Trump, Clinton et les Arabes : paradoxes et théâtre d’ombres
Du chaos irakien, né de l’aventurisme de George W. Bush, au pourrissement syrien, aggravé par la pusillanimité de Barack Obama, le Moyen-Orient a payé le plus lourd tribut aux expériences extrêmes des États-Unis ces quinze dernières années en matière de politique étrangère.
Trump, 45e président des États-Unis
Donald Trump a remporté mercredi 9 novembre l’élection présidentielle américaine, coiffant au poteau sa concurrente démocrate Hillary Clinton et succédant ainsi à Barack Obama à la Maison Blanche.
Survolés par les bombardiers de l’Oncle Sam de Doha à Mossoul, ses peuples seront les premiers concernés par les orientations diplomatiques du prochain locataire de la Maison Blanche : l’Amérique poursuivra-t‑elle le désengagement régional amorcé par Obama ou, au contraire, renouera-t‑elle avec un interventionnisme musclé pour tenter de mettre fin aux désordres locaux et aux menaces transnationales qu’ils génèrent ?
Paradoxalement, les deux intentions sont redoutées de chaque candidat, dont les déclarations éparses et circonstanciées permettent difficilement de se faire une idée précise du projet américain dans la zone.
Une possible reprise de l’interventionnisme avec Clinton
Démocrate, aux commandes de la diplomatie américaine de 2009 à 2013 pour Obama, Hillary Clinton devrait logiquement poursuivre la politique, prudente pour certains, passive pour d’autres, du président sortant. Mais l’ex-première dame passe difficilement pour une colombe : n’a-t‑elle pas approuvé les interventions en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003 puis en Libye en 2011 ?
Pour Karim Bitar, spécialiste du Moyen-Orient et des États-Unis et professeur à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, « on estime dans la région qu’elle est en grande partie responsable des conséquences dramatiques des interventions en Irak et en Libye, et beaucoup la regardent avec méfiance, car elle pourrait renouer avec une politique plus interventionniste et moins prudente que celle d’Obama ».
L’annonce par le néoconservateur Paul Wolfowitz, ancien conseiller de George W. Bush et maître d’œuvre de l’invasion de l’Irak, qu’il votera pour la démocrate semble confirmer ces craintes, tout comme la « révision totale » qu’elle a annoncée pour le traitement du dossier syrien, plaidant pour une coopération accrue avec l’Arabie saoudite, pour l’armement des rebelles et l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne qui rendrait inévitable une confrontation directe avec les forces de Bachar al-Assad et peut-être – plus inquiétant – de son allié russe.
« Mais Hillary Clinton est au fond quelqu’un d’assez intelligent pour ne pas commettre à nouveau les erreurs du passé, poursuit Bitar. Son grand défi, si elle est élue, sera de trouver le juste équilibre entre l’usage brut du hard power, dont on voit les dégâts en Irak et en Libye, et le minimalisme d’Obama, qui n’a pas pu prévenir la descente aux enfers et l’effondrement des structures étatiques de la Syrie. »
Sur les deux autres questions épineuses, les négociations israélo-palestiniennes et les relations avec l’Iran, si le discours musclé de l’ancienne secrétaire d’État semble vouloir rectifier la politique de son président, elle n’en a pas remis en question le fond. Prête, lorsqu’elle était secrétaire d’État, à appuyer une guerre de Tel-Aviv contre Téhéran, elle ne remet pas en question le traité sur le nucléaire négocié par son successeur, John Kerry, mais promet de veiller à son application « au pied de la lettre ».
Assurant au lobby sioniste Aipac, en mars, qu’« une des premières choses [qu’elle fera] une fois élue sera d’inviter à la Maison Blanche le Premier ministre israélien », Benyamin Netanyahou, qui s’était gagné le souverain mépris d’Obama, elle n’envisage pas d’engager les États-Unis davantage que ne l’a fait Kerry pour faire progresser le processus de paix.
Discours ambivalent pour le candidat républicain
Sur ce dernier point, le candidat républicain a pu faire naître des espoirs parmi les défenseurs de la cause palestinienne, promettant, en cas de victoire, d’observer sur le conflit une « position neutre », inédite de la part des États-Unis. Mais le tribun populiste se montre par ailleurs sensible aux thèses les plus sionistes et n’hésite pas à qualifier Netanyahou de « winner ».
Son conseiller David Friedman définit d’ailleurs la vision républicaine comme la « plateforme la plus pro-israélienne que les deux pays aient jamais connue ». Une ambiguïté, voire des contradictions qui font écho à celles de nombre de ses prises de position, notamment sur le Moyen-Orient, amenant les observateurs à qualifier unanimement ce néophyte en politique d’imprévisible.
Ne déclarait-il pas en mars que sa « priorité numéro un est de démanteler l’accord catastrophique avec l’Iran », avant de modérer son propos en août : « Il sera très difficile de déchirer cet accord » ? Et, après avoir clairement soutenu à l’époque les interventions en Irak et en Libye, l’homme d’affaires nie aujourd’hui l’avoir fait et regrette la stabilité de ces deux pays sous Saddam et Kadhafi. « Il se passera la même chose » en Syrie, a-t‑il déclaré, en cas de chute d’Assad, embrassant une position opposée à celle de son adversaire.
« Il y a un camp dans la région, que je qualifierais de nationaliste autoritaire, qui soutient Assad, Sissi et Poutine et qui, très hostile à Clinton, se dit que Trump pourrait être l’élément qui changera la donne, commente Bitar. Mais cet isolationniste proclamé clame aussi vouloir saisir tout le pétrole d’Irak en “butin de guerre” et en guise de “remboursement”.
Il y a là un côté expédition coloniale et politique de la canonnière qui rend très paradoxal l’espoir secret caressé par ceux qui se réclament de “la résistance” au Levant de voir Trump élu. » D’autres – jihadistes sunnites et ultraconservateurs iraniens –, dans l’ombre, prient le ciel pour que l’impétueux nabab l’emporte afin que se réalise enfin la prophétie apocalyptique de la guerre des civilisations.
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