Manuel Valls : « Quand un peuple aspire à la démocratie, rien ne peut l’arrêter »
Élections au Gabon et en RD Congo, intervention au Mali, terrorisme en Libye, relations avec l’Algérie et le Maroc, passé colonial et Françafrique, immigration, islam et burkini… Avant sa tournée ouest-africaine, qui a débuté au Sénégal au mois de septembre et recommence à partir de ce vendredi 28 octobre au Ghana, au Togo et en Côte d’Ivoire, le Premier ministre français a mis les choses au clair.
Il croit encore – ou feint de croire – aux chances d’un candidat de gauche à l’élection présidentielle française de l’an prochain. Et il croit toujours – ou feint de croire – en ses propres chances au cas où François Hollande, finalement, renoncerait à se présenter.
Même si certains de ses amis, résignés, l’invitent à se préserver pour l’échéance suivante, en 2022, Manuel Valls, 54 ans, continue d’évoluer sur un chemin de crête politique, à la fois loyal envers un président dont il assume le bilan et singulier dans ses attitudes et ses déclarations – une singularité qui lui permet d’être, de sondage en sondage, un peu moins impopulaire que celui qui l’a nommé au poste de Premier ministre en 2014, une veille de 1er avril.
L’enfant de Barcelone, naturalisé français en 1982, européen de cœur, social-libéral et passionné d’histoire, s’intéresse depuis longtemps à l’Afrique, sous l’influence d’amis proches comme son conseiller Ibrahima Diawadoh N’Jim ou le cinéaste Abderrahmane Sissako, ainsi qu’au conflit israélo-palestinien et aux rapports entre islam et laïcité – domaines sur lesquels il affiche des positions tranchées et volontiers clivantes.
À quelques jours d’une tournée africaine qui, en deux séquences distinctes, le mènera à Dakar, Accra, Lomé et Abidjan, Manuel Valls a longuement reçu Jeune Afrique dans son bureau de l’hôtel Matignon, le 14 septembre.
Jeune Afrique : Vous vous rendez au Sénégal cette semaine (le 22 septembre, ndlr), avant d’entamer une tournée en Afrique de l’Ouest. Quel est le sens de ces voyages ?
Manuel Valls : Macky Sall et François Hollande ont souhaité que nos deux gouvernements se rencontrent régulièrement, en France et au Sénégal. Nous allons passer en revue tous les domaines de coopération. J’irai ensuite, fin octobre, au Togo, au Ghana et en Côte d’Ivoire, cette région de l’Afrique que je connais bien puisque mon grand-père maternel a longtemps vécu en Sierra Leone.
J’ai la conviction qu’une part de l’avenir de l’Europe et donc de la France se joue en Afrique et que ce siècle sera celui des Africains. Le continent fait face à des défis immenses en matière de migrations, de démographie, de développement, d’écologie, d’énergie, de terrorisme ou de gouvernance. Mais les opportunités sont, elles aussi, immenses.
Nous avons trop tendance à oublier la soif de modernité de la jeunesse africaine, la vitalité culturelle et la force de la Francophonie. Je veux contribuer à bâtir des ponts. L’Afrique est la nouvelle frontière sur laquelle l’Europe doit bâtir en partie son avenir, pour des raisons démographiques, stratégiques et économiques.
L’économie sera donc au programme ?
Oui, la France doit être encore plus présente à travers ses entreprises, qui doivent saisir toutes les opportunités. Nous avons connu beaucoup de concurrents ces dernières années, européens, turcs, chinois, indiens, qui ont débordé les firmes françaises sur les marchés africains.
Nos entreprises doivent cesser de considérer qu’elles évoluent dans une « chasse gardée ». J’espère également organiser avec mon homologue chinois, Li Keqiang, qui a proposé l’idée, un grand sommet France-Chine-Afrique, qui pourrait se tenir à Dakar, afin de mettre en œuvre toutes les synergies possibles.
Vous vous êtes prononcé pour un « recomptage » des voix après l’élection présidentielle contestée du 27 août au Gabon. Ingérence ?
Non. Nous avons changé d’époque : lorsqu’il y a des élections, la France ne se mêle pas des résultats, elle en prend acte. Nous n’avons pas à prendre parti, ni pour M. Ali Bongo, ni pour M. Jean Ping. Nous appelons seulement à l’apaisement et au dialogue face à la montée de la violence et au risque de chaos. Il y a eu vote, et il faut s’en féliciter, mais il y a eu aussi contestation, et la Constitution gabonaise prévoit, dans ce cas de figure, une procédure devant la Cour constitutionnelle.
C’est la voie qu’a choisie Jean Ping. Il appartient désormais à la Cour d’examiner le recours dans la transparence et l’impartialité. Une crise politique serait terrible pour les Gabonais. Et je pense aussi à nos ressortissants, même si nous faisons confiance aux autorités gabonaises pour garantir leur sécurité.
Peut-on faire confiance à la Cour constitutionnelle ?
Jean Ping a décidé de cette voie de recours, il faut respecter la procédure et attendre la décision de la justice. Le président Bongo a dit que les décisions de la Cour s’imposeraient à tous, donc faisons-lui confiance. Il y a, en Afrique, une puissante aspiration des peuples à la démocratie et les exemples récents ont montré que rien ne peut arrêter ce mouvement.
La France dispose de troupes stationnées au Gabon et dans la région. Y a-t-il un plan d’évacuation prévu en cas de troubles ?
À partir du moment où il y a eu des incidents graves après la proclamation des résultats de la présidentielle, il était de notre devoir de s’assurer que nos ressortissants soient bien protégés. Tous les Français, y compris binationaux, sont sous protection consulaire. Nous suivons cette situation avec une très grande vigilance. Mais ce que nous espérons d’abord, c’est que le Gabon surmonte cette épreuve.
Vos relations avec Ali Bongo Ondimba n’ont pas toujours été sereines. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Lui est supporter du Real Madrid et moi du FC Barcelone. Plus sérieusement, nous nous sommes rencontrés à de nombreuses reprises et nous avons des rapports cordiaux. Je le répète : parce que je crois en l’Afrique, il faut qu’elle ait des dirigeants qui regardent vers l’avenir.
La politique de la France en Afrique donne souvent l’impression qu’il faut choisir entre les enjeux sécuritaires et les enjeux démocratiques. Est-ce inévitable ?
Non, les deux doivent aller de pair. Il y a eu dans le quinquennat de François Hollande un acte majeur : l’intervention de la France au Mali, en janvier 2013. Le Mali était menacé par le péril jihadiste mais c’était toute la sous-région et également la France qui étaient visées. L’Europe, la France et l’Afrique sont confrontées ensemble à cette menace.
Bien sûr, la priorité est à la sécurité, mais pourquoi l’opposer à la démocratie ? La plus belle des réponses au terrorisme, c’est la démocratie. La lutte contre le terrorisme est bien plus efficace quand elle s’appuie sur l’élan démocratique des peuples et l’État de droit. Et n’oublions jamais que, si les terroristes s’attaquent à la Tunisie, au Mali, au Burkina, à la Côte d’Ivoire, qui doit tant à la sagesse du président Ouattara, c’est d’abord parce que ces pays représentent des modèles démocratiques, c’est-à-dire tout ce que les jihadistes détestent.
La Françafrique, c’est terminé !
L’exemple du Tchad, où, là aussi, l’élection présidentielle a été contestée, mais où Idriss Déby Itno bénéficie de l’appui de la France, ne démontre-t-il pas que les enjeux sécuritaires prédominent ?
Je ne regarde pas l’Afrique avec simplisme ou naïveté. Je suis conscient que chaque pays a ses propres enjeux et ses défis démocratiques à surmonter. Avec le Tchad et son président, Idriss Déby Itno, nous sommes alliés dans la lutte contre le terrorisme, notamment contre Boko Haram, pour la sécurité de la région.
Et au sujet de la RD Congo ?
La RD Congo mobilise toute notre attention, mais aussi celle de l’Union africaine et de la communauté internationale. C’est un pays immense, avec des ressources importantes et, en même temps, des tensions persistantes dans l’Est et une exploitation insuffisamment contrôlée des richesses. Les prochaines échéances obéissent à des règles constitutionnelles sans équivoque, en particulier la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs.
La Françafrique, c’est terminé ! Pour autant, la France, pays ami de l’Afrique, a à cœur de faire progresser les principes démocratiques, qui sont dans l’intérêt de tous les peuples. Je continue de penser que la France doit assumer ses responsabilités sur le continent africain. La responsabilité de la France, c’est de dire que chacun doit respecter scrupuleusement le cadre constitutionnel, et il faut que des élections soient organisées dans des délais aussi rapprochés que possible.
La Françafrique est-elle vraiment morte ?
Certes, quand je vois un certain nombre d’individus qui parcourent encore le continent pour le compte de tel ou tel candidat, je ne peux pas nier qu’il reste encore quelques vieilles pratiques. Notre relation avec le continent ne peut pas être banalisée, mais il faut que s’impose à tous l’idée que l’Afrique n’est pas un pré carré. Cela nécessite du respect et de la proximité.
L’Afrique change beaucoup et vite. Nous devons mieux comprendre ce continent qui émerge, mieux saisir l’aspiration des peuples, discuter davantage avec la société civile, la jeunesse qui bouge, qui étudie à l’étranger. Il faut faire valoir l’intérêt d’une relation forte avec la France et c’est, je crois, ce qui a été compris depuis 2012. L’intervention au Mali a prouvé, je le répète, que la Françafrique, c’est terminé, et que nous sommes dans l’intérêt mutuel.
En Libye, le califat de Syrte est sur le point de tomber, ce qui risque de provoquer un éparpillement des jihadistes à l’étranger. Cela vous inquiète-t-il ?
Oui, la situation en Libye a un impact direct sur l’Europe et donc sur la France. Le terrorisme a su y trouver un second refuge alors que la coalition internationale inflige des coups sévères à l’État islamique [EI] en Irak et en Syrie. On compte entre 3 000 et 5 000 jihadistes en Libye, et leur dispersion constitue une menace majeure, d’abord pour les pays voisins.
La priorité, c’est de continuer de faire reculer l’EI à Syrte, mais, au-delà de l’action militaire, la seule réponse est une coopération antiterroriste de grande envergure avec l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Il y a en outre une deuxième préoccupation évidente, celle de la crise migratoire.
Elle est alimentée par ce chaos et par les divisions tribales et politiques qui minent les efforts du gouvernement d’union nationale. Il est dans l’intérêt de la Libye qu’il y ait une réconciliation nationale, avec tous ceux qui peuvent participer à la reconstruction du pays.
La France parle-t-elle avec le général dissident Khalifa Haftar ?
La France est en capacité de parler avec tout le monde. Elle peut favoriser le dialogue dans l’intérêt des Libyens et de la région, en lien bien sûr avec les pays voisins. Toutefois, nous voulons avant tout dialoguer avec celui qui dirige le gouvernement d’union nationale, le président Fayez el-Sarraj, que nous recevrons d’ailleurs prochainement à Paris.
Sous François Hollande, Paris a été en bons termes avec Alger, puis avec Rabat, mais jamais avec les deux en même temps. Exercice impossible ?
Je ne partage pas votre analyse. Nous ne sommes pas entre l’Algérie et le Maroc. Nous sommes avec l’Algérie et le Maroc. Nous pouvons avoir des relations d’exception avec les uns et avec les autres. Le président Hollande a rétabli avec Alger un partenariat indispensable qui avait été abîmé au cours du quinquennat précédent.
Et si nous avons connu avec Rabat une brève période de difficultés pour des raisons juridiques – ce que je regrette –, elle est aujourd’hui totalement surmontée. Ce qui nous rapproche encore davantage aujourd’hui de ces deux pays amis, c’est cette urgence que nous accordons tous à la lutte contre le terrorisme.
Elle crée aussi une confiance nouvelle sur le plan économique, sur celui des relations humaines, des échanges culturels… Nous avons des relations politiques de très grande qualité et il ne faut surtout pas se laisser impressionner par tel ou tel commentaire.
Le temps d’un tweet, à l’issue de votre visite à Alger en avril, on a pourtant frôlé l’incident diplomatique…
Il n’y avait aucune raison de s’emballer. Chacun connaît mon respect à l’égard du président Bouteflika. Cela n’a rien changé à la relation que nous entretenons depuis quatre ans avec les autorités algériennes et le Premier ministre Sellal. Il faut avoir du sang-froid dans ce genre de situation.
La France a confiance en l’Algérie et en son potentiel immense de grand partenaire. Il y a l’écume des choses et les polémiques, mais ce qui est essentiel, c’est cette relation stratégique que nous avons construite.
Un de vos prédécesseurs, François Fillon, a récemment comparé la colonisation à une forme de « partage », relançant le débat sur le passé colonial de la France. Vous avez quant à vous déclaré, dans une interview en 2007, que le mot « repentance » n’était pas tabou. Le rediriez-vous aujourd’hui ?
Je suis le chef du gouvernement, donc je ne m’exprime pas à titre personnel mais au nom de la France. Il faut être lucide sur notre passé pour nous tourner ensemble vers l’avenir. Personne ne peut occulter les pages d’histoire qui ont lié la France et l’Afrique. Je me rappelle de l’émotion du président malien, M. Ibrahim Boubacar Keïta, parlant de son grand-père mort à Verdun pendant la Première Guerre mondiale.
Mais personne ne peut oublier les moments sombres ou nier ce qu’a été le 8 mai 1945 à Sétif, personne ne peut oublier le drame de la guerre d’Algérie, les massacres, la torture, mais aussi le sort des harkis ou la répression de la révolte malgache de 1947…
Ces faits doivent être rappelés et commémorés. Laissons les historiens mener les travaux et cessons de vivre dans la culpabilité, le ressassement et la repentance. Un pays s’honore de reconnaître ses responsabilités, mais notre relation avec l’Afrique doit être tournée vers l’avenir.
Je donnerai toute mon énergie pour que l’islam de France resplendisse dans le monde
Voyez-vous, comme certains, un côté positif à la colonisation ?
Non. La colonisation a marqué le continent africain, c’est un fait. Mais elle a nié la réalité des peuples. Elle a représenté beaucoup de souffrances et aussi une perte de richesses économiques et humaines. Aujourd’hui, l’avenir de l’Afrique est entre les mains des Africains et de leurs dirigeants. Ils ne doivent pas être tournés vers le passé mais vers demain. C’est dans ce sens que la France leur tend la main en tant que partenaire, d’égal à égal, sans rien oublier de nos liens, ceux de l’histoire et de la langue.
Beaucoup de musulmans s’interrogent sur vos prises de position, jugées clivantes, au sujet de « l’islam de France ». Pouvez-vous préciser votre pensée ?
Ce que je dis est très clair : les Français musulmans sont une part de la France et de son identité. La France, c’est une longue histoire, avec des racines chrétiennes bien sûr et la plus vieille communauté juive d’Europe. C’est l’esprit des Lumières, la révolution de 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la laïcité et la loi de 1905.
Et c’est également l’islam, deuxième religion du pays. Je donnerai toute mon énergie pour que l’islam de France resplendisse dans le monde et fasse la démonstration éclatante de sa compatibilité totale avec la démocratie, la modernité et l’égalité entre hommes et femmes. C’est l’un des plus beaux projets qui soient.
Qu’attendez-vous des musulmans de France ?
L’islam de France, comme partout dans le monde, souffre aujourd’hui d’un poison qui se répand de l’intérieur : les dérives extrémistes liées notamment au salafisme. Elles sont minoritaires, mais elles étendent leur influence, notamment à travers les réseaux sociaux. Il faut donc que les musulmans mènent le combat de l’intérieur. Ils doivent avec leurs représentants réagir contre la mainmise des salafistes sur certaines mosquées, certains quartiers, sur nombre de nos jeunes.
Il y a en France des millions de citoyens dont les origines sont en Afrique de l’Ouest et au Maghreb et qui pratiquent un islam dont les racines n’ont rien à voir avec ce fanatisme. Mon gouvernement a entrepris un dialogue très exigeant avec les représentants de l’islam de France et beaucoup de chantiers sont ouverts, comme celui de la Fondation pour les œuvres de l’Islam ou celui de la formation des imams.
Ce défi de l’islamisme radical, ce n’est pas seulement celui de la France ou de l’Europe, c’est aussi celui de toute l’Afrique, où les courants extrémistes et sectaires se sont aussi répandus. Mon gouvernement a par conséquent entrepris un dialogue très exigeant avec les représentants de l’islam de France et beaucoup de chantiers sont ouverts, comme celui du financement des cultes et de la formation des imams.
Vous prônez une formation des imams en France. De tels cursus existent pourtant déjà au Maroc ou en Algérie. Cela veut-il dire que vous ne leur faites pas confiance ?
Les positions du roi Mohammed VI, son engagement pour la tolérance et pour la coexistence des religions, sont des messages très importants pour le monde musulman.
Lorsque je l’ai rencontré à Rabat il y a quelques mois, il m’a proposé d’ouvrir aux imams français les portes des instituts de formation marocains, le temps pour la France de créer sa propre filière. Le partenariat s’est engagé et j’ai donc pleine confiance dans les autorités marocaines. Mais il est évident que nous avons besoin d’imams qui parlent français et qui soient formés en France.
On demande à l’islam de France d’accomplir une mutation en quelques années alors que les autres religions ont eu parfois des siècles pour le faire. C’est un défi considérable mais nous y parviendrons.
Le président Macky Sall a eu cette phrase, le 14 septembre, jour de l’Aïd : « Les premières victimes du terrorisme sont d’abord les musulmans. Qu’on évite les amalgames. Ce n’est pas l’islam qui est en jeu. La réponse au terrorisme, ce n’est certainement pas d’exacerber le choc des civilisations ou le choc des religions. » Vous êtes-vous senti visé ?
Votre question est étrange, puisque c’est ce que je répète inlassablement depuis janvier 2015. Je me retrouve totalement dans les propos de Macky Sall, qui est un ami et un grand dirigeant. J’ai toujours rappelé que les premières victimes du fondamentalisme étaient les musulmans. C’est vrai partout dans le monde, au Moyen-Orient, en Afrique.
Dans les attentats de Paris, de Nice, il y avait parmi les victimes des Français musulmans. Ce que cherchent les jihadistes, c’est créer dans nos sociétés les conditions d’une guerre civile dans laquelle les musulmans sont pris en otage, car courant le risque d’être assimilés à l’islamisme radical. Je le répète : la République protège et protégera les musulmans de France, et je n’accepterai aucun amalgame.
Il faut s’élever contre le populisme, notamment d’une partie de la droite française, qui alimente une confusion entre regroupement familial, immigration, réfugiés et terrorisme, et donc, à la fin des fins, entre musulmans et terrorisme.
Êtes-vous conscient que la polémique au sujet du burkini a pu alimenter le malaise des musulmans de France ?
Les musulmans de France ont, comme tous les citoyens, le droit de pratiquer pleinement leur foi. Mais le burkini, c’est autre chose que la foi, c’est une revendication comm unautariste dans l’espace public, une provocation lancée à la République et à l’égalité entre les femmes et les hommes. En France, le corps des femmes n’est pas pudique ou impudique. Il est le corps des femmes.
Il n’a pas à être caché ou dissimulé. Je ne céderai jamais face aux assauts de l’islam radical. Comme je n’ai jamais cédé face à l’assaut de tous les extrémismes. La République doit être intransigeante lorsque l’essentiel est en cause. Elle doit l’être pour tous les citoyens, et notamment pour les musulmans qui n’ont qu’un seul vœu : vivre libres sans être les otages d’une minorité obscurantiste et prosélyte.
Dans les villes qui se libèrent du joug de l’EI en Irak et en Syrie, quel est le premier geste des populations ? Se raser la barbe, se débarrasser du voile qui leur a été imposé, écouter la musique qui avait été interdite… Ce poids insoutenable des interdits, le film Timbuktu l’a si bien montré.
Vous étiez en Israël au mois de mai afin de porter un projet de conférence internationale de paix dans le conflit israélo-palestinien. Pensez-vous réellement que l’on puisse encore discuter avec Benyamin Netanyahou, chef du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël ?
La France est forte et sa voix porte car elle parle à tous les acteurs. Je suis allé en Israël et en Palestine rencontrer les autorités politiques des deux pays, mais aussi la société civile, des enseignants, des femmes et des hommes de foi, tous très préoccupés par la montée des tensions dans les deux sociétés et par la montée en puissance des fondamentalismes.
L’intérêt d’Israël, c’est la sécurité, c’est que les Palestiniens aient un État viable et reconnu, et c’est ce que j’ai dit clairement à Benyamin Netanyahou. Nous savons que tout plan de sortie de crise doit se faire sur la base de frontières claires, reconnues, garantissant la sécurité des deux États, et sur la reconnaissance de l’État d’Israël.
Nous exigeons pour cela l’arrêt de la colonisation, qui empêche l’idée même d’un État palestinien et toute possibilité de paix. La France a pris ses responsabilités en accueillant en juin une conférence à Paris. Nous espérons désormais que les prochaines étapes se feront avec l’ensemble des protagonistes.
Je suis loyal au président de la République.
Si ce processus n’aboutit pas, la France va-t-elle, comme l’avait déclaré Laurent Fabius lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, reconnaître unilatéralement l’État de Palestine ?
À partir du moment où nous avons engagé un processus de dialogue, il faut tout faire pour sa réussite. Nous ne devons donc pas parier sur son échec.
La présidentielle de 2017 en France passionne déjà les Africains. Vous préparez-vous pour cette échéance, au cas où François Hollande ne se représenterait pas ?
Je suis loyal au président de la République. Cela fait partie d’une éthique indispensable, surtout à une époque où nos concitoyens rejettent la parole publique. Je suis aussi respectueux des institutions. Et ma loyauté va d’abord aux Français. J’ai une mission, celle de chef du gouvernement, et jusqu’au bout je ferai face au terrorisme et je porterai les réformes, notamment économiques, dont la France a besoin.
Les choses vont dans le bon sens, avec des chiffres qui deviennent encourageants dans le domaine du chômage. Je m’en tiens donc à ma mission. Je suis Premier ministre et libre aussi d’ouvrir les débats nécessaires pour l’avenir du pays. François Hollande prendra sa décision en décembre. Dans son discours du 8 septembre, il a aussi assuré qu’il ne laisserait pas le pays dans les mains de ceux qui veulent tourner le dos aux valeurs de la République. Je me retrouve pleinement dans ces propos.
Vous croyez vraiment qu’un candidat de gauche peut encore gagner la prochaine présidentielle ?
J’en suis convaincu. Rien n’est joué et les grands défis du monde nécessitent plus que jamais une gauche moderne, républicaine et laïque. Une gauche qui regarde le monde, et notamment l’Afrique, et porte une République ferme et bienveillante.
C’est cela, la gauche de Manuel Valls ?
Oui, c’est cette gauche qui gouverne, qui assume les responsabilités et que nous devons tous porter collectivement.
Le lamido de Matignon
Il était là, sous les ors un peu surannés de Matignon, pour assister à cet entretien. Tout comme il était là il y a trois ans, place Beauvau, lors de l’interview de Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, avec JA.
En bout de table, attentif et silencieux. Rien de plus normal : conseiller spécial d’un homme auprès de qui il travaille depuis quinze ans, à qui le lient de vrais rapports d’affection et qu’il est le seul ici à saluer d’un « check » fraternel, Ibrahima Diawadoh N’Jim, mauritanien et français, musulman et républicain, discret et omniprésent, est l’incontournable « Monsieur Afrique » (mais pas seulement) du Premier ministre.
Son silence médiatique vaut à ce natif de Kiffa, 61 ans, citoyen d’Évry (en banlieue parisienne) depuis un quart de siècle, d’être l’objet de bien des rumeurs et d’autant de fantasmes. Comme celle de ce voyage secret en Irak, en août, qu’il n’aurait en réalité jamais effectué. Mais ne comptez pas sur lui pour démentir : « les hommes généreux sont sourds et muets », dit un proverbe mauritanien.
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