Nassira El Moaddem et le Bondy Blog… la voix est libre

À 32 ans, la journaliste française d’origine marocaine prend la direction du Bondy Blog, l’un des rares médias qui donne la parole aux banlieues.

« L’exemplarité, c’est de dire quand ça déborde	! » © Cyrille Choupas pour JA

« L’exemplarité, c’est de dire quand ça déborde ! » © Cyrille Choupas pour JA

Publié le 23 septembre 2016 Lecture : 4 minutes.

«Responsabilité », « prise de position », « nécessité » : sous les vocables de Nassira El Moaddem, fraîchement propulsée à la tête du Bondy Blog, on devine une journaliste qui prend son rôle à cœur. C’est que, en sept années de piges régulières, elle a pu saisir tout l’enjeu sociétal de cet ovni médiatique. À sa création, il y a dix ans, au faîte de la révolte des banlieues, le journal en ligne se voulait une tribune pour les quartiers sans voix.

La guerre des clichés sur la banlieues

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Aujourd’hui, pourtant, malgré 700 à 800 sujets produits chaque année, tout reste à faire. Elle explique : « On n’a pas d’autre choix que de continuer à croire en ce projet. Personne d’autre ne l’a fait depuis 2005, et il y a une place à occuper. Malheureusement, ces questions sont toujours au cœur de l’actualité et loin d’être traitées de la bonne manière. » Ces questions, ce sont l’immigration, la discrimination, la lente et laborieuse acceptation de la pluralité, les inégalités qui en découlent.

Pour la journaliste, il existe un vrai problème de représentation d’un pan entier de la société, alimenté par les clichés et l’exagération. Sa volonté ? Raconter le quotidien des banlieues « tel qu’il y est vécu et non pas tel qu’il est fantasmé par Paris 7e arrondissement ». Elle plaisante (à peine) : « Vous savez qu’il y a des gens qui travaillent, vont à l’école, font leurs courses en banlieue et qui rentrent vivants chez eux ? Certains y achètent même des appartements ! »

Il fallait être deux, trois fois plus brillante que les autres, car ça allait être compliqué de s’imposer

Scolarité brillante

Née loin des quartiers, elle a grandi dans le Loir-et-Cher auprès d’un père ouvrier et d’une mère assistante maternelle, tous deux Marocains. Et a tôt fait de toucher du doigt les limites du modèle d’intégration à la française. « Quand je ramenais des 18/20, mon père n’était pas content, ce n’était pas assez pour lui. On m’expliquait qu’il fallait être deux, trois fois plus brillante que les autres, car ça allait être compliqué de s’imposer. Tous les fils et filles de l’immigration vous raconteront la même histoire. »

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Pour elle, cette obligation de résultat débouchera sur une trajectoire sans faute : bac littéraire, Sciences-Po Grenoble, ESJ Lille. Avant de remporter, en 2012, le concours i>Télé-Canal+, qui lui offrira son premier poste sur la chaîne d’info en continu, reporter spécialiste des questions économiques et sociales.

« Dès 8-9 ans, j’ai voulu devenir journaliste. J’étais fan du 7/7 d’Anne Sinclair, un rituel avec mon père, féru de politique », se souvient-elle. Son cursus à Langues O’ puis sa spécialisation « Monde arabe, Turquie, Iran » à Sciences-Po lui permettent d’apprendre le turc et de perfectionner son arabe (elle parle marocain depuis qu’elle est toute petite, et son père lui a transmis le goût de l’arabe littéraire). C’est aussi l’occasion de comprendre l’histoire de la région, du conflit israélo-palestinien à la guerre Iran-Irak. Un stage à l’ambassade de France à Damas la « vaccinera » contre la diplomatie, « trop protocolaire et trop déconnectée du quotidien des habitants ».

Sa droiture, sa sincérité sont à double tranchant

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Un franc parler gravé dans son histoire

La vraie vie, celle des vraies gens. Un résumé de sa vision du journalisme, de son besoin d’authenticité. Alors quand le président du Bondy Blog, Nordine Nabili, sur le départ, lui demande début 2016 d’élaborer un projet de reprise, elle fonce. Dans ses nouvelles fonctions depuis l’été, elle revendique l’ADN du blog, « un esprit de collectif, une liberté dans l’écriture et un ton indépendant, qu’on assumera peut-être encore plus ».

Elle promet, pour l’avenir, de garder le verbe haut. « Nous souffrons d’une certaine aseptisation de la profession. On nous répète de ne pas parler trop haut, par souci d’exemplarité. Mais l’exemplarité, c’est de dire quand ça déborde. » Pour Widad Ketfi, rencontrée au blog et devenue une amie proche, « sa droiture, sa sincérité sont à double tranchant. Certains médias classiques ne sont pas prêts à assumer des personnalités comme la sienne, qui ne veulent pas trahir leurs valeurs ».

Défense des droits des femmes

Car Nassira El Moaddem n’hésite jamais à enfoncer le clou. Dans ses articles, sur Twitter, face aux politiques. Ou au sein du collectif Prenons la une, qui milite pour une juste et égale représentation des femmes dans et par les médias. Histoire de ne plus revivre d’entretien d’embauche comme celui où, dans un média national, une femme tiquant sur son statut marital lui demanda si elle voulait des enfants.

Ce qui l’a peut-être conduite, plus tard, à ne pas parler à i>Télé de sa grossesse bien avancée… et à commencer une semaine à peine après avoir accouché. Un signe du travail qu’il reste à accomplir, sur le Bondy Blog et partout ailleurs, pour les femmes comme pour les Français de l’immigration et les habitants des quartiers populaires… Pour Widad Ketfi, nul doute que Nassira El Moaddem est la femme de la situation.

« Elle est très exigeante avec elle-même comme avec les autres et va toujours jusqu’au bout d’un projet. » Un défi à la hauteur de cette « obsédée de travail », qui entend bien profiter de la parole qui lui est donnée. En toute liberté.

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