Rémy Rioux, directeur général de l’AFD : « Nos priorités, ce sont celles de nos partenaires »
De retour d’Afrique, le patron de l’AFD veut accroître les engagements de l’institution sur le continent grâce au doublement de ses ressources. Mais prévient les États : tout ne peut être financé par la dette publique !
Nommé le 2 juin directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux vient de visiter plusieurs pays africains. Il y a pris la mesure d’une conjoncture dégradée et a expliqué aux chefs d’État et aux gouvernements la réforme de l’aide française décidée par le président François Hollande pour concrétiser les engagements pris à Paris dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP21), en décembre 2015.
Que vous ont appris vos rencontres au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Tchad et en Tunisie ?
Qu’il n’y a pas de division entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Les migrants qui veulent gagner l’Europe, le Maroc qui investit au Sud… Cela prouve que le Sahara n’est pas une frontière. À La Réunion, on m’a parlé des relations de ce département français avec l’Afrique du Sud, Madagascar ou le Mozambique. Je veux que l’AFD soit la première institution non africaine à considérer l’Afrique comme un tout.
Comment jugez-vous le ralentissement de la croissance africaine ?
Il y a eu une embellie de dix ans qui nous avait tous incités à nous consacrer à la microéconomie. Mais aujourd’hui, beaucoup de dirigeants se disent démunis pour faire des anticipations dans une conjoncture moins favorable. Nous allons donc refaire de la macroéconomie pour compléter les analyses du FMI et de la Banque mondiale.
Et la hausse des dettes publiques ?
Certains pays combinent un cycle d’endettement soutenu avec une chute de leurs recettes liées aux matières premières. C’est un point d’attention pour nous. Les prêts sont essentiels, mais il faut qu’ils demeurent supportables. Beaucoup de pays ont pris conscience que leur développement ne pouvait plus se faire exclusivement par l’endettement souverain.
Nous avons une expérience et nous pouvons la partager avec l’Afrique pour trouver les moyens de financer sainement son développement.
Comment passer à un endettement non souverain, c’est‑à-dire un financement par l’investissement privé, les entreprises ou les concessions de service public ?
La France ne s’est pas développée seulement avec l’argent de l’État. Son logement social, financé par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), a été construit grâce à l’épargne privée. Nous avons une expérience – y compris forgée par nos erreurs – et nous pouvons la partager avec l’Afrique pour trouver avec pragmatisme les moyens de financer sainement son développement. Nous avons proposé au gouvernement de créer une facilité de crédit destinée à deux pays en difficulté, le Mali et la Centrafrique. Le plan Juncker pour l’investissement extérieur nous fournira bientôt de nouveaux instruments de garantie pour mobiliser 44 milliards d’euros, en priorité pour les PME africaines.
Où en sont les réformes de l’AFD ?
D’ici à la fin de 2016, nos fonds propres de base seront doublés, de 3 milliards à presque 6 milliards d’euros. Nous aurons les reins plus solides pour emprunter sur le marché et pourrons prêter davantage dans les pays où nous sommes contraints. Le président de la République nous a demandé de porter nos engagements de 8 milliards à 12 milliards d’euros par an d’ici à 2020, les dons passant de 200 millions à 600 millions d’euros.
Comment se fait le rapprochement avec la CDC ?
Nous souhaitons aligner les stratégies des deux maisons autour des quatre grandes « transitions » que connaît aujourd’hui le monde : démographique et sociale, énergétique, territoriale, numérique, sans oublier les transitions politiques et citoyennes auxquelles l’AFD contribue désormais en finançant des programmes de gouvernance. Ce partenariat avec la CDC change notre dimension. Notre alliance sera conclue le 6 décembre, à l’occasion du 75e anniversaire de l’AFD.
Je pense que l’énergie renouvelable va connaître la même explosion que le téléphone mobile, que personne n’avait prévue sur le continent.
Vous incitez les pays à délaisser le charbon. N’est-ce pas aller un peu vite en besogne, compte tenu du surcoût des énergies renouvelables ?
On n’arrêtera pas l’usage du charbon immédiatement, mais les pays africains ont pris des engagements à la COP21 et cherchent à bâtir le bon mix énergétique pour les respecter. Je pense que l’énergie renouvelable va connaître la même explosion que le téléphone mobile, que personne n’avait prévue sur le continent. Des investisseurs français ont financé le solaire au Sénégal. Nous pouvons aller plus loin. L’AFD a élaboré de nombreux projets pour concrétiser la promesse de la France de consacrer 2 milliards d’euros à la lutte contre le réchauffement climatique d’ici à 2020.
Quelles sont vos priorités ?
Celles que nous indiqueront nos partenaires africains. En matière d’éducation, nous répondrons présent aussi bien en Tunisie, qui souhaite développer sa formation professionnelle et son enseignement supérieur, qu’au Mali, qui a besoin de renforcer son enseignement de base. Nous sommes en train de recruter 200 spécialistes, ingénieurs et financiers, afin de disposer des compétences adéquates pour répondre à un maximum de demandes et être plus agiles et innovants.
Quelle place faites-vous aux ONG ?
En quatre ans, nous avons doublé les sommes mises à leur disposition. Celles-ci atteignent 72 millions d’euros cette année. Je souhaite aller plus loin dans notre nouvelle stratégie à horizon 2020. Prenez le projet en cours d’élaboration pour soutenir l’activité économique autour du lac Tchad : avec le concours financier de la Commission européenne, nous en confierons la réalisation aux ONG locales et internationales pour 35 millions d’euros.
Que préparez-vous pour la COP22 au Maroc, du 7 au 18 novembre ?
Marrakech sera une COP africaine et la COP de mise en œuvre des accords de Paris. Après le succès de décembre 2015, la balle est dans le camp des banques de développement et, plus largement, du système financier. Il faut transformer les politiques climatiques des gouvernements en investissements bas carbone. L’AFD, dont 50 % de l’activité contribue déjà à lutter contre le dérèglement climatique, y prendra toute sa part. En augmentant nos lignes de crédit Sunref [le label « finance verte » de l’AFD] pour financer les investissements de proximité via les réseaux bancaires africains. En mobilisant 2 milliards d’euros pour contribuer à installer 10 gigawatts supplémentaires d’énergies renouvelables – nous proposons par exemple de cofinancer le barrage de Nachtigal, au Cameroun. Et en intervenant sur la mobilité urbaine comme sur l’efficacité énergétique des bâtiments.
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