Israël : Shimon Peres, un faucon devenu colombe
Un texte de Gérard Haddad, psychiatre et psychanalyste, collaborateur régulier à la Revue, auteur de plusieurs ouvrages dont « Lacan et le judaïsme » (1996).
Vendredi 30 septembre. Sous un soleil encore estival, Jérusalem, là où j’écris ces lignes, semble en état de siège. La ville est quadrillée par d’impressionnantes forces de police, visibles et invisibles. L’autoroute qui relie la Ville sainte à Tel-Aviv, axe vital du pays, est fermée. C’est que quelques-uns des plus importants dirigeants du monde – Barack Obama, François Hollande, Mahmoud Abbas… – sont présents pour les funérailles de Shimon Peres, ancien président d’Israël, décédé le 28 septembre à l’âge de 93 ans.
Un échos planétaire
Les messages de condoléances du gotha politique de la planète affluent. Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, qualifie même ce décès de « perte pour l’humanité ». Un tel remue-ménage révèle l’importance de cet homme si mal aimé dans son propre pays et pourtant admiré par les grands de ce monde.
En contrepoint de ces hommages, la presse arabe est beaucoup moins tendre. Pour elle, Peres est celui qui a fait de Tsahal une des armées les plus puissantes du monde et l’a équipée de l’arme nucléaire. C’est sous son autorité que furent réalisées les premières implantations en Cisjordanie. Il fut aussi le « boucher » de Cana, ce village libanais où périrent sous les bombes israéliennes, en 1996, plus de 100 civils réfugiés dans un camp de l’ONU.
Le père de Tsahal
Difficile d’établir le bilan de l’action de cet homme hyperactif, non par manque de recul mais à cause de la complexité du personnage, de ses contradictions et des changements qui ont jalonné sa vie. Shimon Perski, alias Peres, naît en 1923 à Wisniew, aux confins de la Pologne et de la Biélorussie, dans une famille pieuse. Il étudie dans une école rabbinique quand survient un drame, l’assassinat de son frère aîné dans un pogrom. Shimon perd la foi. Avec sa famille, il s’installe en 1934 en Palestine.
Très tôt, David Ben Gourion le repère et en fait son homme de confiance. Commence alors une longue carrière politique au cours de laquelle il occupera tous les postes importants, surtout dans les services de la défense nationale. Tsahal lui doit tout, depuis ses premiers équipements jusqu’à l’arme nucléaire en passant par les armes perfectionnées que, dans les années 1950, le gouvernement français dirigé par Guy Mollet lui céda.
Il a alors la réputation d’être un « faucon ». À l’âge mûr, ce profil évolue. Il comprend très vite l’importance des nouvelles technologies et encourage la recherche, permettant à Israël de devenir un pays à la pointe dans ce domaine.
Un héros mal aimé
Mais c’est sur le plan politique que son évolution fut le plus remarquable. « Faucon » devenu colombe, il est l’un des principaux artisans des accords d’Oslo, signés en 1993. Par son incomparable talent de négociateur et de diplomate, par son charme, il parvint à tisser des liens avec les dirigeants du monde, devenant pour Israël, entre-temps aspiré par la fièvre nationaliste, sa bella figura, ou la feuille de vigne de sa politique coloniale. Les éminents services qu’il rendit à son pays font de lui, après Ben Gourion, son dirigeant politique le plus marquant.
Et pourtant, Israël, ingrat, ne lui en a jamais su gré. Peres, qui aurait tant voulu être aimé par ses compatriotes, fut longtemps détesté par eux, ce qui lui fit perdre toutes les élections qu’il conduisit. On le surnomma « le loser », « l’éternel magouilleur », voire, sans aucune preuve, « le corrompu ».
C’est que l’homme, né en Pologne, avait gardé l’accent de son origine et des manières de vivre européennes et non ce débraillé qui caractérise le sabra. En un mot, il était resté très juif diasporique, ce que l’Israélien moyen abhorre. De plus, celui-ci adore les militaires, les héros de guerre galonnés, comme Moshe Dayan, Yitzhak Rabin, Ariel Sharon, Ehoud Barak et tant d’autres. Peres, passionné par les questions de défense, ne fut jamais un soldat. Cela ne lui sera pas pardonné. Un planqué !
Bâtisseur de paix
Si l’on comprend l’animosité de la presse arabe à son égard, celle-ci devrait tenir compte du fait que Peres a brisé le mur de verre qui semblait séparer pour l’éternité Israéliens et Arabes. Il a mis fin, pour son compte, au mépris que la caste politique de son pays entretenait avec le monde arabe.
Il n’a jamais cessé de parler de paix quand ce mot était devenu tabou pour le gouvernement actuel. Il a rêvé d’un Moyen-Orient pacifié et fraternel. Des hommes de cette envergure ne courent pas les rues. On comprend que les grands de ce monde l’aient admiré et accompagné dans son dernier voyage.
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