Cinéma – Mohamed Diab : « La démocratie, ce n’est pas élire librement un dictateur ! »

Rencontre avec le réalisateur de Clash, huis clos cairote à l’heure de la destitution du président Morsi.

Mohamed Dia. © Festival de Cine Africano – FCAT / Flickr Creative Commons

Mohamed Dia. © Festival de Cine Africano – FCAT / Flickr Creative Commons

Renaud de Rochebrune

Publié le 13 septembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Présenté au dernier Festival de Cannes en ouverture de la sélection officielle Un certain regard, Clash a été reçu par le public comme un film choc mené sur un rythme trépidant. Deuxième long-métrage du jeune Égyptien Mohamed Diab, trentenaire ayant déjà connu un succès international avec le très féministe Les Femmes du bus 678 (300 000 entrées en France), ce film repose sur un dispositif apparemment minimaliste, mais en réalité plutôt rusé, sinon sophistiqué.

Tout se passe au Caire, au moment des émeutes consécutives à la destitution du président Morsi et à son remplacement par le général Sissi, dans un petit fourgon de la police où se retrouvent entassés des manifestants de tous bords – démocrates, Frères musulmans, partisans des militaires – mais aussi des journalistes, voire de simples passants arrêtés un peu au hasard par les autorités. Un huis clos étouffant, surtout quand on ne supporte pas les idées de ses compagnons de détention et quand le seul spectacle que l’on peut observer par les fenêtres est celui d’une violence extrême.

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À Cannes, ravi de l’accueil réservé à son œuvre, Mohamed Diab s’inquiétait de la manière dont son film serait reçu en Égypte et s’il pourrait passer la censure. Clash a finalement obtenu l’autorisation d’être projeté le 28 juillet dernier… à condition de diffuser un message avant le film signalant que, « après la révolution, les Frères musulmans ont provoqué un affrontement sanglant pour empêcher la transition pacifique du pouvoir ».

Les réactions des médias gouvernementaux ont été vives : une télévision a accusé le réalisateur d’être « à la solde de puissances étrangères qui veulent ternir l’image de l’Égypte » – tout comme celles de beaucoup d’opposants au régime, qui ont trouvé le film trop indulgent envers la police et l’armée ou les islamistes, représentés par des personnages « trop sympathiques ». Des critiques si virulentes et si excessives qu’elles doivent être considérées comme des hommages indirects au regard « non aligné » de l’auteur et à la qualité de son questionnement.

Jeune Afrique : Un film qui se déroule dans un espace de huit mètres carrés après un film qui avait pour décor l’intérieur d’un autobus ! Avez-vous des comptes à régler avec la claustrophobie ?

Mohamed Diab : Vous tombez pile : je suis claustrophobe. Et sans doute ai-je essayé de me soigner en réalisant Les Femmes du bus 678, et surtout Clash – c’était comme une thérapie. Si je devais vivre une situation comme celle des personnages, j’en mourrais ! Mais cela va changer avec mon prochain film, une histoire de science-fiction, un drame intime… qui ne se passera pas à l’intérieur d’un vaisseau spatial !

En 2012, on s’est retrouvés avec un président démocratiquement élu, l’islamiste Mohamed Morsi, qui ne croyait pas à la démocratie

Clash évoque la révolution qui a conduit au départ de Moubarak et à l’arrivée au pouvoir puis à l’éviction des Frères musulmans. Avez-vous été tenté de filmer directement la révolution ?

J’ai été pendant plusieurs années complètement absorbé par cette révolution. Au point, sinon d’oublier le cinéma, en tout cas de penser que ce qui se passait était trop essentiel pour mon avenir, et surtout celui de mes enfants, pour que je ne me batte pas au côté du peuple égyptien pour la démocratie. On me connaissait alors plus au Caire comme activiste que comme cinéaste.

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J’ai cru qu’on avait franchi un palier essentiel avec l’élection présidentielle de 2012. Mais, hélas, le changement ne fut pas celui que j’espérais : on s’est retrouvés avec un président démocratiquement élu, l’islamiste Mohamed Morsi, qui ne croyait pas à la démocratie. J’ai alors continué à manifester, cette fois pour de nouvelles élections. Mais c’est par l’armée que Morsi a été renversé. Puis il a été remplacé par un militaire, le général Sissi. De la loi islamiste à la loi martiale !

C’est cela qui vous a conduit à revenir au cinéma pour vous exprimer ?

C’est en tout cas à ce moment-là, où l’on ne pouvait qu’être désenchanté, que mon frère Khaled, avec qui je travaille comme scénariste, a eu l’idée de ce huis clos dans un fourgon. Nous avons tout de suite pensé que c’était une bonne façon de parler de la situation que connaît l’Égypte en mettant en présence des révolutionnaires, des Frères musulmans et l’armée. Pour parler malheureusement moins de la révolution que de son échec. Mais c’est tout ce que je pouvais faire pour poursuivre ce que j’avais entrepris, d’une autre manière. Avant de passer à autre chose, à d’autres sujets.

On ne peut parler de démocratie que si l’on réussit à humaniser les autres

Paradoxalement, dans ce fourgon, on ne discute guère de politique…

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C’est voulu, car, contrairement aux apparences peut-être, ce film n’est pas un film politique. Il montre et explore une situation – qui a d’ailleurs été réellement vécue des centaines de fois par des Égyptiens pendant la répression – dans laquelle se retrouvent ensemble, souvent enfermés par erreur, des gens très différents qui, après avoir été unis un moment lors des débuts de la révolution, se considèrent désormais comme ennemis. Comment accepter l’autre, qu’il soit un révolutionnaire démocrate, un islamiste ou un supporter de l’armée, voire un simple observateur ?

Voilà la question qui m’importe, une question universelle qui dépasse celle des affrontements politiques et de la violence. On ne peut parler de démocratie que si l’on réussit à humaniser les autres, à les considérer comme des semblables. C’est cela, la culture démocratique qui manque tant à l’Égypte. Ce qui explique qu’on peut y voter démocratiquement et librement… pour élire un nouveau dictateur !

Même si vous n’y avez pas cru quand vous avez privilégié le combat révolutionnaire, pensez-vous maintenant que le cinéma peut changer les choses ?

J’en suis certain. Il commence d’ailleurs par changer la vision du réalisateur lui-même : je ne peux plus considérer les femmes de la même façon après avoir tourné Les Femmes du bus 678. Et j’ai reçu quantité de témoignages qui m’ont persuadé qu’il en était de même pour les spectateurs. Le film, de plus, a sans aucun doute beaucoup contribué à faire de son propos, le harcèlement sexuel des femmes, un sujet d’intérêt majeur en Égypte. J’espère qu’il en sera de même pour Clash. Et que de nombreux jeunes réalisateurs vont profiter de cette période troublée, donc propice à la créativité, pour renouveler le cinéma. À coup sûr, une nouvelle génération de cinéastes va arriver et venir bousculer les choses sur les écrans.

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