Allemagne : les musulmans de plus en plus stigmatisés

Depuis les agressions du Nouvel An et les attentats de juillet, l’islamophobie gagne du terrain. Dernier épisode : une explosion devant une mosquée de Dresde.

Journées portes ouvertes à la mosquée Aya Sofya, à Hanovre, le 3 octobre 2016. © Peter Steffen/DPA/AFP

Journées portes ouvertes à la mosquée Aya Sofya, à Hanovre, le 3 octobre 2016. © Peter Steffen/DPA/AFP

Publié le 10 octobre 2016 Lecture : 3 minutes.

« Mesdames, messieurs, pour vos chaussures, vous avez de nombreux rangements sur les deux côtés de la salle de prière. » En cette journée portes ouvertes à la mosquée Sehitlik, la plus célèbre de Berlin, la jeune guide Özlem régule en douceur le flot ininterrompu des visiteurs.

Comme chaque année, cet événement organisé symboliquement le 3 octobre, jour de la fête nationale, remporte un vif succès. Brigitte, une Berlinoise de 69 ans, y participe pour la deuxième fois : « C’est d’autant plus important de venir dans le contexte actuel. D’un côté, nous devons intégrer les réfugiés. De l’autre, on assiste à une montée du racisme. » Pour cette catholique pratiquante, il est donc urgent de « créer des ponts entre les religions et les communautés ».

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Choqué

Longtemps épargnée, l’Allemagne connaît depuis plusieurs années une poussée d’islamophobie. Le pays compte un peu plus de 4 millions de musulmans, dont 60 % d’origine turque, pour 2700 lieux de culte. En 2014, à Berlin, une mosquée avait été incendiée. Ce 26 septembre, la violence est montée d’un cran avec l’explosion, à Dresde (est du pays), d’une bombe artisanale devant une mosquée.

Si l’attentat n’a pas fait de victimes, il a choqué l’opinion. Andreas Zick, chercheur à l’Institut de recherche sur les conflits et la violence de l’université de Bielefeld, observe ce phénomène depuis le 11 septembre 2001. « Ce qui est nouveau, c’est que nous sommes face à une extrême droite organisée, analyse-t-il. Il y a Pegida [mouvement anti-islam], le parti Alternative pour l’Allemagne [AfD], des groupuscules comme les identitaires, la propagande sur internet… L’arrivée des réfugiés, les agressions sexuelles du Nouvel An [commises par des migrants] et les attentats de juillet [un kamikaze, lors du festival de musique d’Ansbach, et une attaque à la hache dans un train, qui ont fait 17 blessés] leur ont fourni un motif de radicalisation. Il y a toujours eu des gestes agressifs, mais l’utilisation d’engins explosifs est un fait nouveau. »

« Progression alarmante » des violences xénophobes

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Les statistiques corroborent cette observation. Selon les services de renseignements allemands, les violences xénophobes ont presque doublé, passant de 473 faits enregistrés en 2013 à 918 en 2015. « Une progression alarmante », selon l’Union turco-islamique pour les affaires religieuses (Ditib), la plus importante des neuf organisations qui gèrent le culte musulman en Allemagne. D’autant que ces chiffres sont sûrement bien en deçà de la réalité. « Désormais, nous prenons beaucoup plus au sérieux les actes qui nous sont rapportés par nos fidèles, indique Ender Cetin, président du conseil d’administration de la mosquée Sehitlik. Pour les plus graves, nous portons plainte. Mais les insultes, elles, sont rarement comptabilisées. »

Les musulmanes voilées, notamment, se sentent davantage stigmatisées. « Je prenais le bus avec mes enfants quand une femme m’a dit : “Autre pays, autres mœurs”, en faisant allusion à mon voile. Mais je suis allemande, je suis d’ici », raconte Nafissa. Cette quadragénaire convertie, au regard bleu perçant, reste choquée par cette « agression gratuite ». De fait, la méfiance s’installe. « Il ne m’est encore rien arrivé, se réjouit Senem, 23 ans, couverte d’un voile noir. Mais ça peut changer, c’est vrai que j’ai peur. »

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« L’islamophobie est de l’ordre du mythe, donc très difficile à déconstruire. Il faut mettre en avant les exemples d’intégration réussie, les initiatives de rapprochement entre les migrants et les Allemands », souligne Werner Schiffauer, spécialiste des migrations à l’université de Francfort-sur-l’Oder. Selon lui, les responsables politiques ne le font pas suffisamment. « Au contraire, ils ont cédé aux sirènes de l’extrême droite en voulant battre l’AfD sur son terrain et en utilisant une rhétorique plus droitière », poursuit-il. En août, le ministre de l’Intérieur avait ainsi plaidé pour une interdiction partielle du voile intégral, notamment lors des démarches administratives ou dans les lycées et universités, où il est autorisé.

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