Législatives au Maroc : à Rabat, opération séduction
La campagne bat son plein dans la capitale où sept sièges de député sont en jeu. Ambiance.
Élections législatives au Maroc : la lutte est féroce
Le 7 octobre, les Marocains éliront le parti qui dirigera le prochain gouvernement pour une durée de cinq ans. Entre les deux favoris, les islamistes du PJD et les libéraux du PAM, la lutte est féroce.
Dès l’entrée dans Rabat, en face de la gare routière, un espace d’affichage mural réservé aux partis politiques donne la température de cette campagne électorale. Les emplacements sont encore vides, quatre jours après le coup d’envoi de la course aux sièges de député à laquelle se livrent 27 partis politiques à travers le royaume.
Seule la lanterne taguée sur la 17e case indique le démarrage en force du Parti de la justice et du développement (PJD). « Dans quelques jours, nous y collerons nos affiches, qui sont en cours d’impression », nous indique Slimane El Amrani, tête de liste du parti islamiste dans la circonscription Rabat-Chellah.
Pour son QG de campagne, le candidat a opté pour l’antenne PJD de Hay Takadoum. Sur place, une cinquantaine de militants se préparent pour une tournée dans le quartier. Après la distribution de gilets et de casquettes, le cortège se met en marche derrière un véhicule utilitaire habillé pour l’occasion avec les photos des trois candidats de la liste qui ouvrent le cortège, bras dessus bras dessous.
« Ta voix est un gage, ne l’accorde pas à n’importe qui », « la voix de la raison m’a appelé et j’ai répondu : justice et développement, c’est ce que je choisis »… Les slogans bien rodés donnent le tempo pendant que les militants sillonnent le quartier en distribuant le journal du parti.
Perte de confiance
Hamid, devant son salon de coiffure, prend son exemplaire de la publication du PJD, y jette un coup d’œil avant de lancer à son collègue : « Que du bla-bla, ils ne vont rien pouvoir faire. » Pourtant, ce natif du quartier compte voter pour la quatrième fois en faveur des islamistes. « C’est faute de mieux. Ils sont au moins plus intègres que les autres. »
Conquérir les 2/3 des sièges
Depuis 2002, le PJD a toujours réussi à s’assurer un siège dans cette circonscription. Pour le décrocher, il a misé sur des stars du parti : après le défunt Abdellah Baha, ancien ministre d’État, le parti a choisi cette fois-ci le secrétaire général adjoint, Slimane Amrani, épaulé par Abderrahim Laqraa (2e de la liste), consacré président de l’arrondissement d’El Youssoufia aux dernières communales.
Car pour ces législatives le PJD place la barre encore plus haut : « Cette fois-ci, nous allons gagner deux sièges sur les trois en jeu », nous lance El Amrani.
Cet ancien enseignant de mathématiques de 56 ans sait que pour réaliser un tel exploit il va falloir surclasser de très loin la vingtaine de listes en compétition dans cette circonscription, et surtout celle du principal challenger du PJD : le Parti Authenticité et Modernité (PAM).
La formation politique dirigée par Ilyas El Omari a elle aussi choisi une « valeur sûre » à Rabat-Chellah : le député sortant Ibrahim El Joumani, un des plus grands notables sahraouis, qui a d’ailleurs présidé le même arrondissement d’El Youssoufia sous les couleurs du Mouvement populaire entre 2009 et 2011. Sauf que lui n’a même pas encore démarré sa campagne : « Il en est encore à des réunions de coordination », explique un membre de son staff. Son collègue pamiste tête de liste dans la deuxième circonscription de Rabat, en revanche, a bien voulu ouvrir les portes de son QG de campagne.
Direction quartier Al Manal, à l’autre bout de la capitale. Une banderole du parti du tracteur et un rassemblement qui débordent jusque dans la rue indiquent que nous sommes bien dans le repaire d’Abdellatif El Aouni. Il se présente aux législatives pour la première fois, mais il a derrière lui une vingtaine d’années d’expérience dans les élections locales. « Je suis conseiller municipal depuis 1997 », explique ce fonctionnaire de 54 ans, lui aussi un transfuge du Mouvement populaire. « Que le PAM m’ait choisi pour mener sa liste est une sorte de récompense pour avoir rejoint ses rangs, admet Abdellatif El Aouni. Mais c’est aussi parce qu’il croit en mes chances de gagner. » Et il faut l’admettre, le candidat jouit d’une grande popularité.
Carburant, sandwichs, cafés…
Plus de 200 personnes sont entassées dans un entrepôt, où le chauffeur de salle, avec son mégaphone, harangue la foule qui lui répond par des slogans personnalisés : « El Aouni, en haut, en haut… le bulletin est dans le carton », « El Aouni est un homme bien ! » Tout ce beau monde espère être recruté pour cette campagne. Quand le staff commence à établir les listes par quartier, c’est la ruée vers les inscriptions.
« Non, nous n’allons pas leur donner d’argent. Mais on leur paie le carburant ou le taxi quand ils se déplacent, les sandwichs, les cafés, etc. Bref, tout se fait dans le strict respect de la loi », nous lance une des assistantes d’El Aouni, qui gère, comme elle peut, le flux des cartes d’identité qu’on lui présente.
Dans cette circonscription de Rabat-Océan, où quatre sièges sont en jeu, le candidat du PAM doit affronter un autre gros calibre du PJD : Mohamed Sadiki, maire de la capitale. Une manière pour le parti islamiste de renouveler sa confiance au président du Conseil de la ville décrié par son opposition. Dans son QG de campagne, installé dans une villa du quartier Agdal, Sadiki est plus serein que jamais et espère taper un grand coup.
« Lors des dernières législatives, nous avons obtenu deux sièges. L’objectif cette fois est d’en gagner trois », nous lance l’homme qui livre, lui aussi, sa première bataille législative. Avec son équipe, il est de sortie en cette fin d’après-midi pour une séance de tractage. Une quarantaine de militants du parti et de sympathisants l’accompagnent : ils sont pharmaciens, fonctionnaires, ingénieurs et même retraités. Dans le lot, beaucoup de filles voilées.
« Il ne faut pas croire que dans notre parti il n’y a que des voilés ou des barbus. Ce qui nous réunit, ce n’est pas notre look, mais notre référentiel et notre volonté de changer les choses », nous assène Imane, cadre supérieure dans une entreprise publique, qui milite depuis deux ans au sein du parti islamiste.
Le choix de l’itinéraire du jour n’est pas fortuit : « Nous ratissons toute la circonscription, mais nous nous concentrons aujourd’hui sur le haut Agdal. C’est le secteur où nous avons le plus de concurrence, surtout de la part de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) », nous confie Sadiki.
Effectivement, dans ce choc des titans entre le PAM et le PJD qui se joue dans cette circonscription, l’outsider le plus « redoutable » n’est autre que la tête de liste de la coalition des partis de l’extrême gauche. Omar Balafrej, directeur d’une entreprise publique, avait déjà créé la surprise lors des dernières communales en raflant avec sa liste neuf sièges dans la circonscription d’Agdal. Lui aussi est ce soir-là sur le terrain avec son équipe au quartier Océan. Au programme : du porte-à-porte en binôme pour inciter les gens à aller voter, évidemment pour leur liste.
« Notre cible, ce sont les abstentionnistes », nous lance-t-il en gravissant les 72 marches qui mènent au cinquième étage. Et de lancer avec ironie : « Les autres partis paient des gens pour faire ce travail. Ils ne montent pas jusqu’en haut, ils se contentent d’inonder les boîtes aux lettres. » Après trois heures de porte-à-porte, lui et son équipe rassemblent les comptes rendus de l’opération : au total plus d’une centaine de personnes touchées, soit autant de voix potentielles. Mais il en faut environ 6 000 pour espérer décrocher un siège au Parlement. Il va falloir aller les chercher une à une d’ici au 7 octobre.
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