Burkina : Ouaga est trop petite pour eux

La rumeur d’une discorde entre le chef de l’État, Roch Marc Christian Kaboré, et le président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo, se répand. Mais qu’en est-il vraiment ? Enquête en coulisses.

Roch Marc Christian Kabore à Paris, le 4 septembre 2015. © Patrick Kovarik/AFP

Roch Marc Christian Kabore à Paris, le 4 septembre 2015. © Patrick Kovarik/AFP

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 25 octobre 2016 Lecture : 5 minutes.

L’un pourrait être l’eau et l’autre le feu. Deux tempéraments diamétralement opposés, dont on a du mal à imaginer qu’ils puissent cohabiter. Roch Marc Christian Kaboré est aussi calme, consensuel et pondéré que Salif Diallo est impulsif, radical et tranchant. Pendant longtemps, ces ex-fidèles de Blaise Compaoré ont été comme chien et chat, se disputant dans l’ombre de leur ancien mentor en vue de sa succession.

Union stratégique

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Jusqu’au jour où, mis à tour de rôle sur la touche au profit de François Compaoré, l’influent frère cadet de Blaise, les deux rivaux décident de s’allier contre leur nouvel ennemi commun. La suite est bien connue : rejoint par Simon Compaoré, autre cadre du régime, ils fondent le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) début 2014, jouent un rôle central dans la chute de Compaoré quelques mois plus tard, puis se retrouvent, fin novembre 2015, largement élus à la tête de l’État.

Sûrs de leur binôme contre nature mais terriblement efficace, ces deux poids lourds de la politique burkinabè s’étaient réparti les rôles avant même de conquérir le pouvoir. À Kaboré, plus ouvert et moins clivant, la présidence de la République. À Diallo, le Machiavel de Ouaga, celle de l’Assemblée nationale. Entre les deux, Simon Compaoré – camarade de Kaboré depuis l’université – récupère l’unique poste de (super)ministre d’État, chargé des portefeuilles stratégiques de l’Administration territoriale et de la Sécurité.

S’ils se connaissent bien, le nouveau chef de l’État et son dauphin constitutionnel n’ont jamais été des amis proches. Leur alliance de circonstance en a donc surpris plus d’un, à commencer par Blaise Compaoré. « Il avait été un témoin privilégié de leur rivalité pendant des années. Il avait trouvé ça surréaliste qu’ils puissent s’allier contre lui », raconte un proche de Kaboré.

Surréaliste peut-être mais payant. Après avoir pris conscience de leurs intérêts communs et mis de côté leurs différends, ils ont gravi ensemble les marches menant au sommet de l’État. Une fois en haut, chacun s’est concentré sur sa partition. L’un en tant que chef de l’exécutif, l’autre comme chef du pouvoir législatif.

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Un président de l’Assemblée trop influent

Mais, très vite, le sérail politique ouagalais a commencé à bruisser de rumeurs sur les relations fraîches entre les deux premiers personnages de la République. En cause : le rôle prépondérant joué par Salif Diallo, accusé par de nombreuses voix, aussi bien dans la majorité que dans l’opposition, d’outrepasser son mandat et de se comporter comme une sorte de « Président bis ». Omniprésent sur la scène politico-médiatique et en coulisses, il est suspecté de garder un œil sur toutes les affaires de l’État et d’avoir placé plusieurs de ses fidèles à des postes clés.

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Alpha Barry et Smaïla Ouédraogo, ministres des Affaires étrangères et de la Santé, sont par exemple réputés proches de Diallo. Il aurait aussi essayé d’imposer à la primature Rosine Sori-Coulibaly, actuelle ministre de l’Économie, avant que Roch Kaboré tranche en faveur de Paul Kaba Thiéba, discret chef du gouvernement qui peine à s’imposer face au puissant président de l’Assemblée.

Habile stratège, celui qui fut des années durant l’éminence grise de Blaise Compaoré a également fait main basse sur le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès), parti majoritaire dont il est aujourd’hui le président par intérim, à la place de Kaboré. Une bonne partie de ses cadres lui sont acquis, et certains, en interne, n’hésitent pas à parler d’un courant « pro-Salif » et d’un autre « pro-Roch ». « Diallo fait preuve d’un réel activisme sur tous les fronts, ce qui soulève des questions sur ses intentions », explique une source qui connaît bien l’appareil d’État. Selon elle, son influence grandissante dans le milieu des affaires conduit aujourd’hui certains investisseurs étrangers à se tourner vers lui pour s’implanter au Burkina.

Un homme impulsif, qui fait parfois des déclarations maladroites

Le positionnement politique de Salif Diallo alimente aussi les doutes. Partisan d’un régime moins présidentiel, il milite pour un meilleur équilibre des pouvoirs dans la future Constitution censée instaurer le passage à une Ve République en 2017. Quelques-unes de ses déclarations – « Il faut que le gouvernement ait de l’audace et de l’imagination », lançait-il fin juillet au perchoir de l’Assemblée – ne sont pas bien passées dans les couloirs de Kosyam. « La majorité a le droit de critiquer l’action du gouvernement, mais il y a des choses à ne pas dire. C’est un homme impulsif, qui fait parfois des déclarations maladroites, lâche un collaborateur de Roch Kaboré. Cela peut faire mauvais effet alors que nous sommes dans le même camp. »

Crises passagères

Si une pointe d’agacement est perceptible dans l’entourage présidentiel, la tendance, conformément aux habitudes du patron, est à la modération. « Il n’y a pas de problème de fond. Tous deux travaillent ensemble en permanence, confie un proche du chef de l’État. Ils ne sont pas d’accord sur tout, mais ils savent très bien qu’ils sont sur le même bateau et qu’ils ont intérêt à collaborer en bonne intelligence. »

Même discours chez Salif Diallo, qui affirme n’avoir jamais eu de « divergences profondes » avec Kaboré, qui était son candidat et celui de son parti. « Nous nous parlons tous les jours. Mais les gens ne comprennent pas que mon devoir, en tant que président de l’Assemblée, est de contrôler l’action du gouvernement », se défend-il. Les deux hommes assurent se voir très régulièrement, parfois même pour un dîner chez l’un ou chez l’autre.

Nos sorts sont intimement liés.

Pour la plupart des barons de la majorité, les rumeurs de tensions sont distillées par les pro-Compaoré pour déstabiliser et diviser les deux figures clés du nouveau régime, que l’ancien Président tient pour principaux responsables de sa chute. « Tout cela est ridicule, car nos sorts sont intimement liés, assure Simon Compaoré. On cherche à nous distraire, alors que nous avons beaucoup de choses à faire. » De leur côté, les cadres du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) se disent lassés de « toujours servir de boucs émissaires » et indiquent qu’ils n’ont rien à voir avec les « problèmes de couple » de leurs rivaux.

Alors, exagération de certains ou véritable crise de confiance entre les nouveaux maîtres du Faso ? Probablement un peu des deux. Moins d’un an après leur entrée en fonction, il est encore trop tôt pour jauger la relation complexe qui les unit. « Quoi qu’on en dise, il y a un seul et unique boss : c’est Roch », conclut l’un de ses collaborateurs. Derrière le petit commentaire, la mise en garde a le mérite d’être claire.

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