Distribution : coup de frein sur le neuf

CFAO et Tractafric Motors, poids lourds du secteur sur le continent, enregistrent une baisse significative de leurs ventes. Face à la crise, ils élaborent des plans d’économies. Sans toutefois paniquer : la concurrence reste limitée.

La concession Toyota, à Dakar (Sénégal), du groupe CFAO Motors, le 27 juillet 2012 © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

La concession Toyota, à Dakar (Sénégal), du groupe CFAO Motors, le 27 juillet 2012 © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Julien_Clemencot

Publié le 19 octobre 2016 Lecture : 6 minutes.

La concession Toyota, à Dakar (Sénégal), du groupe CFAO Motors, le 27 juillet 2012 © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique
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Distribution : coup de frein sur le neuf

CFAO et Tractafric Motors, poids lourds du secteur sur le continent, enregistrent une baisse significative de leurs ventes. Face à la crise, ils élaborent des plans d’économies. Sans toutefois paniquer : la concurrence reste limitée.

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Marc Ferreol, directeur de la division Afrique subsaharienne francophone de la branche automobile de CFAO, a beau avoir à Kinshasa l’une des plus belles concessions d’Afrique francophone depuis un peu plus d’un an, la courbe des ventes de sa filiale congolaise ne décollera pas en 2016. Celles de la République du Congo, du Tchad et du Nigeria ne feront pas mieux.

Les baisses des cours du baril du pétrole et des minerais, deux des piliers de l’économie de l’Afrique centrale, plombent l’activité des entreprises et la trésorerie des gouvernements, principaux acheteurs de véhicules neufs. En fin d’année, le chiffre d’affaires de la filiale de CFAO devrait sensiblement reculer par rapport à l’an dernier.

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Un ralentissement généralisé

La filiale de TTC (Toyota Tsusho Corporation), qui pèse environ 40 % des 19 marchés africains où elle représente la marque Toyota, ne sera pas la seule à faire grise mine. Tractafric Motors, filiale du holding royal marocain SNI, accuse elle aussi le coup. Emmanuel Miette, directeur général adjoint de Tractafric Motors, a lui anticipé une baisse de 40 % de ses ventes qui pourrait aller jusqu’à ses concessions d’Afrique centrale.

Et le ralentissement ne s’arrête pas, selon lui, aux pays pétroliers et miniers. Même la Côte d’Ivoire, premier marché d’Afrique de l’Ouest (hors Nigeria), est touchée par le ralentissement du marché automobile. « Certains marchés, comme la Gambie ou la Sierra Leone, où il ne se vend parfois que cinq voitures par an, sont difficiles à rentabiliser », reconnaît Emmanuel Miette.

Les ventes de camions sont elles aussi affectées. En Guinée, par exemple, après plusieurs années d’importants achats pour équiper tous les projets de cimenterie, Tractafric admet que le marché est saturé. « Sur notre zone, les ventes de véhicules industriels reculent de 15 % à 20 %. C’est un peu moins que celles des voitures, qui, sur certains marchés, accusent jusqu’à 30 % de baisse », constate Emmanuel Miette. Néanmoins, grâce à leur large présence (dans 22 pays pour Tractafric et 31 pour CFAO au sud du Sahara) et à la variété des marques qu’ils représentent, les leaders de la distribution absorbent plus facilement le choc que les groupes indépendants.

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Les grands groupes tiennent le coup

Si CFAO est en premier lieu associé à la marque japonaise Toyota, le groupe, présent depuis plus de cent soixante ans sur le continent, distribue aussi Mitsubishi, Peugeot Citroën, les camions Fuso, Renault Trucks et les motos Yamaha. C’est également le cas de Tractafric, connu pour être le représentant de Mercedes-Benz dans 22 pays. Initialement centré sur la vente de camions, le groupe commercialise également les voitures du constructeur allemand depuis 2006.

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Ces dernières années, il a aussi connu de vrais succès, d’abord avec Hyundai en Côte d’Ivoire et au Sénégal, en perte de vitesse depuis deux ans en raison d’une hausse du prix des véhicules liée à l’évolution des taux de change, puis avec Ford, parti de zéro en 2010 en Côte d’Ivoire et qui représentait en 2015 environ 600 des 2 000 ventes de ce marché, le plus important d’Afrique subsaharienne francophone.

Face à la crise, les distributeurs élaborent des plans d’économies. Tractafric prévoit par exemple des coupes de 10 % et plus dans ses filiales. Tous revoient également leurs prix à la baisse. Chez CFAO, on a d’ailleurs anticipé. Depuis trois ans, le groupe français a entamé un travail de réduction des marges en partenariat avec les constructeurs pour lutter contre la concurrence des importations illégales.

Dans le même temps, il a fait évoluer sa stratégie en misant sur les classes moyennes, notamment avec la gamme indienne de la marque japonaise Suzuki, qu’il distribue dans une quinzaine de marchés en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

« Auparavant, notre modèle était tourné vers les professionnels. Aujourd’hui, si nous voulons augmenter notre potentiel de croissance, nous ne pouvons plus ignorer les classes moyennes », juge Marc Ferreol. Au Burkina Faso, la stratégie grand public de CFAO s’applique également au secteur de la moto avec la marque Yamaha. Grâce au modèle Force X 125 cm3 vendu moins de 600 000 F CFA (environ 915 euros) en septembre, le groupe détient environ 10 % du marché des deux-roues et parvient à concurrencer les motos chinoises.

L’atelier de Silver Star Auto Limited, distributeur de Mercedes-Benz au Ghana, au sein du réseau Tractafric (à Tema). © DR

L’atelier de Silver Star Auto Limited, distributeur de Mercedes-Benz au Ghana, au sein du réseau Tractafric (à Tema). © DR

D’autres distributeurs se positionnent sur le créneau des particuliers avec des ambitions régionales. C’est le cas du groupe Salvador Caetano, bien implanté en Angola, qui, en plus de récupérer la distribution de Renault en Afrique de l’Est, a poussé fin 2015 ses pions jusqu’au Sénégal.

Le groupe portugais (1,6 milliard d’euros de revenus) s’est installé à Dakar, achetant à Necotrans le distributeur Sera, également actif à Bamako et à Nouakchott. Outre le 4×4 Kadjar, dernier-né de Renault, qui partage 60 % de ses pièces avec le Qashqai, best-seller de son partenaire Nissan, l’entreprise peut compter sur la gamme des véhicules low cost (Duster, Lodgy, Logan) du constructeur français pour atteindre ses objectifs. Caetano, qui détenait l’an dernier 12 % du marché sénégalais, a déclaré vouloir atteindre 20 % d’ici à 2020.

La question du financement

Au-delà des prix, les distributeurs essaient de faire sauter un autre verrou pour débloquer leurs ventes malgré le marasme ambiant : le financement. Depuis un an, Tractafric a créé un poste de credit manager. Quand les contrats dépassent 1 million d’euros, la société cherche des organismes capables d’offrir des garanties, en particulier sur la place de Londres, pour le compte de ses clients. L’entreprise propose aussi, dans une moindre mesure, des financements à court terme.

L’approche est identique du côté de CFAO, qui a en permanence trois personnes en France qui se consacrent à la structuration des financements pour ses clients les plus importants. Mais Marc Ferreol constate que les banques locales sont toujours aussi prudentes à l’égard des particuliers. « Elles disent qu’elles ont la volonté de développer les prêts automobiles, mais nous avons encore des difficultés à obtenir des accords pour ce type de demandes ».

Néanmoins, le dirigeant de CFAO pense que ces réticences vont s’estomper et mise sur l’arrivée des spécialistes de la microfinance dans ce créneau pour les faire évoluer. Même si leurs marchés sont difficiles, les distributeurs automobiles panafricains ne paniquent pas, car la concurrence reste limitée.

« On ne s’improvise pas distributeur. Acquérir des véhicules, des pièces détachées, assurer le service après-vente, tout cela mobilise beaucoup d’argent. Et, même si l’Afrique est très importante pour un constructeur comme Mercedes, il ne souhaite pas gérer directement un ensemble de pays à faible volume », explique Emmanuel Miette, qui ne désespère pas de s’implanter sur de nouveaux marchés à fort potentiel.

Au Nigeria, des usines de montage pour le marché local

Abuja s’étant fermé aux importations en imposant 70 % de frais de douane en 2015, les distributeurs songent à installer des usines de montage dans le pays pour profiter du potentiel représenté par les plus de 180 millions d’habitants du géant africain. CFAO envisage cette possibilité pour les marques Mitsubishi et Fuso, qu’il commercialise.

En mai, le groupe a franchi une première étape en inaugurant une usine de montage de motos Yamaha à Lagos. Dès 2018, 70 000 unités destinées au marché local devraient être produites chaque année.

L’Algérie durcit sa politique d’importation

Avec environ 300 000 véhicules neufs vendus par an, le marché algérien était devenu l’un des plus lucratifs du continent pour les constructeurs automobiles. Mais l’effondrement du prix du baril a convaincu Alger de fermer brutalement les vannes des importations afin de limiter le déficit de sa balance commerciale.

En 2016, 40 concessionnaires sur 80 prétendants bénéficieront d’une autorisation pour faire entrer des voitures neuves dans le pays, et seules 83 000 unités seront finalement importées. Au 1er janvier 2017, le gouvernement franchira une autre étape en conditionnant l’octroi des licences d’importation à la construction d’usines d’assemblage de véhicules ou de pièces de rechange.

Cette mesure avait été inscrite dans la loi de finances pour 2014. Parallèlement, le gouvernement a décidé fin septembre d’autoriser de nouveau l’importation de véhicules d’occasion de moins de trois ans, interdite depuis 2005.

Au Mali, les camions aussi précieux que les chameaux

« Si le Mali est un marché presque insignifiant pour la vente de voitures, souligne Emmanuel Miette, directeur général adjoint de Tractafric Motors, ce n’est pas le cas pour les camions. Les transporteurs investissent dans les camions comme les caravaniers le faisaient dans leurs chameaux. Même si l’allemand Mercedes coûte jusqu’à 50 % de plus que ses concurrents chinois, la fiabilité et la robustesse de ses tracteurs sont unanimement reconnues. Ces camions, au volant desquels se relaient les conducteurs, roulent presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils peuvent parcourir jusqu’à 350 000 kilomètres par an. C’est la raison pour laquelle nous conservons une bonne part du marché du transport longue distance. Nos clients acceptent d’investir sur le long terme, quatre ou cinq ans, avant de gagner de l’argent et de revendre leurs véhicules à bon prix quelques années après. Dans les travaux publics, la situation est très différente. Les entreprises privilégient des camions moins chers, mais aussi moins robustes ».

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