Gilles Yabi : « Avec ce texte, le président ivoirien conserve énormément de pouvoir »
L’initiateur de Wathi, un think tank citoyen pour l’Afrique de l’Ouest, et ex-directeur du projet Afrique de l’Ouest au sein de l’International Crisis Group a répondu à nos questions sur la réforme de la Constitution en Côte d’Ivoire.
Jeune Afrique : Une réforme constitutionnelle était-elle nécessaire aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?
Gilles Yabi : Pour que le pays sorte de la crise, il fallait qu’une réflexion sur ses institutions soit menée et qu’elle aboutisse à une nouvelle constitution. Le problème, c’est que l’opportunité de faire de cet exercice un moment où l’on tire véritablement les leçons de la crise et où l’on se projette dans l’avenir est en train d’être manquée.
En quoi est-ce une occasion manquée ?
Le processus a été trop hâtif. Cela aurait dû être un exercice extrêmement ouvert, où l’on aurait pris le temps d’expliquer aux citoyens ce qu’est une constitution, mais aussi de consulter l’opposition et de s’interroger sur ce qui n’a pas fonctionné dans le passé, de tirer le meilleur de ce que l’ensemble des forces vives du pays a à proposer.
Cela étant dit, cette manière de faire n’est pas propre à la Côte d’Ivoire et traduit, dans plusieurs pays, une certaine perception des élites, qui continuent de penser que les populations ne peuvent pas et ne doivent pas être intégrées dans des réflexions sur les institutions.
Comme si une constitution, c’était d’abord l’œuvre d’experts, alors que c’est avant tout un texte politique et citoyen, qui est ensuite traduit en termes juridiques par des experts. Dans ce cas précis, le fait d’avoir une campagne référendaire aussi courte montre bien que l’on est dans un processus de validation d’un texte par le peuple plutôt que dans un débat public sur les orientations qu’il doit avoir.
Le texte ne constitue-t-il pas malgré tout une avancée démocratique ?
Globalement, ce n’est pas un mauvais texte, mais il manque d’originalité. Il ressemble beaucoup à ceux qui existent déjà dans la région, en Afrique francophone en particulier.
La seule véritable innovation, c’est la création d’une vice-présidence et ses conséquences : un exécutif à trois têtes, avec un Président, un vice-président et un Premier ministre, et un ordre de succession changé, puisque, désormais, à aucun moment le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat ne pourra succéder au chef de l’État. C’est original, mais cela ne constitue pas, à mon sens, une avancée particulière en matière de démocratie.
Et la création du Sénat ?
Dans beaucoup de pays du continent, les populations s’interrogent sur l’utilité d’avoir deux chambres, sachant que l’Assemblée nationale ne joue déjà pas toujours son rôle. Le fait d’avoir un Parlement bicaméral n’améliore donc pas forcément le fonctionnement politique du pays.
Plutôt qu’un Sénat, on aurait pu envisager, par exemple, des institutions de taille plus réduite, centrées sur des domaines plus précis de l’action publique, et dont le mode de composition ne dépendrait pas totalement du Président. Celui-ci conserve, d’une manière générale, énormément de pouvoir.
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