Gabon : entre Ping et Bongo, qui les chefs d’État étrangers soutiennent-ils ?
Le score est trop serré pour que l’un ou l’autre fasse l’unanimité. Tour d’horizon des alliés, plus ou moins clairement déclarés, des deux adversaires.
Entre Ali Bongo Ondimba et Jean Ping, la chasse aux soutiens étrangers est ouverte. En septembre 2009, quelques jours après une première élection très contestée, ABO – avec le soutien du Français Nicolas Sarkozy – avait réussi à mettre la communauté internationale dans son camp. Lorsque la Commission de l’UA – présidée par un certain… Jean Ping – avait voulu envoyer à Libreville une mission, il s’y était opposé fermement et avait obtenu gain de cause.
Mais aujourd’hui, « Ali » n’est plus dans la même position de force. Le score entre Ping et lui est trop serré et les violences postélectorales ont fait trop de victimes. Le 9 septembre dernier, il a échappé de justesse à l’arrivée d’une mission de bons offices conduite par le président en exercice de l’UA, le Tchadien Idriss Déby Itno. Si la rue s’embrase à nouveau, il devra l’accueillir.
Positions divergentes des chefs d’État africains
Pour qui « votent » les trois voisins immédiats du Gabon ? À Libreville, un conseiller d’ABO ne doute pas de l’appui du Camerounais Paul Biya. « Nous savons que notre grand frère de Yaoundé est toujours là, bienveillant », dit-il. Il est vrai que déjà, en août 2009, à la veille du scrutin, le président du Cameroun avait été l’un des deux chefs d’État de la sous-région à appeler personnellement l’opposant Casimir Oyé Mba, qu’il avait pourtant soutenu, afin de le convaincre de retirer sa candidature.
En revanche, ce même conseiller ne se fait aucune illusion sur les deux autres chefs d’État voisins, l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et le Congolais Denis Sassou Nguesso. « Nous savons qu’ils soutiennent Ping », lance-t-il. De fait, en 2009, le président de la Guinée équatoriale avait apporté une aide massive à l’opposition. À tel point que Nicolas Sarkozy, à la demande d’ABO, avait dépêché à Malabo un membre de son gouvernement, Alain Joyandet, pour essayer d’infléchir cette politique.
Qu’en est-il de Denis Sassou Nguesso ? Entre Brazzaville et Libreville, les relations sont en dents de scie, surtout depuis le décès, en mars 2009, d’Édith-Lucie Bongo Ondimba. Comme elle était à la fois la fille du président du Congo et l’épouse de celui du Gabon, les deux pays se sont disputé sa mémoire et n’ont pas vraiment vidé cette querelle. Certes, en juin dernier, ABO a été longuement reçu à Oyo, le fief du président congolais. Mais entre Ping et Sassou Nguesso, le courant passe mieux.
Un proche de ce dernier confie : « Le 7 septembre, quand nous avons entendu Ali Bongo dire à nouveau “non” à tout recomptage des voix par la commission électorale, nous avons renoncé à participer à la mission de l’UA à Libreville. » Cela dit, en public, Sassou Nguesso reste d’une extrême prudence. Ses deux maîtres mots sont « réserve » et « retenue ».
Autre poids lourd d’une Afrique centrale qui a peu goûté le fait qu’Ali ait entrepris de liquider l’héritage politique de son père, Idriss Déby Itno prend un malin plaisir à ne pas montrer sa préférence. Dès le 1er septembre, au lendemain de l’annonce des résultats provisoires, le président tchadien a appelé les deux frères ennemis gabonais pour les inviter à la modération. A priori, il n’a pas de raison de choisir entre les deux.
Je ne vois pas un grand squale comme Idriss Déby donner des leçons de démocratie à Ali Bongo
Mais comme sa propre réélection, en avril dernier, a été très contestée, il n’est pas sûr qu’il voie d’un bon œil la mobilisation de l’opposition gabonaise en faveur de la transparence électorale. Commentaire d’un diplomate français : « Je ne vois pas un grand squale comme Idriss Déby donner des leçons de démocratie à Ali Bongo. Il aurait trop peur que la vague de transparence lui retombe dessus ! »
En Afrique de l’Ouest, Ali Bongo Ondimba et Jean Ping comptent aussi fébrilement leurs amis. Un moment, ABO a craint que son grand frère d’Abidjan ne le lâche. Mais depuis qu’Alassane Ouattara a limogé Mamadi Diané, son conseiller pro-Ping, ABO semble rassuré. Le Togolais Faure Gnassingbé, qui, comme « Ali », a succédé à son père, est aussi un allié fidèle. Dans le camp Ping, on veut croire qu’un président démocratiquement élu comme le Sénégalais Macky Sall soutient naturellement l’adversaire d’ABO.
On se félicite aussi du message du chef de l’État burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, qui « invite l’UA et la communauté internationale à s’impliquer dans la recherche de solutions de sortie de crise dans le respect du choix du peuple gabonais ». Il faut dire que c’est un vieil ami de l’opposant gabonais Guy Nzouba-Ndama. Les deux hommes, qui ont longtemps présidé l’Assemblée nationale de leur pays, se sont beaucoup fréquentés à l’assemblée parlementaire de la Francophonie.
Paroles prudentes en France
Et la France ? À la différence de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, François Hollande n’a jamais soutenu ABO, dont le clan, à ses yeux, incarne « la Françafrique de papa ». Mais vu la forte communauté française au Gabon – environ 12 000 personnes – et le nombre d’entreprises françaises implantées dans ce pays, il essaie de rester cordial avec son partenaire de Libreville. Le 28 août, quand il a pris parti pour Ping, le Parti socialiste français a dit tout haut ce que Hollande pense tout bas, mais s’est ensuite fait rappeler à l’ordre par l’Élysée et Matignon.
Le 31 août au soir, quand Libreville s’est enflammée après l’annonce des résultats provisoires, Hollande a appelé ABO pour lui demander de jouer l’accalmie. « Le ton a été cordial », confie un proche de ce dernier. Le 1er septembre, le président français a déclaré par communiqué : « L’apaisement […] suppose un processus garantissant la transparence sur les résultats du scrutin. » Son ministre des Affaires étrangères est allé plus loin. Il a exprimé clairement un « doute » sur les chiffres provisoires et a réclamé un recomptage des bulletins.
En fait, Paris fait bouger le curseur vers Ping, mais pas trop. « Hollande n’a lâché Ali qu’à moitié, analyse un diplomate français. Il se dit qu’au bout du bras de fer il va peut-être gagner et qu’il ne faut pas se mettre trop mal avec lui. »
Ali Bongo Ondimba a moins d’amis aujourd’hui qu’en 2009
Pour ne pas insulter l’avenir, le président français avance donc masqué. Il laisse monter en première ligne les observateurs de l’Union européenne, qui constatent « une anomalie évidente » dans les résultats provisoires du Haut-Ogooué. Et il espère encore que, sous la pression de l’UA, la Cour constitutionnelle du Gabon la rectifiera. « Il reste un petit espoir pour que la démocratie triomphe, et après nous aviserons », lâche l’un de ses proches.
Preuve de son profond embarras, François Hollande vient de faire retirer très discrètement de l’état-major de la police gabonaise les coopérants de la police française. Ceux-ci travaillent maintenant incognito et en civil dans les locaux de l’ambassade de France à Libreville.
Au total, Ali Bongo Ondimba a moins d’amis aujourd’hui qu’en 2009. Certes, il peut toujours compter sur le Marocain Mohammed VI ou le Rwandais Paul Kagame et, plus généralement, sur cette Afrique anglophone encore traumatisée par l’épisode Gbagbo et qui redoute tout ce qui pourrait ressembler à une ingérence française. Mais Jean Ping a aussi un très bon carnet d’adresses.
Et même le fidèle Nicolas Sarkozy commence à flancher. Il y a quatre mois, par l’entremise de l’avocat franco-libanais Robert Bourgi, l’ancien président français a reçu discrètement Ping à Paris. Et aujourd’hui, il confie : « Qui pourrait être contre le recomptage ? » Les temps changent…
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