Pétrole : au Congo-Brazza, comment sortir d’un monde de brut ?

Les hydrocarbures sont une drogue dont l’économie congolaise voudrait se sevrer. Pour y parvenir, l’État promet de faire croître de nouvelles « grappes d’activité ». Alors que le Plan national de développement 2012-2016 touche à sa fin, JA dresse un premier bilan.

Zone portuaire. Bois d’eucalyptus © Antonin Borgeaud pour JA

Zone portuaire. Bois d’eucalyptus © Antonin Borgeaud pour JA

Publié le 6 octobre 2016 Lecture : 9 minutes.

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Congo : moins de pétrole, plus d’idées ?

Pour limiter sa dépendance aux hydrocarbures, l’économie congolaise tente de faire croître de nouvelles grappes d’activité. Alors que le plan national de développement 2012-2016 touche à sa fin, Jeune Afrique dresse un premier bilan.

Sommaire

Sans surprise, les hydrocarbures restent le poids lourd de l’économie congolaise. Leur contribution au PIB s’est cependant réduite de presque 10 % en cinq ans, pour s’établir à 57,4 % en 2015 . Mais c’est encore bien trop. D’autant que ce recul est davantage dû à la baisse de la production de pétrole et à celle des cours du baril qu’à une croissance soutenue des autres filières de l’économie.

Vers une reprise de la croissance

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Et cette tendance devrait s’infléchir, puisque l’exploitation de nouveaux puits et le redéploiement de certains champs au large des côtes congolaises annoncent une relance de la production nationale de brut (317 000 barils par jour attendus pour 2016, 377 707 en 2017, contre 250 246 en 2014). Ce qui devrait donc dès cette année redonner quelques points de croissance au secteur et des recettes supplémentaires à l’État. Resterait presque à espérer que les cours mondiaux des hydrocarbures ne remontent ni trop rapidement ni trop haut, pour que les Congolais ne soient pas enclins à se reposer de nouveau sur une rente qui a trop longtemps fait de l’ombre au développement des autres secteurs.

Pourtant, dès le début des années 2000, l’État a planché sur une politique de diversification et d’industrialisation. Il a fallu attendre une petite dizaine d’années et le Plan national de développement (PND) 2012-2016 pour que cette stratégie prenne forme, autour de sept « grappes d’activités » porteuses de croissance : agriculture et agroalimentaire ; forêts et industries du bois ; hydrocarbures ; mines ; bâtiment et matériaux de construction ; tourisme et hôtellerie ; services financiers.

Inusantis acculpa rchilisquia quis et quas simecus © Muriel Devey Malu Malu pour JA

Inusantis acculpa rchilisquia quis et quas simecus © Muriel Devey Malu Malu pour JA

Résultats mitigés pour le PND

À trois mois de l’arrivée à échéance du PND 2012-2016, où en est-on ? L’exécution du plan en cours s’est parfois révélée compliquée. Malgré l’existence d’un comité de coordination interministériel, la concertation entre les différents ministères n’a pas toujours été la règle, de même que l’allocation des ressources financières publiques n’a pas toujours suivi les priorités définies par le PND.

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Enfin, l’attention portée aux moyens logistiques et financiers en amont et en aval des « grappes d’activités » n’a pas été assez soutenue. C’est le cas des services aux entreprises, surtout en matière de financement, qui restent insuffisants. En tout état de cause, les résultats de ce programme de développement diffèrent énormément d’une filière à l’autre, et certains se trouvent très éloignés des objectifs assignés par le plan.

Parmi les facteurs qui ont contribué à la diversification dans les cinq dernières années, le plus tangible est le développement des infrastructures, en particulier dans les transports : renforcement du réseau routier, modernisation du port de Pointe-Noire et, dans une moindre mesure, des ports fluviaux, notamment celui de Brazza. S’y ajoute le renforcement de la production d’électricité (portée à 600 MW) et de l’accès à internet.

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Ces réalisations ont permis de faire décoller certaines filières et d’améliorer les échanges dans le pays. La privatisation d’anciennes sociétés publiques, l’octroi de vastes concessions de terres à des opérateurs privés et le recours à l’investissement étranger ont également favorisé le développement des activités hors hydrocarbures.

Plantation de palmiers à huile. © Muriel Devey Malu Malu pour JA

Plantation de palmiers à huile. © Muriel Devey Malu Malu pour JA

Pour l’agriculture et l’agroalimentaire, le bilan est mitigé. Plusieurs filières ont commencé à décoller, mais l’aval, en particulier la transformation, n’a pas toujours suivi. On note cependant que, dans certains départements, la diversification est en marche. Laissée à l’abandon pendant des décennies, la filière cacao a ainsi été relancée sous la houlette de la Congolaise industrielle des bois (CIB, filiale du géant singapourien Olam depuis 2011), en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage. Dans la Sangha et la Cuvette, les cacaoyères se multiplient, la plupart détenues par des petits planteurs et des PME qui ont bénéficié de semences gratuites. Les résultats sont tangibles.

Même constat positif pour le maïs et le soja, dont les productions sont en nette augmentation grâce au développement de PME telles que la Ferme agropastorale Nzemba dans la Lékoumou, Tolona dans la Bouenza, Samlo et Congo-Agriculture dans le Niari. Concernant les oléagineux, la filière palmier à huile a été remise sur les rails par Eco-Oil Énergie, société à capitaux congolais qui a repris l’ex-Sangha Palm, dont la concession s’étend sur 44 000 ha au sud d’Ouesso. Cette entreprise a installé trois pépinières et lancé des opérations de plantation et de replantation dans la Sangha, la Cuvette et la Cuvette-Ouest.

Dans son sillage, de petits producteurs se sont lancés sur ce créneau, avec de bons rendements. Eco-Oil Énergie a également racheté Huilka (arachide), dans la Bouenza, et a par ailleurs investi dans l’hévéaculture, avec la création d’une pépinière à Makoua (Cuvette). Après avoir repris des plantations de la station fruitière de Loudima, dans la Bouenza, elle se lance désormais dans la relance des vergers de mangues et d’agrumes.

Reportage au Congo. Délégation Générale des Grands Travaux (DGGT).Technicien informatique de la ville de Brazzaville, 2012. © Antonin BORGEAUD/EDJ

Reportage au Congo. Délégation Générale des Grands Travaux (DGGT).Technicien informatique de la ville de Brazzaville, 2012. © Antonin BORGEAUD/EDJ

L’inconvénient des grands projets, basés sur le long terme, est qu’ils ne donnent pas de résultats significatifs rapides en matière de transformation (huileries, savonneries, production de jus de fruits, etc.). Les unités agro-industrielles, indispensables à la création de valeur ajoutée et d’emplois, sont pour le moment surtout le fait de PME-PMI. Pour preuve, l’augmentation de la production d’huile est à porter au crédit des petits et moyens producteurs. C’est le cas de la General Trading Company (GTC), installée dans le nord du département du Pool, qui produit de l’huile de palme pour le marché brazzavillois et compte investir dans une savonnerie.

La branche des matériaux de construction affiche en revanche un bilan positif.

En revanche, la production à grande échelle, notamment par Eco-Oil Énergie, d’huile de palme, d’arachide et de jus de fruits n’a pas encore démarré. Pas plus que celle d’aliments pour bétail (indispensable au développement de l’élevage), à l’exception du projet de Tolona, qui investit dans une unité de production de farine de maïs. Quant à la filière bois, si les entreprises actives dans la Sangha et la Likouala ont fait un gros effort de transformation, dans le Sud, où dominent les investisseurs asiatiques, les essences sont presque totalement exportées à l’état brut, en grumes.

La branche des matériaux de construction affiche en revanche un bilan positif. Depuis 2013, deux usines de fabrication de fer à béton sont entrées en activité (celles du chinois Japan Metal Industrie à Brazzaville et du mauricien Samlo à Dolisie). Mieux : le pays, qui n’avait depuis 2003 qu’une seule cimenterie, la Société nouvelle des ciments du Congo (Sonocc, à capitaux majoritairement chinois), en a vu s’installer quatre depuis 2013 : celles du chinois Forspak International, à Dolisie, de l’indien Diamond Cement, dans le Pool, du marocain Ciments de l’Afrique (Cimaf, filiale du groupe Addoha), dans le Kouilou, sans oublier la méga-cimenterie de Dangote Industries Congo. Largement de quoi satisfaire la consommation nationale (estimée à 600 000 tonnes) et exporter dans la sous-région.

Le climat est nettement plus morose dans le secteur minier, où la chute des prix mondiaux du fer a gelé le démarrage de quatre grands projets. Les seules filières qui tirent leur épingle du jeu sont celles des phosphates et de la potasse, où trois miniers ont obtenu des permis d’exploitation : MagIndustries Corp., contrôlé par le chinois Evergreen Industries, Sintoukola Potash, filiale de l’australien Elemental Minerals, et le chinois Luyuan des Mines Congo. Malgré une conjoncture difficile, la Société de recherche et d’exploitation minière (Soremi) s’apprête à sortir les premières cathodes de cuivre de son site de Mfouati, dans la Bouenza. Quant au secteur du pétrole et des hydrocarbures, il se diversifie peu. Certes, le gaz n’est plus torché et alimente désormais une centrale électrique à Pointe-Noire, mais le projet de nouvelle raffinerie piétine.

Et si l’informatique, le bois, les services et les loisirs, entre autres, prenaient le relais du pétrole	? © Baudouin Mouanda pour JA

Et si l’informatique, le bois, les services et les loisirs, entre autres, prenaient le relais du pétrole ? © Baudouin Mouanda pour JA

Dans le tertiaire, les résultats sont également inégaux selon les filières. Le parc hôtelier s’est renforcé, grâce au programme de municipalisation accélérée et aux Jeux africains de septembre 2015. Mais en dehors des grands événements, le taux de remplissage reste faible. D’où la nécessité pour le ministère du Tourisme et des Loisirs de trouver de nouveaux marchés, de faire connaître la destination et de donner envie de la découvrir. L’installation d’un bureau d’information touristique à l’aéroport de Maya-Maya, à Brazzaville, et la création de deux portails internet devraient y contribuer. Par ailleurs, plusieurs projets de développement touristique sont à l’étude, notamment autour du site historique de Loango, ancien port d’embarquement des esclaves et actuel siège du royaume de Loango.

Un réseau bancaire encore insatisfaisant 

Les services financiers apparaissent comme le parent pauvre de la diversification : le réseau bancaire s’est renforcé à l’intérieur du pays et la microfinance s’est développée, mais décrocher un crédit reste une gageure, sachant que les taux d’intérêt sont élevés et que les prêts sont accordés à court terme. Les fonds d’investissement sont par ailleurs quasi inexistants et, bien qu’une loi portant création du Fonds congolais d’investissement ait été votée en janvier 2014, ce dernier n’est toujours pas opérationnel.

À quelques mois du lancement du PND 2017-2021, qui devrait être finalisé d’ici à la fin de l’année, la diversification et la transformation structurelle de l’économie n’en sont qu’à leurs débuts. Le nouveau plan devra tirer les leçons du passé et se concentrer en priorité sur le développement des services financiers et de la « grappe » agriculture et agroalimentaire. Il devra également prêter plus d’attention aux petits et moyens producteurs ainsi qu’aux PME-PMI, qui, dès que leurs activités se développent, ont un impact immédiat sur la croissance et les revenus.

Baisse des ressources financières oblige, l’État devra aussi revoir sa copie en matière d’infrastructures pour le prochain plan. Évidemment, il lui faudra poursuivre le renforcement du réseau routier et l’amélioration de l’accès à l’électricité, à l’eau et à internet. Il sera également nécessaire de construire des entrepôts, des silos, des chambres froides pour stocker les produits agricoles et halieutiques. Autant dire que les projets budgétivores et sans impact direct sur l’économie réelle, particulièrement à l’échelle locale, n’auront pas la cote auprès des populations.

Petit exploitant deviendra grand

Avec plus de 300 milliards de F CFA (457 millions d’euros) engloutis chaque année dans l’importation de denrées, le Congo est l’un des pays africains qui dépendent le plus de l’extérieur pour nourrir leur population. Que faire pour assurer la sécurité alimentaire du pays et rééquilibrer sa balance commerciale ? Les grandes sociétés agricoles qui investissent actuellement agissent sur le long terme, sans impact immédiat sur les volumes produits. D’où la nécessité de miser sur les petits et moyens exploitants, dont l’activité a un effet plus rapide sur la production. À condition que ces derniers s’organisent en coopératives ou en groupements d’intérêt économique (GIE) et que des mécanismes financiers appropriés leur soient proposés. « Pourquoi ne pas émettre des bons d’achat pour régler les factures des fournisseurs, au lieu de subventionner directement les producteurs ? » suggère un opérateur.

D’autres mécanismes financiers sont à l’étude : le Fonds de soutien à l’agriculture pourrait ouvrir une ligne de crédit dans des banques commerciales afin de financer les petits producteurs, avec des taux d’intérêt bonifiés. L’État envisage par ailleurs d’implanter des agences (gérées par des opérateurs privés) en milieu rural, afin d’aider les promoteurs de projets à préparer leurs dossiers de demande de prêt. Enfin, quelques bons outils peuvent contribuer à doper la croissance de l’ensemble des filières agricoles, en amont comme en aval : la mécanisation, la recherche agronomique (lire p. 82) ou encore les études de marché (pour mieux orienter l’essor de certaines filières). Reste aussi à trouver des solutions pour faciliter la mise en relation entre l’offre et la demande, c’est‑à-dire entre producteurs, commerçants et industriels.

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