. Le Niger est sur orbite, prêt à entrer dans le club des pays émergents. C’est l’objectif du programme Renaissance II, pour lequel nous avons prévu de mobiliser 8 000 milliards de F CFA [près de 12,2 milliards d’euros].
Quelles sont les autres priorités du second quinquennat ?
Y figure toujours la bonne gouvernance. Cela inclut la lutte contre la corruption, secteur dans lequel des progrès importants ont été faits, de même qu’en matière de liberté de la presse. Nous avons aujourd’hui un bon niveau de gouvernance et avons démontré nos capacités à relever les défis, par exemple pour l’organisation des élections. On a vite fait de vous accuser d’être une dictature ou, au contraire, un État faible. Nous devons être dans un juste milieu : gouverner avec autorité, fermeté, et de façon démocratique.
Certains dénoncent des dérives autoritaires, déplorant arrestations et condamnations d’opposants. Que répondez-vous ?
Nul n’est au-dessus de la loi. Certains opposants comme certains membres de la majorité ont commis des fautes et sont en prison. Je pense que c’est normal. Vous voudriez qu’on emprisonne un voleur de chèvres et qu’on ferme les yeux quand un politique commet une infraction ?
Le PNDS-Tarayya semble concentrer plus de pouvoirs aujourd’hui qu’il y a cinq ans. L’ère de l’ouverture est-elle révolue ?
Je ne crois pas que le PNDS fasse davantage cavalier seul que durant le premier mandat. L’alliance présidentielle comprenait une trentaine de partis il y a cinq ans ; elle en compte une cinquantaine aujourd’hui. Le chef de l’État a toujours tendu la main. La relative prédominance du PNDS est liée à son poids électoral. C’est le jeu démocratique, il faut en accepter les résultats. Les états d’âme des périodes électorales doivent être dépassés pour regarder vers l’avenir.
On ne sait si Hama Amadou, leader du Moden-Lumana, deuxième force politique du pays, choisira de mettre fin à son exil avant les élections locales, fixées au 8 janvier 2017. Son retour est-il souhaitable, voire indispensable ?
Hama est un grand garçon, il est libre de revenir quand il le veut, dans le respect des règles qui régissent notre État. C’est la seule condition. Cependant, nul n’est indispensable. Comme le disait Clemenceau : « Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés. » Les hommes passent, le Niger reste.
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