Hydrocarbures – Thierry Pilenko, PDG de Technip : « Pour l’heure, l’Afrique manque d’infrastructures »
Acteur majeur du secteur des hydrocarbures en Afrique, le groupe français inscrit le continent au cœur de sa stratégie de développement. Rencontre.
Pétrole et gaz : un potentiel à l’état brut
Bien doté en pétrole, le continent manque cruellement d’infrastructures pour le traiter, si bien qu’il importe une grande part des produits finis qu’il consomme. Pour mettre fin à cette anomalie, les États doivent investir, car, dans un contexte de prix bas, les majors ne le feront pas.
Depuis sa création par l’Institut français du pétrole, en 1958, Technip est un acteur majeur du développement des hydrocarbures dans le monde. En 2015, l’entreprise a réalisé 12,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Spécialisée dans l’ingénierie de projet et dans la construction d’infrastructures, elle a participé à la mise en production des grandes découvertes africaines de ces dernières années : Pazflor et Kaombo (Angola), Moho Nord (Congo), Jubilee et TEN (Ghana)…
Et elle est aussi bien positionnée pour participer à la révolution gazière promise à l’Afrique de l’Est. À la veille de sa fusion avec l’américain FMC Technologies, son PDG a répondu aux questions de JA.
Jeune Afrique : Technip est-il frappé par le ralentissement de l’exploration, conséquence de la chute du prix du pétrole ?
Thierry Pilenko : Nous intervenons plus en aval, au moment où l’on réalise les grandes infrastructures. Nous sommes toujours dans la phase de développement de découvertes faites il y a plus de cinq ans, comme Moho Nord et Kaombo, sur lesquelles il y a eu des décisions d’investissement prises en 2012 ou en 2013. Notre carnet de commandes est donc bien rempli.
Mais, à terme, allez-vous être affectés par l’absence de grandes découvertes ?
Ce constat n’est pas seulement lié à la chute du cours du pétrole, mais aussi au fait que les thèmes géologiques classiques ont déjà été largement explorés. Au large de l’Angola, il y a sans doute un potentiel important dans les couches présalifères. Il s’agit de forages assez profonds, l’exploration va prendre un peu de temps. Les compagnies vont d’abord se concentrer sur le développement de petits champs marginaux, qu’elles vont chercher à raccorder à des installations existantes.
En revanche, plus au nord, de nouveaux thèmes ont été explorés avec succès, par exemple les marges abruptes au Ghana, qui étaient considérées comme stériles jusqu’à la découverte du champ Jubilee. Cela recrée de l’intérêt pour ce type d’environnement, de la Côte d’Ivoire jusqu’à la Mauritanie. Mais l’exploration ne redémarrera vraiment que lorsque nos clients auront de la visibilité sur le prix du pétrole.
Au Sénégal, Kosmos Energy vient d’annoncer une importante découverte de gaz, qu’elle annonce vouloir exploiter dans les quatre ans…
Kosmos a la réputation de tenir ses engagements. Jubilee est le champ qui est le plus vite entré en production – cinq ans après sa découverte –, notamment grâce au savoir-faire de Technip. Donc le jour où les champs sénégalais seront développés, nous serons là. Nous pensons néanmoins que les gisements d’Afrique de l’Est vont être exploités avant, parce que leur potentiel est très important.
Vous avez signé un contrat avec Eni pour une usine flottante de liquéfaction de gaz au Mozambique.
Technip est le seul groupe à avoir conçu et construit une usine flottante, qui est aujourd’hui positionnée au large de la Malaisie. L’intérêt est de permettre d’avancer par étapes dans l’exploitation des champs gaziers, avant de construire les usines à terre, qui réclament des dizaines de milliards d’euros d’investissement. Nous sommes en très bonne position, mais Eni n’a pas encore pris la décision d’investissement finale. L’important pour la compagnie, c’est de trouver les clients qui, sur vingt à trente ans, pourront s’engager à acheter son gaz. Or, géographiquement, ils ne sont pas très loin : l’Inde, la Corée, la Chine, le Japon… Nous pensons que, d’ici à un an, la décision d’investir pourrait être prise.
L’Afrique est-elle devenue plus gazière que pétrolière ?
La perception des gisements de gaz a beaucoup évolué. Il y a trente ans, quand on en trouvait, ce n’était vraiment pas une bonne nouvelle… Technip et ses partenaires sont passés par là. Nous avons construit des usines de liquéfaction, et le Nigeria est devenu un grand exportateur de gaz. Aujourd’hui, les réserves du Mozambique sont considérables. Certains géologues, sans doute un peu optimistes, disent que le potentiel de ce bassin pourrait être aussi important que celui du Qatar.
En Afrique, car notre carnet de commandes est plein
Y a-t-il un marché domestique pour le gaz subsaharien ?
À terme oui, mais pour l’heure l’Afrique manque d’infrastructures. Des pays comme le Ghana vont sûrement utiliser leur gaz pour produire de l’électricité. S’il y a des découvertes à terre, on peut aussi imaginer de petites usines de liquéfaction construites à côté du gisement, comme ce que Technip a fait en Chine. Le gaz liquéfié n’est pas alors transporté par un pipeline, mais par camions.
Technip a annoncé un plan de réduction de ses coûts fixes. Où en êtes-vous ?
L’objectif d’économies est passé de 830 millions à 1 milliard d’euros, car nous avons identifié de nouvelles opportunités d’optimisation. Nous avons par exemple réduit de manière significative le coût de maintenance de notre flotte. Nous avons fermé certains bureaux, comme en Nouvelle-Zélande et en Birmanie. Nous avons aussi cédé notre activité en Allemagne. En Afrique, il n’y a pas eu d’action spécifique, car notre carnet de commandes est plein.
Quand le PDG de Total, interviewé par JA, demande aux sous-traitants de faire des efforts, que répondez-vous ?
Travaillons ensemble, très en amont, regardons les architectures des projets et allons chercher toutes les optimisations possibles en matière de choix technologiques. C’est dans cet état d’esprit que nous avons créé une coentreprise avec le spécialiste du matériel sous-marin FMC Technologies. Cela a tellement bien marché que nous avons décidé de fusionner. Le processus devrait aboutir au premier trimestre de 2017. Ensemble, Technip et FMC auront tout, de la tête du puits jusqu’à la plateforme, pour réaliser les plus grands projets d’infrastructures sous-marines, comme à Kaombo.
En Angola, justement, vous opérez en partenariat avec la Sonangol. C’est une demande des pouvoirs publics ?
C’est une demande normale de la part des États, qui souhaitent développer des compétences locales. Au Ghana, nous avons aussi créé une coentreprise avec la Ghana National Petroleum Corporation. Ce sont des filiales qui emploient entre 80 % et 90 % de locaux et qui travaillent sur le développement des projets et l’ingénierie de maintenance, pour garantir la pérennité de l’activité. Nous avons fait la même chose au Brésil.
Au Nigeria, Muhammadu Buhari peut-il rassurer les investisseurs ?
Actuellement, nous travaillons peu au Nigeria, où il y a eu peu de grands développements offshore ces dernières années. Mais c’est vrai qu’avec l’arrivée du président Buhari la situation s’éclaircit un peu, notamment en ce qui concerne le paiement des royalties et le rôle de la Nigerian National Petroleum Corporation. Les pouvoirs publics doivent cependant continuer de travailler pour améliorer la sécurité.
Vous avez aussi des contrats en Libye, où la situation sécuritaire reste très difficile…
Nous connaissons la Libye depuis longtemps, et nous y avons récemment gagné un projet développé par Eni. Mais le champ est suffisamment loin des côtes pour qu’il n’y ait rien à craindre concernant la sécurité des personnels. Pour le moment, les compagnies pétrolières ne font pas d’investissements à terre parce que les conditions de sécurité ne sont pas remplies.
En Algérie, vous êtes en conflit avec la Sonatrach, qui a annulé votre contrat de modernisation de la raffinerie de Sidi Arcine. Cette affaire est-elle réglée ?
Une procédure d’arbitrage est en cours à Genève, je ne peux pas faire de commentaire. Les relations entre Technip et la Sonatrach sont restées professionnelles, nous continuons de dialoguer.
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