Azali Assoumani, président des Comores : « Je ne suis pas revenu pour régler des comptes »

De retour à la tête de l’archipel au terme d’un scrutin controversé, le colonel affirme vouloir reprendre le pays en main et ne plus s’accorder le droit à l’erreur. Entretien.

À Paris, le 6 octobre 2016, lors de sa première visite officielle en France. © Vincent Fournier/JA

À Paris, le 6 octobre 2016, lors de sa première visite officielle en France. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 28 octobre 2016 Lecture : 6 minutes.

Réélu à la tête des Comores en mai, Azali Assoumani vient d’achever sa première visite officielle à Paris. Il y a rencontré son homologue, François Hollande, ainsi que les représentants du secteur privé français. Déjà chef de l’État de 2002 à 2006, après avoir renversé le Président Tadjidine Ben Said Massounde en 1999, il retrouve donc le pouvoir dix ans plus tard, à l’issue d’un scrutin présidentiel controversé et entaché de violence. À 57 ans, il se présente toujours comme le garant de l’unité du pays et compte sur son expérience pour relancer un pays économiquement à bout de souffle.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi de revenir sur le devant de la scène politique et de vous présenter à nouveau à la présidentielle ?

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Azali Assoumani : Parce que je me sens garant du système d’élections tournantes [un mandat de quatre ans pour chacune des trois îles, à tour de rôle] que nous avons mis en place en 2001. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de le perfectionner pour pérenniser la stabilité politique du pays. Je ne voulais pas me sentir responsable des faiblesses que nous avions pu constater lors du dernier scrutin. Notre parti, la Convention pour le renouveau des Comores [CRC], est l’un des seuls à être bien implantés sur l’ensemble des îles, il joue donc un rôle important dans l’unité du pays et il a décidé que je serai son candidat.

N’y avait-il pas d’autre candidat possible au sein du CRC ?

Si, certains voulaient même organiser des primaires, mais la direction du parti ne voulait pas prendre le risque de diviser ses partisans. Il faut une formation solide pour participer à des élections. Et cela récompensait également mon engagement personnel sur le terrain ces dix dernières années.

Azali I avait-il prévu qu’il y aurait un jour un Azali II ?

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Sincèrement, non. Quand j’ai quitté le pouvoir, je pensais que ma mission était terminée. Nous avions organisé les élections, mis en place les structures nationales, avec une assemblée, un gouvernement comptant des représentants de chaque île, et je pensais pouvoir me retirer. Mais, comme je vous l’ai dit, mon souci de renforcer ce système m’a poussé à me réengager dans la vie publique.

Vous avez confié le ministère de la Justice à Fahmi Saïd Ibrahim, le candidat du parti Juwa, créé par Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Est-ce un gage donné à l’ancien Président, qui vous a soutenu lors du deuxième tour ?

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Bien sûr que c’est un gage donné à Sambi : en politique, il faut savoir prendre en compte ceux qui vous ont soutenus. Cela étant dit, Fahmi Saïd Ibrahim est un magistrat reconnu et il était le mieux placé pour prendre en main ce ministère.

Quelles sont vos relations avec l’ex-Président Sambi ?

Elles sont bonnes, et nous nous parlons régulièrement. Il a effectivement été un soutien décisif lors du deuxième tour, avec un engagement fort sur Anjouan.

Il a même été soupçonné d’avoir demandé à ses partisans de détruire les bureaux de vote dans les régions qui vous étaient les moins favorables…

La situation était confuse et il est difficile de revenir sur ces questions. Le plus important est d’en tirer aujourd’hui les leçons qui permettront que cela ne se reproduise plus.

L’économie de notre pays était dans un état assez pitoyable.

Avez-vous l’intention de faire modifier la loi électorale ?

Non, mais nous allons en dresser le bilan au vu des derniers événements justement. Et, à partir de ces éléments, nous verrons s’il y a lieu de changer certains points. Il est trop tôt pour dire quoi que ce soit sur ce sujet, mais c’est une réflexion que nous devons mener.

Vous avez été élu avec une très faible majorité. Comment comptez-vous rassembler les Comoriens ?

Ma majorité était certes faible, mais les électeurs m’ont fait confiance. Et avec le programme que je leur propose – si j’arrive à le concrétiser – je suis sûr de les rassembler. Je n’agis pas pour mon parti, mais pour le pays.

Quelle a été votre priorité à votre arrivée à la Présidence, en mai ?

L’économie de notre pays était dans un état assez pitoyable. La première chose que nous avons faite a donc été de commander des audits auprès de cabinets mauriciens internationalement reconnus. L’idée n’est pas de régler des comptes, mais de dresser un bilan réel de l’état du pays, en toute sérénité. Aucun investissement n’a été réalisé, et personne ne sait vraiment comment ont été utilisées les recettes nationales. D’où l’urgence de lancer ces audits. Nous sommes investis d’une responsabilité vis-à-vis de la population.

D’une manière plus générale, il nous a fallu ramener de la rigueur dans la gestion des fonds publics, en payant les salaires par exemple. Nous avons lancé des projets d’investissement, dans l’énergie surtout, pour que les opérateurs économiques puissent se remettre au travail.

Nous voulons également restaurer les services sociaux, qui sont bien moins performants qu’auparavant. En matière d’éducation, l’université propose aujourd’hui moins de formations qu’à sa création. Et nos jeunes sont obligés de partir à Madagascar pour poursuivre leurs études. Idem dans la santé. Pour être soignés, les Comoriens doivent être évacués en Tanzanie ou à Maurice. C’est inadmissible.

Pour réussir, comptez-vous vous appuyer sur les investisseurs privés étrangers ?

Bien sûr, puisque nous n’avons pas d’argent pour financer les projets dont nous avons besoin. À nous donc de les rassurer, en revoyant notamment notre code des investissements. Et c’est ce que nous allons faire dès la reprise des travaux de l’Assemblée, fin octobre.

Nous devons aussi aider le secteur privé comorien et développer l’entrepreneuriat dans une société qui privilégie encore les carrières dans l’administration. À nous de vitaliser les différentes filières, pour donner l’envie à nos jeunes diplômés de les intégrer, avec la garantie de pouvoir gagner leur vie. C’est pour cela que je suis venu à Paris rencontrer le Medef [patronat français] et l’AFD, pour qu’ils nous aident à développer cet esprit d’entreprise aux Comores.

Durant cette visite en France, la première depuis votre réélection, vous avez rencontré le Président Hollande. De quoi avez-vous parlé ?

J’ai répondu à l’invitation du chef de l’État français, et c’est un grand honneur. Nos entretiens se sont très bien passés. Nous avons pu aborder tous les problèmes politiques et économiques. Lui et ses ministres sont prêts à nous aider, comme l’AFD et les investisseurs français que j’ai pu rencontrer. Malgré nos désaccords sur Mayotte, la relation entre les Comores et la France reste très forte.

Avez-vous pu avancer sur cette question de Mayotte ?

Nos positions restent bien sûr différentes, mais, pour l’essentiel, nous sommes convaincus que nous devons trouver, ensemble, une solution satisfaisante pour tout le monde. Les conflits qui mettent aux prises, ces derniers mois, les Mahorais et les Comoriens nous interpellent et doivent nous pousser à régler le problème le plus rapidement possible. La France n’a pas d’autre choix que de participer activement à la recherche d’une solution.

Quels sont les autres principaux partenaires des Comores sur la scène internationale aujourd’hui ?

La Chine s’intéresse beaucoup à nous. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont également d’importants partenaires. Je dois d’ailleurs me rendre rapidement au Qatar pour renforcer ces relations.

Quelles leçons avez-vous retenues de votre premier passage à la présidence ?

J’ai aujourd’hui l’expérience du pouvoir, une expérience sur laquelle je dois justement m’appuyer pour prendre les meilleures décisions pour le pays, avec une obligation de résultat. Nous n’avons plus le droit à l’erreur désormais.

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