Centrafrique – Anicet-Georges Dologuélé : « Touadéra n’a rien fait ! »
Sèchement battu au second tour de la présidentielle, en février dernier, l’ancien Premier ministre se revendique comme premier opposant. Et ne mâche pas ses mots à l’égard du nouveau président.
Ce chiffre, Anicet-Georges Dologuélé, 59 ans, prend un plaisir évident à l’énoncer : l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA), le parti qu’il a fondé il y a tout juste deux ans, détient 13 sièges à l’Assemblée nationale. « Treize sur 140, s’empresse-t-il d’ajouter. Et cela suffit à faire de nous le premier parti du pays ! »
Le sourire de l’ancien Premier ministre d’Ange-Félix Patassé s’élargit encore lorsqu’il souligne que le KNK (Kwa Na Kwa) de l’ex-président François Bozizé et le MLPC (Mouvement de libération du peuple centrafricain) de Martin Ziguélé, pourtant créé à la fin des années 1970, en comptent moins d’une dizaine chacun. Lui-même fut élu avec plus de 75 % des suffrages dans sa circonscription de Bocaranga (dans le Nord-Ouest) lors des dernières législatives.
Le voici donc, lui qui fut battu par Faustin-Archange Touadéra au second tour de la présidentielle, en février 2016, qui revendique le titre de premier opposant de Centrafrique. Fini le silence auquel il s’était astreint ces six derniers mois. « Je ne vais plus me taire », insiste-t‑il. Et, sans surprise, c’est le nouveau chef de l’État qui fait les frais de ce retour sur le devant de la scène médiatique.
En Centrafrique il n’y a pas vraiment d’armée, de police, de gendarmerie… Chez nous, c’est la population qui est armée
Jeune Afrique : Vous aviez, à l’issue du second tour de la présidentielle, dénoncé des fraudes mais sans aller jusqu’à déposer de recours. Vous avez même reconnu assez rapidement la victoire de votre rival, Faustin-Archange Touadéra. Pourquoi ?
Anicet-Georges Dologuélé : Parce que la situation aurait dégénéré. En Centrafrique, les résultats sont annoncés tout au long de la semaine, bureau de vote par bureau de vote. Les jours précédant la proclamation des résultats officiels, la tension n’avait cessé de monter. Il y avait déjà des violences, la colère enflait. Comprenant qu’on allait leur voler la victoire, des jeunes menaçaient de sortir dans la rue avec des armes.
Ni moi ni personne n’avions les moyens de maîtriser ce qui allait se passer. Comprenez bien qu’en Centrafrique il n’y a pas vraiment d’armée, de police, de gendarmerie… Chez nous, c’est la population qui est armée ! C’est pour cela qu’après avoir consulté mes alliés, dans un souci d’apaisement et pour éviter que le pays ne sombre à nouveau dans la violence, j’ai décidé de laisser courir.
La communauté internationale avait hâte que cette élection se tienne enfin. Avez-vous subi des pressions ?
Ce qui est sûr, c’est que tout le monde était fatigué que le scrutin soit sans cesse reporté. La communauté internationale en avait assez des retards répétés, des atermoiements de la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza, de l’inefficacité de cette ANE [Agence nationale des élections] qu’elle portait à bout de bras, et elle était résolue à faire en sorte que la transition ne se prolonge pas au-delà de la date du 31 mars 2016. Mais elle savait parfaitement que cette élection aurait dû être annulée. Tout le monde le savait !
Regrettez-vous la décision que vous avez prise à l’époque ?
Non, je l’assume parfaitement. C’était un acte de cœur, un acte patriotique. Mais je maintiens que cette élection a été massacrée alors qu’elle aurait dû être exceptionnelle, et que c’était une chance unique offerte aux Centrafricains.
J’affirme qu’il y a eu des fraudes, que des instructions ont été données aux préfets pour qu’ils changent les procès-verbaux, que les autorités de la transition ont mis tous les moyens qui étaient à leur disposition au service de Faustin-Archange Touadéra, dont elles ont financé la campagne. Elles espéraient en échange obtenir sa protection.
Le problème, c’est qu’une fois élu Touadéra a ordonné un audit de la transition. Catherine Samba-Panza, par exemple, en est très mécontente et s’estime maltraitée. Du coup, les langues se délient…
Même si je n’ai pas déposé de recours, il me semble très important de procéder à un audit de cette élection présidentielle, tout comme il faut dissoudre cette ANE, qui ne fonctionne pas. Dans deux ans, nous aurons des scrutins locaux, et il ne faudrait pas faire les mêmes erreurs.
Début août, Jean-Francis Bozizé, le fils de l’ancien président, a pris le risque de rentrer en Centrafrique. Il a été brièvement arrêté puis relâché… Que pensez-vous de la manière dont cette affaire a été gérée ?
Dans le fond, peut-on vraiment dire qu’il a pris un risque en revenant à Bangui ? Je pense qu’il s’était au préalable entendu avec le président Touadéra, qu’il avait eu des assurances en dépit du fait qu’un mandat d’arrêt international avait été émis contre lui. C’est d’ailleurs la Minusca [la force onusienne] qui l’a arrêté. Tout a été fait dans l’improvisation et l’amateurisme. La preuve : il a été libéré sans même avoir été présenté à un juge d’instruction.
Fin août, Faustin-Archange Touadéra était à Nairobi pour assister à la sixième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique. Il n’a pas souhaité recevoir François Bozizé, qui séjourne pourtant régulièrement dans la capitale kényane. A-t-il eu raison ?
Je fais plusieurs constats. Le premier, c’est que François Bozizé exerce encore une certaine influence sur les groupes armés anti-balaka. Le second, comme je vous l’expliquais tout à l’heure, c’est qu’en Centrafrique notre armée n’est pas armée. Partant de là, et puisqu’on n’a pas la possibilité de régler les problèmes par la force, il faut dialoguer. C’est inévitable.
Y compris avec la Séléka ?
Pour les mêmes raisons que celles que je viens d’énoncer, oui.
Noureddine Adam, l’un des chefs de la Séléka, peine néanmoins à unifier les différentes factions qui la constituent. La menace ne s’en trouve-t-elle pas amoindrie ?
Il se dit que la Séléka s’impatiente, qu’elle projette d’attaquer. Bien sûr qu’elle est toujours une menace ! J’avais rencontré plusieurs de ses représentants entre les deux tours. Ce qu’ils voulaient, c’est que le Nord et les musulmans ne soient plus oubliés, ils espéraient qu’un processus de démobilisation et de réinsertion bien mené leur offrirait de nouvelles perspectives.
Une fois élu, le chef de l’État aurait dû entamer des discussions avec eux, ne serait-ce que pour les rassurer. Mais il ne s’est rien passé, et les problèmes demeurent. Il est évident que tout ne pouvait pas être résolu en quelques mois, mais on aurait dû expliquer aux groupes armés dans leur ensemble quel était l’agenda du gouvernement, pour qu’ils le comprennent et l’épousent.
Quel bilan dresseriez-vous des premiers mois du président Touadéra ?
Il est au pouvoir depuis cinq mois : c’est peu, mais suffisant pour organiser les équipes, nommer les responsables, procéder à la mise en place du programme de société pour lequel il a été élu. Or, dans le cas présent, il ne s’est rien passé.
D’autres que lui, en pareilles circonstances, ont pris le temps de la réflexion. Au Nigeria, le président Muhammadu Buhari a mis presque six mois à nommer son gouvernement…
La Centrafrique n’est pas le Nigeria. Le Nigeria est un pays qui fonctionne, qui a une administration en état. Ce n’est pas notre cas. Et c’est parce qu’il ne se passe rien que nous sommes très inquiets.
N’êtes-vous pas alarmiste ?
Non. Après l’élection, j’ai choisi de me taire pour donner une chance au nouveau président. Quand il m’a approché pour me proposer une union sacrée autour des questions de sécurité, j’ai accepté. Mais, depuis, plus rien. Alors peut-être que me taire n’était pas la bonne stratégie.
Quels liens entretenez-vous aujourd’hui avec vos anciens rivaux du premier tour, tels Martin Ziguélé ou Karim Meckassoua ?
Nous avons été des compétiteurs, et ils ne m’ont pas soutenu au second tour. Pour autant, il n’y a pas d’inimitiés fortes au sein de notre classe politique. Avec Karim Meckassoua, par exemple, nous avons depuis des années une relation de camaraderie. J’ajoute que plusieurs de ceux qui avaient choisi de rallier Touadéra sont aujourd’hui déçus, parce que, là encore, des promesses n’ont pas été tenues, et que certains nous ont approchés. Nous ne sommes pas exclusifs, la porte est ouverte.
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