Maroc : les challenges qui attendent Adbelilah Benkirane

Reconduit par Mohammed VI, le chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane devra mener à bien les chantiers déjà lancés, mais aussi ouvrir de nouveaux fronts, et non des moindres.

Abdelilah Benkirane (au centre) avec un sympathisant, le 8 octobre 2016, à Rabat. © Oughanam

Abdelilah Benkirane (au centre) avec un sympathisant, le 8 octobre 2016, à Rabat. © Oughanam

fahhd iraqi

Publié le 25 octobre 2016 Lecture : 5 minutes.

«Poursuivre les réformes », c’est le slogan martelé par le Parti de la justice et du développement (PJD) tout au long de sa campagne électorale. L’approche a été redoutablement efficace dans la mesure où le parti islamiste a réussi à progresser, arrivant premier en nombre de voix exprimées et en nombre de sièges décrochés (125). Un sacre qui a valu à Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, d’être reconduit par Mohammed VI et chargé de former un nouveau cabinet pour les cinq prochaines années.

Mais une chose est sûre : le second mandat de Benkirane ne ressemblera pas au premier. Aujourd’hui, l’homme s’est forgé une expérience certaine dans la gestion des affaires, avec ce que cela implique comme sens de la realpolitik. Lui-même l’admettait en septembre, quand il s’était attelé à faire la promotion de son programme électoral.

la suite après cette publicité

« En toute franchise, ce ne sont ni les circonstances ni le parti, encore moins l’homme de 2011, que vous avez devant vous aujourd’hui, en 2016, expliquait-il. Celui qui entre au gouvernement et y reste cinq ans se frotte à une réalité qui le rend plus à même de connaître les contraintes du terrain. Il y a certes des difficultés, mais il y a aussi des opportunités. »

Pourtant, les défis qu’il devait relever durant son premier mandat sont, pour la plupart, toujours d’actualité, aussi bien sur le plan économique que sur le terrain social ou encore en matière de bonne gouvernance.

Un autre modèle de développement

Le talon d’Achille du premier mandat de Benkirane a été bien évidemment ses réalisations dans le domaine économique. C’est sur ce plan qu’il a été le plus violemment attaqué par ses adversaires. Lesquels ont généralement pris le raccourci qui consiste à scruter les indicateurs les plus élémentaires : le taux moyen de croissance et le niveau de la dette publique, en l’occurrence.

la suite après cette publicité

Sur le premier axe, Benkirane et les membres de son gouvernement ont beau expliquer que la croissance moyenne, de 3,7 %, a été l’une des meilleures enregistrées dans les économies de la zone Mena, ses détracteurs ne se sont pas privés de lui reprocher une faible performance. D’autant plus qu’elle ne permet pas de résorber le stock de sans-emplois, puisque le taux de chômage est resté figé aux alentours des 10 %.

la suite après cette publicité

Du côté de la dette publique, les chiffres sont alarmants. Benkirane a pu démarrer son précédent mandat sur un niveau de dette publique globale inférieur à 80 % du PIB. À la fin de sa première législature, ce même ratio dépasse 82 %, un niveau jugé « insoutenable » par Bank Al-Maghrib, qui fixe la politique monétaire du pays. « Cela implique que sur les cinq prochaines années le Maroc n’aura d’autre choix que de renverser la tendance pour s’inscrire dans une logique de désendettement.

Les ressources publiques devraient ainsi trouver d’autres gisements, notamment à la faveur d’un élargissement de l’assiette fiscale qui passe par une réforme fiscale de fond en comble que le gouvernement n’a pas encore osé mener », nous explique un membre du patronat. Mais, surtout, le niveau d’endettement du Maroc (plus de 800 milliards de dirhams, soit environ 73 milliards d’euros) réduit considérablement la marge de manœuvre du futur gouvernement Benkirane pour poursuivre les réformes les plus douloureuses et financer les grands chantiers sociaux.

Défi social

Au niveau social, justement, le gouvernement sortant n’a pas cessé de louer ses réalisations. Certains ministres qui se sont engagés dans la bataille législative se sont fièrement prévalus de certaines dispositions, comme l’appui financier aux veuves ou encore la hausse du minimum des pensions de retraite. Mais il s’agit de « mesurettes » insuffisantes pour renverser la vapeur et tendre vers un rétablissement de la justice sociale, un concept cher au PJD.

Benkirane va devoir normaliser ses rapports avec les partenaires sociaux, notamment les syndicats.

À titre d’exemple, le fameux fonds de cohésion sociale, créé par le gouvernement Benkirane pour la réallocation des subventions supprimées des produits pétroliers, n’a pas encore eu d’effets tangibles. La volonté de remplacer les subventions des autres produits de première nécessité (pain, sucre, gaz butane…) par une aide directe aux couches les plus démunies de la population devrait être l’un des chantiers que Benkirane tentera d’amorcer durant son second mandat. Pour ce faire, il devra se montrer encore plus ingénieux et plus didactique dans son approche pour faire oublier sa tentative ratée de 2013 de mettre en œuvre un tel système d’aide directe.

D’autant que les mesures impopulaires, comme la poursuite de la décompensation (notamment celle du butane, qui sera imposée par la hausse des prix du pétrole) ou encore les phases suivantes de la réforme des caisses de retraite, vont se révéler incontournables. Et pour les mener à bien, Benkirane va devoir normaliser ses rapports avec les partenaires sociaux, notamment les syndicats, avec lesquels le dialogue est aujourd’hui rompu, et, surtout, éviter le piège consistant à les considérer comme une force politique de second plan. Car si les différentes marches et grèves n’ont pas affaibli le PJD, elles ont contribué au ralentissement du train des réformes.

L’impossible lutte contre la corruption

La lutte contre la corruption avait été l’un des principaux thèmes de campagne de Benkirane en 2011, qui lui avait valu d’être consacré chef de gouvernement. Mais très vite il s’est aperçu de son incapacité à agir dans ce domaine. Un aveu de faiblesse qu’il avait lui-même confessé dans une interview d’anthologie à Al-Jazeera, en août 2012 : « Je suis incapable de lutter contre la corruption. »

Le gouvernement n’avait en effet pas pu continuer sur sa lancée après le tohu-bohu politique provoqué par la publication des listes de bénéficiaires de rentes ou ­d’agréments de transport ou encore de sociétés exploitant des carrières de sable.

Depuis, les actions du gouvernement dans ce domaine se limitent aux effets d’annonce et aux déclarations d’intention, comme la fameuse stratégie nationale de lutte contre la ­corruption. Bien ­évidemment, dans son bilan, le gouvernement a donné un aperçu plus reluisant de ce chantier en s’appuyant sur des chiffres, comme les 73 dossiers transférés à la justice concernant des abus soulignés dans les rapports de la Cour des comptes ou les 47 000 affaires de ­corruption ­traitées devant les tribunaux. Toujours est-il que ce chantier reste ­colossal et sera sans doute l’un des ­marqueurs les plus déterminants pour évaluer le deuxième mandat de Benkirane.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image