Russie : comment Poutine a rendu à son pays sa puissance militaire

Après la chute de l’URSS, elle était moribonde. Sous l’impulsion de Vladimir Poutine, elle retrouve un peu de sa superbe. De la Géorgie à la Crimée, en passant par l’Ukraine et la Syrie, l’armée avance ses pions.

Place Rouge, à Moscou. Répétition avant le défilé du 9 mai 2015, célébrant le 70e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. © Ivan Sekretarev/AP/SIPA

Place Rouge, à Moscou. Répétition avant le défilé du 9 mai 2015, célébrant le 70e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. © Ivan Sekretarev/AP/SIPA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 20 septembre 2016 Lecture : 7 minutes.

Les législatives du 18 septembre ont conforté le pouvoir de Vladimir Poutine, le parti pro-Kremlin Russie Unie ayant obtenu 54,3% des voix. L’un des secrets de sa popularité toujours au zénith est qu’il a rendu à son pays un peu du lustre d’antan, celui de la défunte URSS et, notamment, de sa mythique Armée rouge.

Par deux fois récemment la Russie a infligé un camouflet aux Occidentaux : lors de l’annexion de la Crimée en mars 2014, puis lors de son intervention en Syrie en septembre 2015. Personne ne croyait son armée capable d’une telle audace. Pour l’Otan, le réveil a été brutal. Le Conseil européen des relations internationales est allé jusqu’à concéder qu’il s’agissait de « la transformation la plus rapide qu’ait connue une armée depuis les années 1930 ».

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De fait, l’effondrement de l’Union soviétique avait fait chuter le budget militaire de 246 milliards de dollars à 14 milliards entre 1988 et 1994. Les effectifs étaient passés de quelque 5 millions à moins de 1 million (chiffres cités par Austin Greg et Alexey Muraviev dans The Armed Forces of Russia in Asia).

La Russie prend soin de l’armée

À l’exception de son arsenal nucléaire, l’armée était en lambeaux. En 2000, le naufrage du sous-marin Koursk en mer de Barents et l’agonie de son équipage avaient persuadé le monde entier que l’ours russe était devenu impotent. La campagne, certes victorieuse, de Poutine contre la Géorgie, en 2008, avait confirmé que l’armée souffrait de graves lacunes logistiques.

Ces ratés humiliants ont provoqué un sursaut. La volonté du président de voir renaître la « Grande Russie » a été mise en musique par deux hommes. Le premier, Anatoli Serdioukov, a été ministre de la Défense de 2007 à 2012. Comme le dit Isabelle Facon, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique et maître de conférences à l’École polytechnique, « ce civil a fait le travail le plus ingrat : il a restructuré l’armée, mais il s’est irrémédiablement attiré l’hostilité féroce de l’état-major et de l’industrie de l’armement ».

Un budget de 90 milliards de dollars attribué à l’armée

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Il a en effet remplacé vingt-trois divisions poussives par une quarantaine de brigades réactives, a réduit la chaîne de commandement en licenciant massivement des officiers et a professionnalisé l’armée en limitant la part des appelés du contingent dans les nouvelles forces aéroportées ou spéciales qu’il a créées. Pour pallier les pesanteurs de l’industrie de l’armement, il s’est tourné vers l’étranger pour les composants électroniques des armes, ou pour des systèmes complexes comme les deux porte-hélicoptères Mistral français.

Un autre civil, Sergueï Choïgou, l’a remplacé en 2012. Il s’est réconcilié avec les industriels en prônant un retour au made in Russia (100 avions de chasse sortiront des usines russes en 2016, soit cinq fois plus qu’en 2010) ; il a doublé le nombre des grandes manœuvres, mobilisant jusqu’à 95 000 hommes, 170 avions et 20 navires en août 2015 ; il a multiplié les inspections surprises pour s’assurer de la combativité des unités ; et s’est attiré les faveurs de la troupe, en mettant à sa disposition des logements plus décents. Les officiers ont vu leur solde augmenter : le salaire mensuel d’un lieutenant est passé de 170 à 720 euros.

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Poutine a épaulé ces efforts en portant le budget 2015 à 90 milliards de dollars (environ, car les finances russes demeurent opaques) et en adoptant un plan de réarmement 2016-2025 de quelque 700 milliards de dollars (488 milliards d’euros). Il prévoit notamment la construction d’un porte-avions et de vingt sous-marins nucléaires. L’armement de l’Arctique – riche en hydrocarbures – avec 16 ports, 13 bases aériennes et 10 stations radar est en bonne voie. Trois nouvelles divisions sont en cours de formation aux portes de l’UE.

Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense, inspecte la base aérienne russe de Hmeimim, en Syrie, le 18 juin. © Vadim Savitskii/Sputnik/AFP

Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense, inspecte la base aérienne russe de Hmeimim, en Syrie, le 18 juin. © Vadim Savitskii/Sputnik/AFP

Quinzième économie du monde, la Russie gère le quatrième (ou le cinquième) budget militaire de la planète. « Nous devons faire pour l’industrie de la défense ce que nous avons fait pour Sotchi », a déclaré Poutine en mai 2015 – allusion aux 50 milliards de dollars qui avaient été dévolus à l’organisation des Jeux olympiques d’hiver de 2014.

Une volonté de rétablir l’influence de la Russie

« En mettant sur pied ces forces souples et rapides, le président tend vers deux buts, explique Isabelle Facon. D’abord, rendre son armée crédible sur les plans opérationnel et technologique, pour que la Russie retrouve sa stature internationale. Ensuite, faire en sorte que les Occidentaux respectent sa zone d’influence, afin de pouvoir, par exemple, soutenir les républiques d’Asie centrale au cas où elles seraient menacées par de nouvelles “révolutions de couleur” [orange en Ukraine, rose en Géorgie, etc.] ».

La doctrine Poutine ? Elle est développée dans un document que le Kremlin a publié en mai 2014, année où a été inauguré à Moscou un Centre de contrôle pour la défense nationale, dans lequel un millier d’officiers vérifient en permanence que leur armée est en mesure de prendre des initiatives ou de riposter à d’éventuelles attaques sur son immense territoire. « Les États-Unis et leurs alliés, y lit-on, fomentent des révolutions dans des zones sensibles de la planète pour déstabiliser ou renverser les gouvernements, afin de contrôler et d’exploiter les ressources naturelles locales. »

La coordination interarmées et la mobilité stratégique issues de cette doctrine ont permis de compenser par deux fois l’infériorité financière et technologique (sauf en matière nucléaire) de la Russie face à l’Otan. D’abord, dans le Donbass ukrainien comme en Crimée, Moscou a pratiqué avec succès « une guerre hybride », que l’International Institute for Strategic Studies (IISS) définit comme « l’usage combiné de moyens militaires ou non militaires en vue de surprendre [l’adversaire] et d’obtenir un avantage psychologique et matériel, parallèlement à l’action diplomatique ».

« Petits hommes verts » sans insignes distinctifs qui prennent Sébastopol en vingt-quatre heures sans verser une goutte de sang, appui militaire évident (mais nié) aux séparatistes de Donetsk, propagande intensive pour dénoncer les « nazis » au pouvoir en Ukraine… Tous les moyens sont bons pour contrer l’ennemi qui s’aventure sur le glacis des anciennes dépendances russes (Donbass, Ossétie du Sud, Abkhazie…). À mi-chemin entre guerre et paix, le maître du Kremlin recourt tantôt à la subversion, tantôt à la provocation, tantôt au charme pour déstabiliser les Occidentaux.

Le T-14 Armata. © RIA Novosti/AFP

Le T-14 Armata. © RIA Novosti/AFP

En Syrie, les Russes se veulent plus offensifs. En trois mois, ils ont « projeté » loin de leurs bases, à Tartous, 4 000 hommes et 50 avions de combat pour sauver Bachar al-Assad. Objectif : se poser en acteur incontournable au Moyen-Orient. D’où l’utilisation de matériel dernier cri. Les Russes ont fait intervenir leurs avions Sukhoi Su-34 et Su-35. Surtout, ils ont montré qu’ils pouvaient lancer sur Raqqa un missile de croisière Kalibr depuis un sous-marin, et d’autres missiles tirés à partir de petits bateaux depuis la mer Caspienne, à 1 500 km des combats.

Une puissance à relativiser

Une belle publicité pour les armes russes… « Nos opérations contre les terroristes en Syrie ont été un test grandeur nature pour nos nouvelles armes, en particulier aériennes », s’est réjoui Poutine en avril. Un succès qui devrait étoffer le carnet de commandes de la Russie (il avait déjà atteint 15 milliards de dollars en 2015, selon lui).

Pourtant, cette renaissance demeure toute relative. D’après le Sipri, le budget russe de la défense est sept fois inférieur à celui des États-Unis. La crise démographique complique le recrutement de troupes. L’embargo imposé par l’Occident après l’annexion de la Crimée, la chute des recettes pétrolières et la corruption qui sévit dans l’industrie de guerre ne permettront pas à Moscou d’atteindre ses objectifs en matière de renouvellement de ses armements conventionnels.

Les chars T-14, les batteries de missiles antiaériens S-400, l’avion furtif T-50 de Sukhoi ne seront pas produits à la cadence annoncée. « Poutine le sait, tout comme il sait qu’il ne peut pas mener plus de deux opérations régionales simultanées, conclut Isabelle Facon. Il n’a pas envie d’entrer dans un affrontement conventionnel avec l’Otan, qui surclasse son armée dans la plupart des domaines. Mais il pense qu’avec de la volonté politique et une armée redynamisée il est possible de faire respecter les intérêts russes. »

À l’évidence, il y parvient en partie. Aujourd’hui, le magazine Time ne pourrait plus titrer en une, comme en 1990 : « L’URSS, c’est le Burkina Faso plus les fusées nucléaires ». Dans l’arsenal russe, il y a désormais mieux que ces milliers d’ogives nucléaires qui ne servent qu’à la dissuasion. Poutine dispose d’un appareil militaire efficace au niveau régional. Et il a prouvé qu’il n’hésitait pas à s’en servir.

Un tank terrifiant

Il s’appelle T-14 Armata. À raison de 500 exemplaires par an, ce tank devrait révolutionner l’arme blindée russe d’ici à 2020. On l’a vu pour la première fois lors du défilé du 9 mai 2015, qui célébrait le 70e anniversaire de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie. Les pays Baltes et la Pologne le redoutent, car il est conçu pour surclasser les Abrams américains et les Leopard allemands.

Son prix semble imbattable, au point que l’Inde réfléchit à son acquisition. Rapide (90 km/h, soit 20 km/h de plus que l’Abrams), autonome (500 km), armé d’un canon de 125 mm et de deux mitrailleuses, il est quasi invulnérable aux explosifs en tout genre. Sa tourelle, inhabitée, est commandée par un équipage à l’abri dans une capsule blindée isolée en son centre. Il est tellement électronisé et automatisé qu’il pourrait devenir le premier robot blindé du monde.

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