Le timide retour des entreprises au port de Brazzaville

Depuis bientôt deux ans, la filiale du français Necotrans redonne du souffle au fluvial. Même si les docks de la capitale sont loin d’avoir retrouvé leur lustre d’antan.

De nouvelles grues mobiles permettent d’augmenter les cadences. © Julien Clémençot pour JA

De nouvelles grues mobiles permettent d’augmenter les cadences. © Julien Clémençot pour JA

Julien_Clemencot

Publié le 6 octobre 2016 Lecture : 5 minutes.

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Le long des quais de Brazzaville, quatre barges de grumes sont en cours de déchargement. Wengé, azobé, ayous… Les essences de la forêt tropicale descendent le long du fleuve Congo depuis les concessions du nord du pays jusqu’à la capitale, en fonction de la demande mondiale.

Avec agilité, deux dockers se faufilent entre les billes de bois pour les arrimer une à une à la grue qui les déposera à terre. La chorégraphie est répétée des dizaines de fois, toujours avec la même minutie. Une seconde d’inattention et l’un des troncs, dont le poids peut dépasser 20 tonnes, pourrait les écraser ou tomber dans le fleuve.

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« Quand cela arrive, les gars sautent à l’eau pour repasser la chaîne autour de la grume avant qu’elle ne coule à pic », explique le chef d’exploitation des Terminaux du bassin du Congo (TBC), filiale du groupe Necotrans. Dans deux jours, les 1 600 m3 de grumes auront été chargés sur les wagons du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) stationnés sur le quai, destination Pointe-Noire.

Efficacité

Près de deux ans après avoir décroché la concession du port fluvial de Brazzaville pour une durée de quinze ans au nez et à la barbe de son compatriote et concurrent Bolloré, le français Necotrans récolte les premiers fruits du travail de ses équipes. Le port de la capitale a été débarrassé de son marché informel, les vols de marchandises ont cessé, et, depuis l’acquisition de deux grues mobiles de 40 t et de 160 t, les cadences ont sensiblement augmenté.

« La mise en concession nous booste, elle nous permet de travailler plus efficacement », estime Pierre Bossoto, directeur général du Port autonome de Brazzaville et ports secondaires (PABPS).

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Sur les 15 millions d’euros d’investissement promis, TBC en a déjà débloqué 8, principalement utilisés pour acquérir des engins de levage performants. En parallèle, l’État assure sa part en sous-traitant à la société chinoise Sinohydro la réhabilitation des quais et des rails.

Ce chantier de 17 milliards de F CFA (près de 26 millions d’euros), réalisé aux trois quarts, devrait être terminé au premier semestre de 2017.

Chaque semaine, des milliers de grumes sont acheminées depuis le Nord. © Julien Clémençot pour JA

Chaque semaine, des milliers de grumes sont acheminées depuis le Nord. © Julien Clémençot pour JA

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Le corridor regagnant déjà en compétitivité, certains forestiers choisissent de transiter de nouveau par la capitale congolaise. « Après une longue absence, le groupe singapourien Olam [propriétaire de la Compagnie industrielle des bois, CIB] est de retour à Brazzaville », précise Antoine Bonnard, patron de la Congolaise d’affrètement fluvial (CAF).

Seul armateur privé du Congo, la société collabore aussi régulièrement avec le groupe forestier autrichien Danzer.

Une concurrence de taille

Mais le port est loin d’avoir retrouvé toute son attractivité. Pour les professionnels de la filière bois, c’est la concurrence du corridor routier Bangui-Douala, entièrement goudronné au début des années 1990, qui a joué en sa défaveur. La guerre civile de 1997 n’a ensuite rien arrangé.

Alors qu’auparavant douze forestiers passaient par Brazzaville pour évacuer leurs grumes, ils ne sont plus que huit aujourd’hui. Plus que les temps de transport, c’est surtout le manque d’implication des pouvoirs publics dans la valorisation du port qui a découragé les industriels.

Depuis les années 1950, très peu d’investissements ont été réalisés pour le moderniser : vétustes, ses grues de 30 t ne peuvent plus soulever que 12 t au maximum, et celles de 6 t, pas plus de 3 t. En 2017, en complément du matériel acheté par Necotrans, l’Union européenne devrait apporter des financements afin de moderniser les équipements.

La gestion du chemin de fer a également été très préjudiciable au « hub » de Brazzaville. « De 120 wagons mis à disposition par le CFCO pour acheminer les grumes à Pointe-Noire chaque semaine, nous étions tombés à trois », rappelle Antoine Bonnard avec amertume.

Pendant des années, ce sont des milliers de wagons grumiers qui ont ainsi été évincés des convois – à coups de bakchichs – pour privilégier le transport d’automobiles ou de ciment, plus rentable. Mais la situation est en train de changer.

Depuis la nomination au portefeuille des Transports, en avril, de Gilbert Mokoki (qui était ministre chargé des Voies navigables et de l’Économie fluviale dans le précédent gouvernement), 22 wagons grumiers sont garantis chaque semaine pour rallier les installations portuaires de la capitale économique.

En attendant que les forestiers soient plus nombreux à redécouvrir l’intérêt de passer par Brazzaville, Alexandre Fouret, directeur général de TBC depuis le début de l’année, cherche à développer d’autres volets de son activité, à commencer par la gestion de conteneurs.

« Actuellement, nous ­stockons sous douane environ 250 boîtes équivalent vingt pieds [EVP], mais dès que les travaux seront terminés nous pourrons en accueillir 1 000. L’idée est de servir de plateforme logistique », annonce le Français, qui vient de signer un accord avec le CFCO et les douanes pour fluidifier les démarches administratives des armateurs.

« À partir de janvier, les marchandises pourront être acheminées directement d’un port comme Le Havre [France] jusqu’à Brazzaville. Cet accord permettra de baisser le tarif d’au moins 10 % et de réduire le temps de transit d’une dizaine de jours. C’est très important pour nos clients, car en Afrique le coût logistique représente entre 30 % et 40 % du prix de revient des marchandises », détaille Alexandre Fouret.

Ce partenariat est aussi décisif pour le CFCO. La compagnie ferroviaire doit gagner en compétitivité si elle veut concurrencer la nouvelle route goudronnée entre la capitale économique et la capitale politique du pays (RN1), achevée début 2016.

Une émulation positive pour le corridor Pointe-Noire - Brazzaville, qui, jusqu’à présent, se faisait damer le pion par l’axe Matadi-Kinshasa, en RD Congo. Environ 80 000 t de fret, soit les deux tiers de l’activité du PABPS (hors grumes), transitent en effet par le fleuve Congo entre les deux pays, dont la plus grande partie, désormais, de Brazzaville vers Kinshasa, qui sont distantes d’à peine 4 km. Un trafic qui devrait continuer de grossir si la situation politique ne dégénère pas en RD Congo.

La logistique fluviale a un côté artisanal. On ne travaille pas avec des géants comme CMA CGM ou Maersk, qui sont presque à la minute près

C’est au niveau des magasins de marchandises, dont la réhabilitation est prévue une fois que les travaux de Sinohydro seront achevés, que les dockers chargent le sucre, la farine, l’huile, mais aussi les vêtements et les matériaux de construction à destination de l’autre rive.

« La logistique fluviale a un côté artisanal. On ne travaille pas avec des géants comme CMA CGM ou Maersk, qui sont presque à la minute près », reconnaît Alexandre Fouret. Les délais de chargement sont d’autant plus aléatoires que la plupart des transitaires n’utilisent généralement pas de palettes pour ranger leurs produits, pour charger les barges au maximum.

Or, quand elles sont remplies de petits cartons, il faut jusqu’à 50 dockers pour les vider. « On fait de la sensibilisation, mais c’est long. Et puis en face, à Kinshasa, ils oublient de nous rendre les palettes », déplore par ailleurs le patron de TBC.

Mais ce qui gêne encore plus le port de Brazzaville, c’est la contrebande entre les deux capitales. À quelques kilomètres au nord, le port de pêche de Yoro sert de point de départ aux baleinières. Ces jonques d’une douzaine de mètres peuvent charger jusqu’à 100 t de marchandises avant de lever l’ancre, une fois la nuit venue. Pas sûr que Necotrans puisse rapidement éliminer cette concurrence illégale, qui représenterait plus de 40 000 t par an. Mais Alexandre Fouret, sur ce dossier comme sur d’autres, reste optimiste. Il est convaincu que le temps joue en sa faveur.

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