RD Congo : souvent Vital Kamerhe varie…

Il se voyait déjà leader de l’opposition. Las ! Sentant que Tshisekedi et Katumbi risquaient de l’évincer, il a finalement accepté de prendre part au dialogue avec le pouvoir censé préparer la transition. Cet article d’analyse a été publié le 11 septembre dans le n°2905 de Jeune Afrique.

Vital Kamerhe, fondateur de l’Union pour la nation congolaise, le 1er septembre, à Kinshasa. © AFP

Vital Kamerhe, fondateur de l’Union pour la nation congolaise, le 1er septembre, à Kinshasa. © AFP

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 22 septembre 2016 Lecture : 5 minutes.

«Si l’on tente de toucher à la Constitution, je serai le premier à quitter cette salle. » Le 5 septembre, au soir de l’une des premières journées de dialogue avec le pouvoir, Vital Kamerhe continuait de bomber le torse. On ne se refait pas. Du moins pas aussi vite. Pendant plusieurs années, ce tribun-né a été l’un des opposants les plus critiques au président Joseph Kabila. Mais cette ultime rodomontade ne suffit pas à masquer son revirement : pendant des mois, Kamerhe s’est vigoureusement opposé au dialogue proposé par le chef de l’État, y voyant « un piège ». Non seulement il a finalement accepté d’y participer, mais il le fait en plus en tant que « comodérateur ».

Des positions changeantes

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Ce n’est pas la première fois que Vital Kamerhe, 57 ans, change ainsi de posture. Avant de passer à l’opposition, en 2009, il était l’un des principaux soutiens de Kabila : membre cofondateur de son Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) en 2002, il a été un porte-parole du gouvernement très offensif contre l’opposition. Il a ensuite pris la direction du parti, puis la présidence de l’Assemblée nationale.

À ce poste, cet ambitieux se permet une certaine autonomie vis-à-vis du chef de l’État. Jusqu’à oser critiquer deux de ses décisions : une série de contrats signés avec la Chine et l’entrée des troupes rwandaises dans l’est du Congo. Piqué au vif, Kabila le contraint à la démission en 2009. Kamerhe fonde alors son propre parti, l’Union pour la nation congolaise (UNC), et rejoint l’opposition.

Cette propension à retourner sa veste – qu’il partage avec de très nombreux hommes politiques congolais – lui a valu un surnom dans les dîners de La Gombe : le « Kamerhéon ». Lequel décrit tout aussi bien son extra­ordinaire capacité d’adaptation. Natif de Walungu, dans la province du Sud-Kivu, Kamerhe a passé son enfance dans différentes villes du Zaïre, au gré des mutations de son père fonctionnaire.

Résultat, il parle sept langues : le français, l’anglais, le lingala, le swahili, le kikongo, le tshiluba et le mashi. Pratique quand il s’agit de soulever les foules et de toucher les cœurs. Mais Vital Kamerhe sait aussi parler le langage des journalistes, qu’il abreuve de formules chocs, et même celui des diplomates, admiratifs de ses analyses politiques.

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Une partie d’entre eux a d’ailleurs discrètement applaudi sa nouvelle stratégie : jouer l’apaisement. Les incertitudes sur la stabilité de cet immense pays inquiètent en effet tous ceux qui y ont des intérêts… Or le redouté scénario du « glissement » est devenu inévitable : la Commission électorale nationale indépendante n’aura pas le temps d’organiser un scrutin présidentiel d’ici à décembre.

C’est pourtant à cette date que doit s’achever, si l’on en croit la Constitution, l’ultime mandat de Joseph Kabila. Du coup, plaide l’entourage de Kamerhe, mieux vaut négocier pour éviter le chaos. Quand l’élection aura-t-elle finalement lieu ? Qui dirigera le pays dans l’intervalle ? et avec qui ? Ce sont ces questions que doit trancher le fameux dialogue national.

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L’opposition se sent trahie

Pour le Rassemblement de l’opposition, en revanche, la soudaine ouverture de Vital Kamerhe est vécue comme une trahison. Cette structure regroupe notamment l’opposant historique, Étienne Tshisekedi (83 ans, dont plus de trente passés à lutter contre tous les pouvoirs congolais successifs), et l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, qui a rompu avec Kabila en 2015.

Pour eux, il n’y a rien à négocier : le prétendu « dialogue » n’est qu’une manœuvre du chef de l’État pour se maintenir au pouvoir ; il doit se retirer et laisser un gouvernement de transition prendre le relais jusqu’au scrutin.

Il y a encore quelques semaines, Kamerhe était du même avis. Il faisait tout pour s’ériger en leader de l’opposition. Jusqu’en 2015, il avait même des raisons d’y croire. Ses deux rivaux d’alors étaient entravés pour des raisons diverses : Tshisekedi était affaibli par l’exil, l’âge et la maladie et Jean-Pierre Bemba, jugé à la Cour pénale inter­nationale, paraissait en mauvaise posture – il a depuis été condamné à dix-huit ans de prison.

Kamerhe était convaincu qu’un boulevard s’ouvrait devant lui et, qui sait, qu’il pourrait le mener jusqu’au palais de la Nation. L’arrivée du populaire Moïse Katumbi dans l’opposition a changé la donne. Celui-ci a débarqué avec sept partis anciennement membres de la majorité, le « G7 ». Et il dispose d’un atout qui fait cruellement défaut à Kamerhe : la fortune, véritable nerf des batailles politiques congolaises.

Dans un premier temps, Kamerhe semble jouer le jeu de l’unité. On peut encore trouver, sur internet, les vestiges de cette époque révolue : dans une vidéo tournée en février, Katumbi, Kamerhe et Félix Tshisekedi, le fils d’Étienne, s’embrassent à tour de rôle en répétant « pasi na yo, pasi na nga » (« ton souci est le mien », en lingala). Presque un slogan de campagne pour une cause commune.

Mise à distance progressive de l’opposition

Mais lorsque le G7 investit Katumbi pour la présidentielle, Kamerhe voit rouge et critique publiquement cette initiative. En privé, l’entourage de Katumbi s’étrangle : il pensait un accord en bonne voie.

En juin, l’opposition se réunit à Genval, dans la banlieue de Bruxelles, pour lancer son « Rassemblement ». Kamerhe est invité, mais flaire une initiative des réseaux katumbistes pour sceller une alliance avec Tshisekedi. Il ne vient pas. Dès lors, cet homme habituellement très volubile évite les médias. Sans doute commence-t-il à mûrir son changement de stratégie. Le retour triomphal de Tshisekedi à Kinshasa, le 27 juillet, ne peut que le convaincre de sauter le pas.

Le « vieux » se révèle en effet en meilleure forme que ce que beaucoup pensaient. Surtout, il est accueilli par des centaines de milliers de partisans. Un bain de foule comme le pays n’en avait plus connu depuis des années, peut-être même des décennies. Cruel pour Kamerhe, qui, malgré ses efforts, n’a jamais réussi à se forger une popularité comparable à Kinshasa. C’est désormais une évidence : dans l’opposition, il sera cantonné aux seconds rôles.

Perte de soutiens

Et dans la majorité ? Le gouvernement lui fait des appels du pied. Le 19 août, sa chaîne de télévision, Canal Futur, est de nouveau autorisée à émettre (celle de Jean-Pierre Bemba aussi, mais pas celles de Moïse Katumbi). Kamerhe accepte de participer au dialogue. À Kinshasa, l’image des drapeaux de son parti, l’UNC, accolés à ceux du PPRD, détruit en quelques heures une réputation d’opposant bâtie durant des années. Ses deux principaux lieutenants, Jean-Bertrand Ewanga et André-Claudel Lubaya, quittent leur poste.

Une grande partie de son fief du Sud-Kivu continue malgré tout de le soutenir. Le 23 août, Bukavu n’a pas suivi l’appel de l’opposition à une journée « ville morte » dans tout le pays. Reste que Kamerhe, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, se retrouve un peu seul à la table de dialogue…

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