Turquie : naissance d’une dictature
«Vers l’Orient compliqué je volais avec des idées simples », a dit le général de Gaulle il y a plusieurs décennies. Il parlait du Moyen-Orient.
Dans cette même région, vous et moi allons observer l’inquiétante évolution de la Turquie. À la lisière de l’Europe, qu’il disait vouloir intégrer, ce pays de quelque 90 millions d’habitants, où le revenu annuel par tête avoisine 10 000 dollars, se trouvait hier aux portes de la démocratie.
Mais aucun doute n’est plus possible, aujourd’hui il va vers la dictature.
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Il y est conduit d’un pas délibéré par le président que les Turcs ont élu, Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier a déjà considérablement élargi ses pouvoirs et n’aura de cesse que d’en acquérir de nouveaux, consentis bon gré mal gré par une majorité de ses concitoyens. Lui-même, un jour, a évoqué l’exemple de Hitler comme précédent.
Nous allons donc assister à un phénomène devenu rare et qui paraît aller à contre-courant de l’Histoire : la naissance d’une dictature sur les ruines d’une quasi-démocratie.
Cela fait plusieurs décennies que nous n’avons vu pareil retour en arrière, rendu possible non pas par un coup d’État militaire réussi, mais par une tentative avortée de prise du pouvoir par une partie de l’armée.
« C’est un don de Dieu », en a dit Erdogan. Ce politicien ambitieux cachait mal son jeu ces dernières années. En ce moment même, pour mieux asseoir son pouvoir et l’élargir jour après jour, il tire profit au maximum du putsch manqué perpétré dans la nuit du 15 au 16 juillet dernier.
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Un parallèle vient à l’esprit avec l’Égypte. Ce grand pays de la même région et de dimension démographique comparable n’est-il pas, lui aussi, retombé en autocratie au lendemain même d’une révolution qui, en 2011, a fait chuter la dictature de Hosni Moubarak ?
Certes. Mais en Égypte, c’est l’armée qui, après avoir détenu le pouvoir (depuis 1952), l’a repris après une parenthèse islamiste d’un an. Elle a remplacé un militaire usé par un autre tout neuf : le maréchal Sissi.
Les itinéraires empruntés par les deux pays sont donc opposés, raison pour laquelle les deux régimes se haïssent et refusent même de se reconnaître.
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La dictature qui est en train de se mettre en place en Turquie est conçue et organisée, elle, par un civil : il est islamiste et utilise l’islam politique pour arriver à ses fins.
Il a pris la maîtrise de son parti, l’AKP, et a entrepris de contrôler tous les rouages du pays.
Avec pour dessein de le ramener de la république laïque instaurée par Atatürk il y a près d’un siècle à un régime islamiste, des portes de la démocratie à la dictature d’un homme et de son idéologie.
Avec plus de pertinence que par le passé se pose donc cette question qui intéresse le monde musulman et même non musulman : lorsqu’il cache son jeu et se présente comme modéré, prétend distinguer, comme le font les islamistes tunisiens d’Ennahdha, son activité politique et la prédication religieuse, l’islamisme est-il un grave danger pour la démocratie ?
Vise-t‑il, en réalité, comme Erdogan à la tête de l’AKP, à prendre tout le pouvoir, à l’exercer de manière dictatoriale et à le garder indéfiniment ?
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À mes yeux, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Les musulmans d’abord, mais le monde entier également devraient observer que les islamistes sont au pouvoir dans la quasi-totalité des pays musulmans et qu’ils se divisent en trois catégories.
1) Les incompétents du type de ceux qui gouvernent le Soudan depuis des décennies ou Gaza.
Ils cumulent mauvaise stratégie et totale ignorance des règles de l’économie, des impératifs du fonctionnement d’un État.
Ils gouvernent des pays ou des territoires qui tournent en rond ou même se disloquent.
2) Les dangereux prosélytes, du type wahhabites et néowahhabites qui règnent sur l’Arabie saoudite et le Qatar.
L’argent du pétrole et du gaz leur donne une aura et des moyens. Mais l’islam moyenâgeux qu’ils tentent de propager dans le monde entier est source d’arriération des musulmans, de discorde, de salafisme jihadiste : Al-Qaïda en est née et a enfanté Daesh.
3) Les plus évolués, du type de ceux qui gouvernent l’Iran, la Turquie et la Malaisie.
Ils ont appris à gouverner. Mais même lorsqu’ils promeuvent l’éducation, y compris celle des femmes, même lorsqu’ils laissent un peu de démocratie s’exercer à l’intérieur du parti unique ou dominant, ils gouvernent de manière dictatoriale, privant leur pays de ceux qu’ils ont ainsi poussés à l’exil, à l’intérieur ou à l’étranger.
La corruption y est non pas combattue mais tolérée, voire institutionnalisée.
Quelle que soit leur catégorie, les islamistes ne sont pas de ce siècle et, d’ailleurs, ne veulent pas en être.
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Pour conclure, je reviens à cette Turquie que son président actuel veut islamiser et « erdoganiser ». Elle s’enfonce chaque jour davantage dans la dictature.
En moins de cent jours, l’épuration a touché plus de 100 000 personnes, dont le tiers est en prison : dans le doute, on emprisonne ou on exclut.
Toutes les institutions sont affectées, dont le Conseil constitutionnel et la Banque centrale, qui ont perdu toute indépendance.
Pour « renforcer la démocratie » (sic), Erdogan s’est fait octroyer le pouvoir de légiférer par décrets. Il n’y a plus d’état-major, l’armée est désorganisée, ainsi que les systèmes éducatif et judiciaire ; choisi pour sa loyauté et sa docilité, le Premier ministre n’a plus aucune latitude. Les municipalités elles-mêmes, surtout dans la partie kurde du pays, ont été démantelées, leurs budgets ont été mis sous contrôle, et les députés kurdes ont perdu leur immunité.
Le cours de la monnaie est en chute libre, et la Bourse a cessé de fonctionner.
Et pourtant, Erdogan n’en est qu’à la moitié de son plan d’épuration visant toute personne ou institution suspectée d’hostilité ou même de tiédeur.
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Prévoyez, dès l’année prochaine, de grandes difficultés économiques et de graves querelles diplomatiques.
Comme tout dictateur ou apprenti dictateur, Erdogan ne saura pas s’arrêter et finira mal.
Mais ce sera dans cinq ou dix ans, au cours desquels la Turquie reculera d’un demi-siècle.
Mustafa Kemal, dit Atatürk (le père de la Turquie), avait, dit-on, un faible pour l’alcool. Erdogan, qui se veut encore plus puissant, s’enivre, lui, de son pouvoir.
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