Eau : en Afrique, l’ONEE se résout au service minimum

Alors que le contrat d’affermage de sa filiale au Cameroun touche à sa fin, le groupe marocain ne reproduira pas l’expérience ailleurs. Ses finances ne lui permettent pas de proposer mieux qu’une assistance technique.

Le coût de l’augmentation des capacités de production et de l’extension du réseau camerounais (ici à Yaoundé) est estimé à 400 milliards de F CFA. © Jean Pierre Kepseu pour JA

Le coût de l’augmentation des capacités de production et de l’extension du réseau camerounais (ici à Yaoundé) est estimé à 400 milliards de F CFA. © Jean Pierre Kepseu pour JA

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Publié le 7 octobre 2016 Lecture : 4 minutes.

Pour le Marocain Brahim Ramdane, directeur général de la Camerounaise des eaux (CDE), la partie est loin d’être jouée. Pourtant, de nombreux journaux locaux, sûrs de leur fait, annoncent sentencieusement « le départ des Marocains » du secteur de la distribution de l’eau au Cameroun.

Des informations fondées sur le contenu d’une correspondance de Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence, transmettant au Premier ministre, Philémon Yang, « les hautes instructions » du chef de l’État, Paul Biya : ne pas renouveler le partenariat avec la CDE, filiale d’un consortium marocain formé par l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), Delta Holding et la Caisse de dépôt et de gestion (chacun détenant un tiers du capital).

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Cette lettre a été suivie d’une autre du même acabit, le 3 août, cette fois-ci signée du ministre de l’Eau et de l’Énergie, Basile Atangana Kouna, et adressée à Brahim Ramdane. D’ores et déjà, le palais d’Etoudi a demandé au ministère d’explorer divers scénarios sur la future configuration du secteur après février 2018.

S’il est difficile de connaître les motivations de Paul Biya, nombre d’acteurs proches du dossier font valoir une note que lui a adressée, l’année dernière et à l’insu de Basile Atangana Kouna, l’ancien patron de Cameroon Water Utilities Coporation (Camwater). Jean William Sollo, débarqué en février, préconisait alors un retour de la distribution de l’eau potable, redevenue rentable, dans le giron de l’opérateur public, propriétaire du réseau.

« Nous irons jusqu’au bout de ce que prévoit le cahier des charges. »

À la CDE, on ne semble pas prendre au tragique le choix de Yaoundé. « L’extension de l’affermage pour une période de cinq ans était une option prévue dans le contrat, et nous l’avons demandée. Nous respectons la décision des autorités », glisse Brahim Ramdane, qui met en avant ses résultats.

Plus de 160 000 nouveaux branchements ont pu être effectués entre 2008 et 2015 – certes en deçà de l’objectif initial de 350 000 –, portant le parc d’abonnés à 390 000 et le taux de desserte à 60 %. En progression de 17 %, le chiffre d’affaires de la CDE est passé de 18 milliards à 21 milliards de F CFA (de 27 millions à 32 millions d’euros) entre 2008 et 2014.

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Le directeur général tient à rassurer pour les deux prochaines années : « Nous irons jusqu’au bout de ce que prévoit le cahier des charges. » Pour le moment, la CDE a déjà investi 14 milliards de F CFA, notamment pour réduire les pertes sur le réseau, dont le taux est passé de 42 % à 26 %. « Dans l’ensemble, nous sommes en phase avec nos engagements », se félicite Brahim Ramdane.

La société, qui est censée investir 24 milliards de F CFA pendant la durée de l’affermage, est toutefois victime du retard pris dans les travaux d’augmentation des capacités de production d’une part, d’extension du réseau de distribution d’autre part. Le coût de ces chantiers est estimé à 400 milliards de F CFA sur la même période, un fardeau en grande partie supporté par Camwater.

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Halte dans l’expansion africaine

Pour le moment, l’ONEE ne compte pas explorer de nouvelles opportunités sur le continent pour dupliquer l’expérience de la CDE. Ses difficultés de trésorerie au Maroc, son principal marché, l’en dissuadent. La dette héritée de l’Office national de l’électricité (ONE), lors de sa fusion en 2012 avec l’Office national de l’eau potable (Onep), continue de peser sur ses comptes. Et la croissance de l’endettement, de l’ordre de 56 milliards de dirhams (environ 5,1 milliards d’euros), a lourdement affecté le résultat 2015, qui s’est soldé par un déficit de 4,3 milliards de dirhams.

Tout en bénéficiant de l’accompagnement de l’État marocain à travers un contrat-programme, l’opérateur essaie de sortir la tête de l’eau en convertissant ses créances commerciales. Le 15 septembre, il levait 2 milliards de dirhams au terme d’une nouvelle opération de titrisation visant à combler ses besoins en liquidités. Il a ainsi pu, ces trois dernières années, mobiliser 5,2 milliards de dirhams par le même mécanisme.

Mais dans un secteur hautement capitalistique comme celui de l’eau, sa situation financière ne peut que l’empêcher de s’engager sur d’autres fronts. « Contrairement au secteur de l’électricité, il est extrêmement difficile de rentabiliser les investissements consentis, explique Brahim Ramdane.

Des partenariats financés par des bailleurs de fonds bilatéraux

C’est la raison pour laquelle, dans la plupart des pays, l’État est généralement obligé de supporter la majeure partie du fardeau. » C’est aussi pour cela que l’ONEE se contente d’un service minimum en Afrique en apportant une assistance technique (transfert d’expertise, contrôle de la qualité, assainissement, maintenance des installations) aux producteurs et distributeurs locaux au Burkina Faso, au Bénin, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée, au Mali et en Mauritanie.

Des partenariats du reste financés par des bailleurs de fonds bilatéraux, comme le Japon ou la France, ou multilatéraux, comme la BAD ou la Banque islamique de développement. Au terme de son contrat, l’activité de l’ONEE au Cameroun pourrait se réduire à ce type de prestations.

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